L'agent secret (Секретный агент)
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— Monsieur l’abb'e, demanda-t-il, comme la voiture traversait un village et que le pr^etre ouvrait les yeux, je suis mort de froid, verriez-vous un inconv'enient `a ce que nous nous arr^etions une minute pour prendre un verre de rhum ? cela nous r'echaufferait…
L’abb'e s’'etait renfonc'e sur la banquette de la voiture ;
il sommeillait `a nouveau.
Fandor regarda son compagnon de route `a la d'erob'ee…
`A bien la consid'erer, soudainement, la figure du pr^etre lui paraissait 'etrange… les sourcils 'etaient trop r'eguliers, peints, sans doute ?… et puis, comme il avait la peau fine !… pas la moindre trace de barbe !…
Fandor continuait son examen…
Du dessous de la soutane sortait la chaussure du pr^etre, chaussure classique pour un abb'e, soulier `a boucle d’argent… mais comme la cheville paraissait fine !…
Qu’allait-il imaginer encore ? Vraiment, il devenait trop craintif, il s’effarait des moindres d'etails…
Silencieusement, le pr^etre faisait signe au m'ecanicien d’arr^eter `a la porte d’un cabaret de petite importance.
— Portez un cognac au m'ecanicien, commandait `a la patronne le pr^etre, vous donnerez `a Monsieur un verre de rhum… vous me verserez une anisette…
— Une anisette, songeait Fandor en remontant dans l’automobile, c’est de la liqueur pour pr^etre, pour adolescent… pour femme !… Ah ! zut de zut, je ne me sens pas du tout tranquille… je voudrais bien m’en aller…
Le pr^etre interrompit les r'eflexions de Fandor :
— Dans une heure, disait-il, nous serons `a Rouen ; nous traverserons la ville, mais nous nous arr^eterons quelques kilom`etres plus loin, `a Barentin. J’y connais un tr`es bon petit h^otel…
Fandor ne r'epondait point, mais il pensait :
— Va pour Barentin !… Mais si j’ai le moindre indice que ce bonhomme-l`a veut me l^acher, veut me quitter une seconde, s’il a l’air de songer `a pr'evenir l’autorit'e, je connais quelqu’un qui prendra la fuite… et comment !…
20 – HOMME OU FEMME ?
Les kilom`etres succ'edaient aux kilom`etres.
Le pr^etre s’'etait enfonc'e dans les coussins de la banquette et fermait `a demi les yeux. Fandor, `a son tour, se sentait pris d’une 'etrange somnolence…
— Ce qu’il y a d’ennuyeux, pensait-il, c’est que ce soir, `a peine la t^ete sur l’oreiller, je m’en vais `a coup s^ur ronfler comme une brigade de gendarmerie.
On approchait cependant.
Apr`es une descente rapide, la route s’'etait infl'echie sur la droite ; elle serpentait maintenant `a flanc de coteau, bord'ee sur un c^ot'e par la Seine, sur l’autre par des falaises taill'ees `a pic que dominait au lointain le sanctuaire rouennais, objet de la v'en'eration de toute la contr'ee : Notre-Dame de Bon Secours.
— C’est Rouen ? interrogeait Fandor.
— Nous y serons dans six kilom`etres, r'epondait le pr^etre…
— Nous n’arr^eterons pas ? questionnait le journaliste.
— Si, je suppose que nous allons avoir besoin de nous ravitailler et, de plus, j’ai une commission `a faire au patron de l’un des garages de la ville.
— Attention ! se dit Fandor, les commissions que peut faire cet abb'e sont s^urement int'eressantes. Gare `a la manoeuvre…
Le jeune homme connaissait Rouen.
— Si nous ne d'evions pas de notre chemin, se disait Fandor, si nous faisons halte `a l’un des garages qui se trouvent le long des quais, tout ira bien… en cas d’alerte, j’imagine qu’au bout de cent m`etres de course, je rencontrerai certainement un de ces tramways 'electriques qui pullulent `a Rouen… je sauterai `a bord… c’est bien le diable s’il ose me courir apr`es et me rattraper…
Or, tandis que le jeune homme m'editait la facon dont, le cas 'ech'eant, il 'echapperait `a son myst'erieux compagnon de route, la voiture atteignait le pont qui prolonge, au travers de la Seine, la rue Jeanne-d’Arc. Les voyageurs 'etaient maintenant au centre m^eme de Rouen, le m'ecanicien tournait la t^ete :
— Monsieur me permet-il d’arr^eter ? interrogeait-il en regardant le pr^etre. Il faut que je fasse mon plein…
L’abb'e, du doigt, indiqua un garage :
— Stoppez l`a…
L’automobile s’'etait `a peine rang'ee au long du trottoir que le pr^etre, sautant sur le sol, s’avancait dans l’int'erieur du garage.
— Ah ! ca fait du bien de se d'egourdir les jambes ! d'eclara Fandor, qui, sans autre excuse, embo^ita franchement le pas `a l’abb'e…
L’eccl'esiastique n’en semblait nullement inquiet. Il marchait vers le patron de la boutique :
— Dites-moi, mon ami, vous n’auriez pas recu par hasard une d'ep^eche au nom de l’abb'e Gendron ?
— Si fait, monsieur l’abb'e, serait-ce vous ?
— C’est moi… j’avais pri'e que l’on m’adress^at ici des nouvelles au cas o`u ce serait n'ecessaire…
Tandis que le pr^etre d'echirait le pointill'e du t'el'egramme qu’on venait de lui remettre, Fandor, qui grillait une cigarette de l’air le plus flegmatique qu’il put, s’'evertuait `a trouver un moyen pour lire la d'ep^eche que son compagnon de route examinait, le visage soudain contract'e, les sourcils fronc'es, l’oeil mauvais…
Mais le jeune homme eut beau loucher dans les glaces, changer de place pour t^acher d’apercevoir en transparence le t'el'egramme, passer derri`ere l’abb'e en faisant semblant d’examiner les affiches qui garnissaient les murs du garage, en r'ealit'e pour lire par-dessus son 'epaule, il en fut pour ses frais. Impossible d’apercevoir le texte.
— Vous ne recevez pas de f^acheuses instructions ? demanda Fandor, tandis qu’`a nouveau l’auto d'emarrait.
— Non point…
— Un t'el'egramme c’est toujours inqui'etant.