L'agent secret (Секретный агент)
Шрифт:
— J’ai, commenca Juve, en mati`ere d’investigations polici`eres et d’enqu^etes du genre de celles auxquelles je me livre, une th'eorie tout `a fait sp'eciale. Ce n’est pas celle de tout le monde, mais elle m’a r'eussi jusqu’`a pr'esent et je m’y tiens. Vous verrez la plupart de mes coll`egues, d`es qu’ils ont un soupcon justifi'e sur quelqu’un, l’appr'ehender aussit^ot, le mettre au secret, instruire son affaire et m^eme au besoin le faire condamner. Proc'eder ainsi, cela permet d’obtenir 'evidemment des succ`es partiels. On s’illusionne `a l’id'ee de victoires apparentes ; on est dans la situation d’un m'edecin, qui soignerait des plaies superficielles et les gu'erirait provisoirement, mais n'egligerait l’'etat g'en'eral du malade et laisserait subsister le germe de la maladie. Oui, j’aurais d'ej`a pu arr^eter Bobinette, comme nous allons probablement arr^eter tout `a l’heure le caporal Vinson, mais cela nous aurait-il donn'e la cl'e du myst`ere et n’avons-nous pas plus de chance de d'ecouvrir le grand chef de la bande, en laissant ses collaborateurs 'evoluer dans l’impunit'e provisoire ?
Brusquement Juve s’interrompit : Un homme venait `a leur rencontre ; c’'etait un agent attach'e au commissariat g'en'eral de Dieppe :
— On demande, d'eclara ce dernier, M. Henri au t'el'ephone…
De Loubersac se pr'ecipitait au poste de police et se trouva en communication avec le Minist`ere de la Guerre. L’un de ses coll`egues l’informait que le caporal fugitif, accompagn'e d’un pr^etre, 'etait arriv'e depuis une heure environ en automobile, `a un garage de Rouen.
Tandis que l’officier notait pr'ecieusement ce d'etail, Juve recevait au bureau de police un t'el'egramme chiffr'e qui lui confirmait le renseignement, mais lui apprenait en outre que les 'etrangers, apr`es s’^etre ravitaill'es en essence et en huile, 'etaient repartis aussit^ot…
Juve entra^ina sur le quai le lieutenant de Loubersac :
— Soyons plus attentifs encore, d'eclara-t-il, nos gaillards ne vont pas tarder `a arriver !
Depuis pas mal de temps d'ej`a Henri de Loubersac, en d'epit de ses pr'eoccupations professionnelles, avait, sur les l`evres une question d’un ordre plus intime qu’il br^ulait d’envie et redoutait tout `a la fois de poser `a Juve :
L’officier se souvenait que lors de son entretien sur la berge de la Seine avec le faux Vagualame, Juve avait nettement insinu'e que Wilhelmine de Naarboveck devait avoir 'et'e la ma^itresse du capitaine Brocq.
L’officier alors avait protest'e.
Mais d'esormais qu’il savait que le faux Vagualame n’'etait autre que l’inspecteur Juve, ce propos lui 'etait revenu `a l’esprit et le torturait singuli`erement.
Enfin, de Loubersac posa la question au policier.
Celui-ci fronca le sourcil, parut embarrass'e.
La jeune fille blonde qui habitait avec le baron de Naarboveck et passait aux yeux de tous pour sa fille, s’appelait-elle bien Wilhelmine de Naarboveck ?
Mais valait il mieux ne rien dire ? Non. Il valait mieux faire parler Wilhelmine, en provoquant le lieutenant, en le forcant `a interroger celle-ci.
Aussi Juve n’h'esita-t-il pas, en d'epit du mal qu’il faisait `a Henri de Loubersac, `a lui dire, hypocritement :
— Il m’en co^ute, monsieur, de vous r'epondre sur ce point, car je crois deviner que votre assiduit'e chez le diplomate de la rue Fabert tient `a ce que vous rencontrez chez lui une d'elicieuse personne dont les charmes ne vous laissent pas insensible. Vous vous souvenez tr`es bien de ce que vous a dit Vagualame, – le faux, – j’insiste sur cette qualit'e, lors de son entretien avec vous sur les berges de la Seine…
Vous ^etes encore aujourd’hui en pr'esence de ce m^eme faux Vagualame… c’est moi, Juve… comme vous savez. Or, j’ai le regret de vous dire que, quelle que soit la forme ext'erieure que j’adopte, ma facon de penser, ma mani`ere de voir les choses, ne varie que bien rarement…
L’officier avait compris, il p^alit. Ses l`evres se contract`erent. Il serra les poings.
Juve, satisfait du r'esultat obtenu, se r'ep'etait l’aphorisme c'el`ebre de Basile :
Pr'ecis'ement comme il y arrivait, la sonnerie du t'el'ephone se fit entendre. Appel'e par le brigadier de service, Juve vint coller son oreille au r'ecepteur. C’'etait le commissariat de Rouen qui t'el'ephonait.
Le caporal et le cur'e, en quittant Rouen, s’'etaient rendus sur la route de Barentin, ils avaient d^in'e `a l’h^otel du Carrefour Fleuriet, selon les dires du chauffeur, ils y passeraient la nuit, puis ils gagneraient Dieppe le lendemain `a la premi`ere heure.
Juve rapporta ce renseignement au lieutenant de cuirassiers.
Ils caus`erent encore quelques instants, puis ils se s'epar`erent, pr'etendant l’un et l’autre qu’ils allaient regagner leurs h^otels respectifs pour y prendre un peu de repos.
***
Toutefois Juve n’avait pas quitt'e les environs du quai. Il s’'etait install'e dans une gu'erite de douanier et sto"iquement s’appr^etait `a y passer la nuit, en t^ete `a t^ete avec ses r'eflexions. Le policier voulait ^etre s^ur que nul ne pourrait aborder le yacht myst'erieux sans ^etre vu de lui. C’est pour cela qu’il d'ecidait de ne pas aller se coucher.
Au bout d’une heure `a peine, Juve dressa l’oreille. Il entendit un bruit de pas furtifs dans le voisinage de sa gu'erite.
Si c’'etait le caporal Vinson ?
Il 'ecouta encore ; les pas se rapprochaient. Juve tout doucement quitta son abri, quelqu’un se dressa devant lui et… les deux hommes s’'etant reconnus, ne purent s’emp^echer d’'eclater de rire.
Juve 'etait en pr'esence du lieutenant Henri de Loubersac.
Jovialement, Juve r'esuma d’un mot la situation :
— Tenez, mon lieutenant, s’'ecria-t-il, nous pouvons dire que, civils ou militaires, dans notre m'etier, le v^otre et le mien, on vit perp'etuellement sur le pied de guerre !
Philosophiquement ils allum`erent pipe et cigarette et, r'esign'es `a passer une nuit blanche, ils se remirent `a arpenter le quai.
22 – ILS ONT FIL'E
Tandis que le policier Juve et Henri de Loubersac s’appr^etaient `a passer toute leur nuit en guettant l’arriv'ee des tra^itres, Fandor veillait, lui aussi…