L'agent secret (Секретный агент)
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— Oh ! oui, monsieur.
Fandor e^ut bien voulu poser d’autres questions et tout sp'ecialement savoir si elle, la jolie Bobinette, pensait encore au capitaine Brocq, il e^ut bien voulu 'eclaircir l’exacte intimit'e que la jeune femme avait eue avec l’officier disparu, l’amour qu’il lui supposait pour Loubersac, mais il 'etait 'evident que la jeune fille 'etait g^en'ee par cette conversation en plein vent.
Il n’'etait d’ailleurs point correct de l’'eterniser, et bon gr'e mal gr'e, apr`es quelques paroles, Fandor se r'esigna `a dire adieu `a la jolie fille.
Tandis que celle-ci s’'eloignait, le journaliste, recommencant `a faire les cent pas, v'erifia l’heure. Il 'etait maintenant midi moins le quart, les passants se faisaient rares ; Fandor ne croisait personne qui lui par^ut digne d’attention… Impatiemment, le jeune homme attendit encore cinq minutes, dix minutes, mais, `a une heure, il se d'ecida `a regagner son h^otel…
— Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa-t-il. Dois-je croire que personne n’est venu attendre le caporal Vinson, ou tout bonnement que, devant avoir affaire `a de nouvelles t^etes, je n’ai point identifi'e mes individus tandis qu’eux, bien entendu, sont repartis, n’apercevant pas plus de caporal que de beurre en branche…
En arrivant boulevard Barb`es, Fandor trouvait un pneumatique adress'e au caporal Vinson. Il l’ouvrit : ce pneumatique n’'etait pas sign'e, il imitait toujours l’'ecriture et le style d’une amoureuse.
On lui disait :
« Mon bon ch'eri, mon amour, excuse-moi de ne pas ^etre venu te prendre ce matin rue de Rivoli, comme il 'etait convenu. Cela m’a 'et'e impossible. Reviens `a deux heures au m^eme endroit, je te promets que je serai exacte… Bien entendu, viens en uniforme, je veux voir comme tu es beau sous l’habit militaire…
Fandor lut ce pneumatique, un pli soucieux au front.
— Je n’aime pas beaucoup cela, se dit-il… Pourquoi me faire venir en uniforme ? Savent-ils que je suis venu en civil ce matin ? Mais alors… ?
Le jeune homme avait de plus en plus l’impression qu’il se trouvait impliqu'e dans des aventures o`u la plaisanterie n’'etait plus de mise.
— Allons-y, murmura-t-il, mais, pour Dieu, je crois qu’il commence `a ^etre grand temps que je rentre dans la vie civile…
***
Il 'etait deux heures juste `a l’horloge qui orne le refuge dress'e au milieu de la rue de Rivoli, `a l’extr'emit'e du minist`ere de la Marine, lorsque Fandor traversa la chauss'ee, sortant du m'etropolitain, pour se rendre `a nouveau au coin de la rue Castiglione.
— Cette fois, pensait-il, j’ai mon uniforme, je suis exact, rien ne doit emp^echer que nous ne nous rencontrions…
Le journaliste avait `a peine fait quelques pas, en effet, sous les arcades, qu’une main finement gant'ee se posait sur ses 'epaules :
— Mon cher caporal !… comment allez-vous ?…
Fandor tournait vivement la t^ete, et non sans une certaine stupeur reconnaissait la personne qui venait de l’aborder : un pr^etre !
— Tr`es bien !… et vous-m^eme, monsieur l’abb'e ?…
Mais Fandor identifiait `a la minute l’eccl'esiastique ; il l’avait d'ej`a vu dans la voiture en panne sur la route de Verdun `a la fronti`ere… le jour o`u il avait rencontr'e pour la premi`ere fois les espions, o`u il avait 'et'e par eux pr'esent'e aux imprimeurs Noret…
— Votre ami est l`a, monsieur l’abb'e ?
— Non pas, mon cher caporal… non pas !… il m’a charg'e de bien des choses pour vous, mais, en v'erit'e, il est trop accabl'e de besognes pour pouvoir voyager…
— Il est donc `a Verdun ?
— J’ignore o`u il est, r'epondit le pr^etre d’un ton sec… Ceci n’a d’ailleurs pas d’importance puisque nous devons faire route ensemble et qu’il ne part pas avec nous…
— Nous partons donc ? interrogea Fandor, interloqu'e.
— Oui, nous allons faire un petit voyage…
Tout en parlant, le pr^etre avait saisi famili`erement le bras du caporal et l’entra^inait.
— Vous m’excuserez, disait-il, de n’avoir pu venir ce matin, mais cela m’a 'et'e compl`etement impossible… Ah ! passez-moi le document promis… l`a !… tr`es bien ! je vous remercie… Tenez, caporal, vous voyez notre chemin de fer ?…
Le pr^etre montrait du doigt `a Fandor, qui riait sous cape en livrant un plan de d'ebouchoir imaginaire, une superbe automobile qui stationnait au long du trottoir…
— Voulez-vous monter ? La route est longue.
— Maudit cur'e ! se disait Fandor. Je lui donnerais bien dix fois de suite l’absolution, rien que pour savoir o`u il va me mener avec cette voiture-l`a…
Mais ce n’'etait pas le moment de r'efl'echir. Le pr^etre pria Fandor de s’asseoir, et tr`es aimablement lui tendit une lourde couverture de voyage.
— Enveloppons-nous, caporal, il ne fait pas chaud sur la route… Chauffeur, vous pouvez partir, nous sommes pr^ets…
Tandis que la voiture d'emarrait, le pr^etre expliquait, en d'esignant un volumineux paquet qui emp^echait le soldat d’'etendre les jambes :
— Nous changerons de place de temps en temps, si vous le voulez, car vous devez ^etre fort mal, avec ce paquet qui encombre…
— Bah ! r'epondit Fandor, `a la guerre comme `a la guerre… d’ailleurs, monsieur l’abb'e, il me semble que nous pourrions tous les deux nous installer plus confortablement en attachant ce colis sur le si`ege avant, `a c^ot'e de votre chauffeur…