L'agent secret (Секретный агент)
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— Vous savez ce que c’est, caporal ?
— Pas du tout…
— Une machine `a faire des billets de banque…
— Hein ?
L’exclamation de surprise avait 'echapp'e `a Fandor… Ah ca, est-ce qu’en plus d’espionnage, ces gens-l`a s’occupaient aussi de fausse monnaie ? Il reprit :
— Vraiment, vous fabriquez des billets de banque ?…
— Vous allez voir… oh, bien entendu, des billets pour rire… mais enfin ils peuvent ^etre utiles…
Une fois encore l’intonation faisait l’int'er^et du mot ! De faux billets de banque qui pouvaient ^etre utiles ?… Fandor d'ecida d’'eclaircir ce myst`ere :
— Je serais curieux, dit-il, de voir fabriquer ces billets de la sainte farce… Est-ce que vous…
— Mais j’allais vous le proposer…
Le jeune imprimeur tournait la manivelle de la machine.
— Tendez les mains !…
Et J'er^ome Fandor eut la surprise de recevoir un superbe billet de banque de cinquante francs, tout neuf !…
— Qu’en dites-vous, dit l’imprimeur, est-ce bien imit'e ?
— Certes, r'epondait le journaliste qui, consid'erant le billet de banque, demeurait fort perplexe :
— Et en voici d’autres, tenez… prenez…
Neuf autres billets tomb`erent dans les mains de Fandor…
Mais le journaliste avait l’oeil vif.
Et puis ca n’'etait pas la premi`ere fois qu’il visitait une imprimerie.
Et ce qui l’intriguait tout `a l’heure ne l’intriguait plus maintenant…
— Parbleu ! comprenait-il, le truc est enfantin !… ce sont de vrais billets qui m’arrivent dans les mains… cette machine-l`a n’imprime rien du tout… mon nouvel ami l’a charg'ee tout bonnement de me donner le paiement de mes futures trahisons – cinq cents francs – et il glisse ces billets de banque sous les rouleaux… En somme, c’est un moyen de me payer, sans en avoir l’air, sans se compromettre…
— Et maintenant, caporal, proposa-t-il, il me semble que nous pourrions bien aller vider une bouteille en l’honneur de notre nouvelle connaissance ?…
Le journaliste n’avait gu`ere envie de trinquer. Il lui fallait cependant, `a peine de se singulariser, accepter avec une joie feinte l’offre qu’on lui faisait.
— 'Evidemment, pensait-il, un caporal n’a pas le droit de ne pas vider une bouteille !
Fandor, une fois encore, imposa silence `a ses propres d'esirs, il gardait une mine souriante, charm'ee, tandis que le verre en main il continuait `a causer avec son interlocuteur.
Il se leva enfin, s’excusant :
— Il va falloir que je vous quitte, monsieur… ma permission de minuit n’est pas expir'ee, certes, mais j’ai des courses `a faire…
Fandor avait h^ate de se retrouver seul, de pouvoir r'efl'echir, de pouvoir coordonner ses pens'ees.
— Je suis, maintenant, songea-t-il, d'efinitivement introduit dans les milieux d’espionnage de Verdun… il faut que j’avise aux meilleurs moyens `a employer pour y d'ecouvrir des choses int'eressantes…
L’imprimeur ne le retint pas, semblait au contraire appr'ecier l’intelligence du jeune soldat qui devinait que l’entrevue 'etait termin'ee…
16 – AU BAL DE L’'ELYS'EE
Dans les salons brillamment 'eclair'es de l’'Elys'ee, une foule 'el'egante se pressait, foule assez m'elang'ee d’ailleurs o`u l’on comptait les grands noms du Parlement, de la diplomatie, o`u l’on rencontrait aussi les membres du haut commerce parisien et pas mal d’inconnus, d’anonymes ayant obtenu une carte d’invitation pour cette r'eception officielle.
Quinze jours avant, le prince Io avait pr'esent'e ses lettres de cr'eance, s’'etait vu accr'edit'e de facon d'efinitive. C’'etait en son honneur que le pr'esident de la R'epublique recevait ce soir-l`a, et on se montrait curieusement, au centre du dernier salon, le noble Japonais en costume national tout chamarr'e de broderies, l’air subtil, les traits fins, un sourire aux coins des l`evres…
Le vieux diplomate consid'erait, en effet, avec un amusement assez d'edaigneux le public composite qui, r'euni dans les salons de l’'Elys'ee, devait lui donner une pi`etre impression de l’aristocratie de la Troisi`eme R'epublique.
Un peu `a l’'ecart des salons en quelque sorte publics o`u se pressait la foule des invit'es du Pr'esident, se trouvaient de graves personnages causant d’un air ennuy'e, des affaires de l’'Etat. Ceux qui passaient se les montraient du doigt et les regardaient curieusement. Ces personnages 'etaient en quelque sorte l’une des attractions de la f^ete :
— Regardez, ce sont les ministres !…
Le pr'esident de la R'epublique, debout contre la chemin'ee, causait avec l’un d’eux. Et lui aussi gardait un air ennuy'e, exc'ed'e, l’air d’un homme qui se voit oblig'e de respecter les formalit'es stupides du protocole.
Or, dans le salon o`u se trouvait le prince Io qui, lui, d'edaigneux de rites que sa qualit'e d’'etranger pouvait lui permettre de feindre ignorer, avait trouv'e bon de ne point converser avec les ministres, deux hommes causaient avec animation.
L’un parlait sur un ton de commandement, l’autre r'epondait humblement.
— Voyons, lieutenant, disait le premier – le colonel Hofferman – j’ai eu si peu de temps aujourd’hui au minist`ere que je n’ai pas pu vous voir… et Dieu sait cependant que je n’oublie pas les affaires dont je vous ai charg'e, j’en ai le plus grand souci…
Le lieutenant de Loubersac inclinait la t^ete en signe d’assentiment.
— Je le concois, mon colonel… ce ne sont point des affaires `a n'egliger.