L'agent secret (Секретный агент)
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Elle 'etait en tr`es bon 'etat, et m^eme `a la position des manettes, le m'ecanicien d'eclara :
— Celui-l`a qui l’a conduite, c’'etait un malin… il a tout de suite vu qu’il fallait la ralentir au gaz et la mener `a l’avance… c’est-y le cur'e ? c’est-y le caporal ?… Le caporal, sans doute ! le cur'e avait les mains trop blanches, il aurait eu peur de s’esquinter les ongles…
Au milieu d’une foule de paysans accourus de toutes les fermes d’alentour, depuis le matin, pour consid'erer la voiture automobile qui « avait pouss'e
`A grand-peine, car n’ayant plus d’'elan, la voiture s’embourba dans le sol mou, il parvint `a gagner la route…
***
Mais tandis que le m'ecanicien s’occupait `a rapatrier sa voiture, d’autres 'ev'enements se d'eroulaient au Carrefour Fleuri.
Le brigadier de gendarmerie, important et grave s’'etait, en compagnie de l’h^otelier, dirig'e vers l’h^otel :
— Et alors, interrogeait-il, en regardant l’h^otelier, vous ne savez point leur nom, `a ces particuliers-l`a ?…
Mais le patron du Carrefour Fleuri, repris par le souci des dix-huit francs qu’il perdait, se moquait pas mal des recherches que pr'etendait effectuer le gendarme.
— Tiens ! s’'ecria-t-il, voil`a une bonne chose, dans leur coup, ils ont oubli'e d’emporter ce paquet… peut-^etre bien l`a-dedans, qu’il y a des affaires de valeur et que je pourrai me payer dessus ?
Le gendarme s’'etait relev'e, curieusement, il examina lui aussi le ballot demeur'e dans la chambre :
— Cens'ement, dit-il, que c’est possible ! probable m^eme ! Cens'ement qu’il faut aviser, et que l'egalement nous allons ouvrir ce paquet, afin de voir ce qu’il contient au juste…
L’h^otelier, aid'e du gendarme, fit sauter les cordes serr'ees autour de la toile, mais tandis que le pacifique patron du Carrefour Fleurine devinait point ce que pouvait bien ^etre le m'ecanisme qu’il trouvait dans ce paquet, le brigadier qui, jadis, avait fait son cong'e dans l’artillerie, soudain p^alit :
— Nom de Dieu ! laissa-t-il 'echapper, bien qu’en uniforme, et dans l’exercice de ses fonctions, il s’abstint d’ordinaire de jurer, mais j’sais c’que c’est que c’t’affaire-l`a… oh ! oh ! c’est grave… c’est un d'ebouchoir de canon !
23 – `A LONDRES ET `A PARIS
Alors que le petit jour commencait `a poindre, le lieutenant Henri de Loubersac, qui marchait aux c^ot'es de Juve, 'etait soudain devenu silencieux. Il ne r'epondait plus que par monosyllabes aux paroles de son compagnon de veille… Bient^ot, il ne r'epondit plus du tout…
Juve regardait l’officier, en souriant :
— Je crois, monologuait-il, que le voil`a parti pour le pays des r^eves !… il dort debout !…
Fraternellement, presque, le policier guida le jeune homme qui n’avait plus qu’`a peine conscience de sa marche vers la gu'erite de douanier o`u lui-m^eme s’'etait dissimul'e quelques heures avant. Juve y installa son compagnon, certain que, de la sorte, Henri de Loubersac pourrait se reposer. Il bourra une nouvelle pipe et reprit sa marche le long du quai…
Juve 'etait tr`es nerveux, et de tr`es m'echante humeur.
Sans qu’il p^ut pr'eciser au juste pourquoi, car, en apparence, l’arr^et de Vinson et du pr^etre `a Rouen n’'etait pas d’un int'er^et consid'erable, il s’inqui'etait de cette soudaine interruption de voyage…
— Pourquoi couchent-ils en route ? pensa-t-il, quelle peut-^etre au juste la raison qui leur a fait suspendre leur chemin ? Je ne comprends pas que le caporal Vinson, toujours porteur du d'ebouchoir, ait eu l’audace de stationner dans un h^otel… Il 'etait tard, eh, pardieu, cela ne les emp^echait pas de rouler !… Logiquement, ils auraient d^u poursuivre leur voyage jusqu’ici…
Sans qu’il formul^at pr'ecis'ement sa pens'ee, Juve craignait par-dessus tout que les deux espions qu’il guettait n’eussent appris la surveillance exerc'ee sur eux…
Et, tout en se promenant de long en large, tout en faisant les cent pas, r'eguli`erement, inlassablement, il ne pouvait s’emp^echer d’examiner la fine silhouette du yacht hollandais dont les m^ats, rappel'es en arri`ere, se balancaient lentement au gr'e des flots.
Juve v'erifiait l’heure `a sa montre…
— J’ai dit au commissariat de laisser un agent de garde toute la nuit et la poste a des instructions pour transmettre continuellement les d'ep^eches qui pourraient y ^etre adress'ees… voici qu’il est six heures, il ne serait peut-^etre pas mauvais que j’aille voir s’il n’y a rien de nouveau…
Juve, `a pas pr'ecipit'es, revint vers la gu'erite o`u Henri de Loubersac sommeillait toujours.
— Mon lieutenant ?… allons ! mon lieutenant ?…
Henri de Loubersac dormait si profond'ement que Juve fut oblig'e de lui poser la main sur l’'epaule pour le tirer de son somme :
— Mon lieutenant, disait-il, je m’excuse de vous r'eveiller, mais je voudrais vous passer la faction pendant quelques minutes… je cours jusqu’au commissariat voir s’il n’y a rien de nouveau…
L’officier s’empressait, naturellement, de faire le guet `a la place de Juve. Le policier partit aux nouvelles et arriva au poste en m^eme temps qu’un petit t'el'egraphiste porteur d’un pli `a son nom.
Juve, le fragile papier aux doigts et tandis qu’il rompait la bande, ne put s’emp^echer de fr'emir :
— Pourvu, pensait-il, que mes deux oiseaux n’aient pas trouv'e moyen de s’envoler…
La d'ep^eche tremblait aux mains de Juve, tandis qu’il lisait son texte, qui, tout d’abord, lui parut incompr'ehensible :