L'agent secret (Секретный агент)
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Et profitant de ce que le pr^etre 'etait assis sur une chaise, occup'e `a se faire les ongles, il marcha vers la porte, expliquant :
— J’ai horreur de dormir dans une chambre d’h^otel quand la porte n’est pas bien ferm'ee… Vous permettez que je donne un tour de cl'e ?
— Faites donc…
Non seulement le journaliste ferma la serrure, mais encore il retira la cl'e, et d’un geste nonchalant, songeant qu’apr`es tout un caporal n’'etait pas tenu `a ^etre bien 'elev'e, il la lancait `a l’improviste sur les genoux du pr^etre :
— Tenez, monsieur l’abb'e, si vous voulez la mettre sur votre table de nuit…
Ce n’'etait pas au hasard que Fandor agissait ainsi…
Il connaissait cette remarque de police qui permet presque `a coup s^ur, d’identifier si un individu est un homme ou une femme… Un homme recevant un objet sur ses genoux serre instinctivement les jambes pour l’emp^echer de glisser `a terre ; une femme, habitu'ee `a porter la robe, ouvre au contraire les jambes pour offrir une plus grande surface ou l’objet puisse tomber sans rouler sur le sol…
Qu’allait faire le pr^etre ?
Fandor ne fut pas surpris de lui voir, en 'ecartant instinctivement les jambes, tendre sa robe.
— C’est une femme, pensa-t-il.
Mais subitement une r'eflexion l’arr^etait :
— Ah c`a, je d'eraisonne ! cela ne prouve rien du tout ! un pr^etre est aussi habitu'e qu’une femme `a porter jupon ! or, que fait un pr^etre dans ces conditions ?… est-ce qu’il ouvre ou est-ce qu’il ferme les genoux ?
La question 'etait, pour J'er^ome Fandor, insoluble.
— Mon exp'erience ne prouve rien, dut-il s’avouer… et je suis tout `a fait idiot !…
`A vrai dire, il songeait bien `a cette autre ruse, conseill'ee par les d'etectives anglais, et qui consiste `a jeter par terre `a l’improviste l’individu que l’on surveille… Neuf fois sur dix, affirme-t-on, un homme se trahit dans ce cas-l`a par un juron brutal, une femme, plus douce, naturellement, emploie des expressions plus mod'er'ees.
— Mais, pensait Fandor, je ne peux v'eritablement pas donner un croc-en-jambe `a ce bonhomme ou `a cette bonne femme…
Tout en r'efl'echissant, le journaliste se d'eshabilla…
Le pr^etre se polissait toujours les ongles.
— Vous ne vous couchez pas, monsieur l’abb'e ?
— Si fait…
L’eccl'esiastique retira ses bottines, se d'ebarrassa de son faux-col, puis s’'etendit sur son lit… Fandor avait suivi la manoeuvre.
— Vous allez dormir tout habill'e ? demanda-t-il.
— Je ne puis souffrir de me d'ev^etir dans un lit qui n’est pas mon lit habituel. Je souffle la bougie, caporal ?
— Soufflez, monsieur l’abb'e !
Mais, cette fois, Fandor 'etait convaincu…
— C’est bien ma veine, pensait-il toujours, voil`a que mon cur'e est une femme, et voil`a que cette femme a des pudeurs de cur'e…
Il comprenait, en effet, pourquoi, si v'eritablement le pr^etre 'etait une femme d'eguis'ee, il avait tant h'esit'e `a coucher dans une chambre commune avec Fandor, pourquoi maintenant il n’osait point abandonner sa soutane…
Fandor, cependant, souhaitait le bonsoir `a son compagnon et, pelotonn'e sous ses couvertures, se recommandait `a lui-m^eme de ne point fermer les yeux…
— Je ne sais pas ce qui va se passer, se disait-il, m'efions-nous…
Le jeune homme avait grand-peur de s’endormir, il se montrait exag'er'ement prudent.
La lumi`ere n’'etait pas en effet 'eteinte depuis dix minutes que quelqu’un voulut entrer dans la chambre et, se heurtant `a la porte ferm'ee, la secoua, comme 'etonn'e de sa r'esistance..
— Qui va l`a ? demandait Fandor.
— Bon !… bon !… ne vous d'erangez pas…, r'epondit-on…
Et, dans le couloir, Fandor entendit que l’on s’'eloignait.
— Quelqu’un qui se trompe, pensa le journaliste. Et il retomba dans ses r'eflexions.
— 'Evidemment, aujourd’hui, j’ai fait une promenade charmante, mais demain, `a Dieppe… puisque c’est `a Dieppe que nous allons maintenant, ce voyage pourrait tr`es mal finir… De deux choses l’une : ou il va falloir que je m’occupe du d'ebouchoir vol'e et, dans ce cas, je devrai me livrer `a un jeu terriblement p'erilleux, ou mon faux cur'e m’a racont'e des histoires invent'ees `a plaisir… et je ne sais pas ce qui m’attend, ce qui n’est gu`ere amusant !…
Mais J'er^ome Fandor 'etait interrompu dans ses r'eflexions. `A nouveau quelqu’un voulait entrer dans la chambre…
— Qui va l`a ? demande encore le journaliste…
Mais trouvant la porte ferm'ee, le visiteur s’'etait d'ej`a 'eloign'e et ne r'epondit pas.
J'er^ome Fandor 'ecoutait un instant, il n’entendait plus que la respiration r'eguli`ere de l’abb'e, celui-ci dormait ou feignait de dormir…
— De plus, pensait Fandor, reprenant le cours de ses r'eflexions, que diable disait ce t'el'egramme recu tout `a l’heure au garage ? Il m’a sembl'e que mon abb'e en 'etait assez 'emu… il m’a sembl'e surtout qu’il me regardait fixement, apr`es en avoir achev'e la lecture… c’est mauvais, cela !…
Une troisi`eme fois on frappait `a la porte ou plut^ot on essayait d’entrer d’autorit'e dans la chambre…
Fandor 'enerv'e bondit hors du lit, et saisissant la cl'e que le pr^etre avait pos'ee sur sa table de nuit, ouvrit rapidement, passa la t^ete dans le couloir :
— Mais qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda-t-il, c’est assommant `a la fin…
Il se trouva face `a face avec un jeune paysan qui parut profond'ement interloqu'e d’apercevoir le journaliste en chemise…