L'agent secret (Секретный агент)
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« Caporal Vinson, r'efugi'e `a Londres, a 'et'e reconnu et identifi'e par moi ce matin, `a quatre heures, au moment o`u il sortait de la gare de Victoria-Station. Je l’ai suivi, je sais o`u il est. Que faire ? J’attends vos avis. – L. »
Tout tourbillonnait devant Juve…
— Le caporal Vinson est `a Londres ! Il sortait ce matin de Victoria-Station !… Ah ca, qu’est-ce que ca veut dire ? Pourtant, cette d'ep^eche est bien pr'ecise, je ne peux pas douter de son contenu, non plus que de l’agent qui me l’envoie… un fin limier… pas d’erreur, pas d’h'esitation. Il est 'evident que Vinson a trouv'e, cette nuit, moyen de continuer sa route en trompant la vigilance des gardiens que j’avais mis `a ses trousses `a Rouen, il a d^u rallier la c^ote et un bateau inconnu, passer le d'etroit, cette nuit… Ah ! sapristi, de sapristi !…
Vingt fois de suite, Juve relut le t'el'egramme, pestant, jurant, bouleversant tout dans le poste de police sous l’oeil ahuri de l’agent de garde.
— Vous allez, faisait-il soudain `a celui-ci, ne pas bouger d’ici jusqu’`a l’arriv'ee de M. le commissaire. Vous lui donnerez ce t'el'egramme. Vous lui direz de conserver et d’ouvrir toutes les d'ep^eches qui pourraient encore arriver `a mon nom, je t'el'egraphierai dans la matin'ee des instructions pour qu’elles me soient r'eexp'edi'ees en Angleterre…
— En Angleterre ?
— Oui, je vais y passer imm'ediatement en profitant du bateau d’excursion de Cook, qui part, si je ne me trompe, dans une heure… c’est bien compris ?…
Juve revenait en h^ate retrouver le lieutenant Henri, qui de long en large continuait `a arpenter le quai, fumant cigare sur cigare pour. t^acher de retrouver son habituelle lucidit'e d’esprit, fort compromise par un sommeil invincible.
— Mon lieutenant, lisez ceci…
Et Juve tendit `a l’officier une feuille de papier sur laquelle il avait recopi'e le texte du t'el'egramme :
— Ces maudites gens, ajoutait-il, ont trouv'e moyen de nous br^uler la politesse…, mais j’ai plus d’un tour dans mon sac et l’aventure n’est pas termin'ee…
— Qu’allez-vous faire, Juve ?
— Gagner Londres, de toute urgence… venez-vous mon lieutenant ?
Henri de Loubersac r'efl'echissait :
— Non, d'eclarait-il enfin… d’abord je n’ai pas le droit de passer `a l’'etranger sans autorisation, je ne suis pas libre comme vous d’op'erer comme bon me semble… et puis j’ai id'ee qu’il doit y avoir `a faire `a Paris. Il est inadmissible qu’en surveillant Bobinette qui, d’apr`es ce que vous me disiez hier, est certainement m^el'ee de pr`es `a toutes ces intrigues, nous ne trouvions point des choses int'eressantes. Pendant que vous allez enqu^eter `a Londres, je vais donc de mon c^ot'e enqu^eter `a Paris… vous m’approuvez, Juve ?…
— Je vous approuve…
Juve accompagna jusqu’`a la gare le lieutenant de Loubersac qui, maintenant qu’il avait d'ecid'e de regagner la capitale, semblait pris d’une extr^eme h^ate.
Tandis que le policier revenait `a pas lents vers la jet'ee de Dieppe pour y attendre le d'epart du bateau d’excursion qui, fort opportun'ement allait lui permettre de gagner l’Angleterre sans avoir `a patienter jusqu’`a l’heure du paquebot r'egulier, Henri de Loubersac, seul dans son compartiment, songeait, m'elancolique.
Depuis longtemps il aimait Wilhelmine. Son affection, sinc`ere, franche, 'etait n'ee petit `a petit, s’'etait d'evelopp'ee. `A pr'esent, elle tenait tout son coeur, envahissait toute sa pens'ee…
Les paroles de Juve, la veille, l’avaient profond'ement troubl'e. Dans la pr'ecipitation des minutes, dans l’inqui'etude de la poursuite qu’il conduisait alors avec Juve, dans l’attente du caporal Vinson, il avait pu s’en distraire. Mais elles revenaient maintenant `a sa pens'ee, mauvaises, bourdonnantes, elles assaillaient son cerveau, il ne pouvait les chasser…
Le jeune homme s’absorba si bien dans ses r'eflexions qu’il perdit conscience de la marche, assez lente, de son train. Les stations succ'edaient aux stations, sans qu’il pr^it connaissance des arr^ets… le convoi stoppait en gare de Rouen, qu’Henri de Loubersac s’imaginait `a peine avoir quitt'e Dieppe.
— Il faut me secouer, pensa-t-il…
Homme d’action, il avait horreur des r'eflexions st'eriles, des agitations vaines et sans but…
Henri de Loubersac sauta de son wagon, profitant des minutes d’arr^et, il alla se d'egourdir les jambes, arpentait les quais de la gare, fl^anant aux vitrines des kiosques de journaux et d’ailleurs, l’esprit toujours hant'e d’une m^eme vision : Wilhelmine…
Il lui fallait bient^ot regagner son compartiment ; les hommes d’'equipe h^ataient les voyageurs :
— En voiture !… en voiture pour Paris !…
L’officier mit la main sur la rampe, s’appr^eta `a reprendre sa place. Une stupeur le cloua sur le marchepied…
Tandis qu’il fl^anait dans la gare de Rouen, une jeune femme voyant le wagon vide, y avait pris place. Elle s’'etait assise dans un coin du compartiment, et probablement occup'ee `a faire des adieux ou `a surveiller l’animation de la gare, avait baiss'e la glace de la porti`ere, situ'ee `a l’oppos'e de celle o`u Henri de Loubersac, montait.
Le jeune homme ne pouvait encore distinguer le visage de cette voyageuse, mais en v'erit'e rien qu’`a son attitude, rien qu’`a sa ligne, il croyait la reconna^itre…
C’'etait… oui, c’'etait…
Apr`es un coup de sifflet strident, le convoi s’'ebranlait, lentement d’abord, puis, petit `a petit, il acc'el'erait son allure… comme il quittait d'efinitivement la gare, la voyageuse qu’Henri de Loubersac ne perdit point de vue se recula, releva la place et, se retournant enfin, s’assit `a sa place… Henri de Loubersac la vit.
— Vous, monsieur Henri ?
— Vous, mademoiselle Bobinette !…
Henri de Loubersac, cependant, se ressaisit rapidement :
— Par quel hasard, commencait-il…
Mais, du ton le plus naturel, Bobinette l’interrompit :
— C’est plut^ot `a vous qu’il faudrait demander cela, monsieur Henri… moi je reviens de passer quatre jours dans ma famille qui habite Rouen.. J’avais demand'e un cong'e `a M. de Naarboveck, mais vous ?…
Le lieutenant Henri mordilla nerveusement un bout de sa moustache blonde, il haussa les 'epaules en r'epondant :