L'agent secret (Секретный агент)
Шрифт:
— Caporal, dit l’abb'e assez s`echement, je ne vous comprends pas. Vous ne songez pas `a ce que vous dites…
— Sacrebleu, pensa Fandor, qui, tout au contraire, pesait chacune de ses paroles, il para^it que j’ai gaff'e, mais en quoi ? je voudrais bien le savoir…
Il allait essayer de reprendre l’entretien, le pr^etre ne lui en laissait pas le temps :
— Je suis tr`es fatigu'e, faisait-il, j’ai mal dormi, vous m’excuserez donc, caporal, si je sommeille un peu… Dans une heure, je serai compl`etement dispos et nous pourrons causer… Aussi bien, nous en aurons le temps, nous ne sommes pas pr^ets d’arriver…
Fandor n’avait qu’`a approuver… La voiture montait l’avenue des Champs-Elys'ees. Le jeune homme songeait que l’on devait gagner l’une des sorties de Paris, mais pour aller o`u ?
Fandor voulut ruser :
— Votre chauffeur conna^it la route, monsieur l’abb'e ?
— J’esp`ere que oui… pourquoi ?
— Parce que j’aurais pu le guider, je me dirigerais les yeux ferm'es dans tous les environs de Paris.
— Eh bien, faites attention alors `a ce qu’il ne s’'ecarte pas du bon chemin. Nous allons vers Rouen…
Et, cela dit, le pr^etre, s’entortillant dans sa couverture, s’enfonca soigneusement dans la banquette, cherchant une pose commode.
Le journaliste, qui avait sous les pieds le pr'ecieux ballot s’assura que le pr^etre dormait profond'ement et tenta de se rendre compte de ce que contenait le paquet. Mais il avait beau suivre, de la pointe de sa bottine, le contour de l’objet dissimul'e sous une toile grise, il ne parvenait `a soupconner quoi que ce soit. `A coup s^ur, `a l’int'erieur de la
La voiture d'evalait les c^otes, montait les rampes, d'evorait les kilom`etres. Fandor croyait `a peine sortir de Paris que Saint-Germain 'etait franchi, Mantes d'epass'e.
Comme on approchait de Bonni`eres, le journaliste qui, les yeux fixes, contemplait l’infini de la route comme si, `a quelque d'etour du chemin, il allait pouvoir jeter un coup d’oeil sur le but r'eel de ce voyage inattendu, sentit que l’abb'e l’observait sous ses paupi`eres `a demi closes.
— Il m’ennuie, pensa Fandor.
Et, se tournant vers le pr^etre :
— Vous voil`a r'eveill'e, monsieur l’abb'e ? Vous h'esitez `a ouvrir les yeux ?
— Je me demandais o`u nous 'etions…
— Nous arrivons vers Bonni`eres.
— Ah ! bon…
Du coup, le pr^etre se redressa tout `a fait et, soudainement, en pleine possession de lui-m^eme, rejeta dans le fond de la voiture la couverture qu’il avait conserv'ee jusqu’alors enroul'ee autour de ses jambes.
— Faites comme moi, caporal, ordonna-t-il… Jetez votre plaid sur notre colis, sans le plier… Comme cela, nul ne pourra se douter de la pr'esence de ce paquet.
— Il ne faut donc pas qu’on le voie ? demanda Fandor de l’air le plus b^ete qu’il lui 'etait possible de prendre.
Le pr^etre haussa les 'epaules :
— Bien entendu, il ne faut pas qu’on le voie ! Et `a Bonni`eres, il importe de toujours se m'efier : les gendarmes sont impitoyables et arr^etent toutes les automobiles, pour exc`es de vitesse…
Fandor ouvrit de grands yeux et, se gardant de parler, questionnait du regard son compagnon.
— Ah ca ! fit le pr^etre, agac'e de cette persistante interrogation, mais vous ne comprenez donc rien, caporal Vinson ? Je vous croyais plus perspicace… Mes moindres paroles ont l’air de vous jeter dans une stup'efaction absolue !… C’est `a d'esesp'erer d’arriver `a vous former jamais !… Ah ! voici Bonni`eres, traversons la ville sans rien dire. Sit^ot sur la grand-route, je vous donnerai quelques explications qui vous seront utiles…
Le village n’'etait pas d'epass'e depuis trois minutes, en effet, que le pr^etre se tournait vers Fandor :
— Dites-moi, caporal, faisait-il apr`es s’^etre assur'e que, dans le vent de leur route, dans le bruit de la machine, il 'etait impossible que le m'ecanicien p^ut entendre ses paroles, dites-moi, caporal, que croyez-vous qu’il y ait dans ce paquet ?
— Mon Dieu, monsieur l’abb'e…
— Caporal, il y a tout bonnement l`a-dedans la fortune pour vous et pour moi… une pi`ece d’artillerie, le d'ebouchoir du 155-R, le canon `a tirs rapides…, vous saisissez l’importance ?… Nous allons coucher ce soir dans les environs de Rouen… demain matin, de tr`es bonne heure, nous repartirons pour Le Havre… l`a, caporal, comme moi je suis connu et qu’il serait dangereux que je me fasse rencontrer, nous nous s'eparerons, vous irez avec le m'ecanicien au Nez d’Antifer… et vous y trouverez une petite barque de p^eche dont je vous donnerai le signalement, conduite par un matelot ami… vous n’aurez qu’`a lui livrer ce paquet… il prendra le large et le remettra, en pleine mer, `a qui de droit…
Abasourdi par la gravit'e des r'ev'elations que le pr^etre lui faisait ainsi, terrifi'e, Fandor resta silencieux quelques instants.
— Bon ! pensa-t-il soudain, si les choses se passent ainsi, je sais bien ce que je ferai, ce qu’il faudra absolument que je fasse… trouver un moyen, entre Le Havre et le Nez d’Antifer, de faire dispara^itre ce d'ebouchoir, qui d’ailleurs ne doit en rien ressembler `a mon dessin… Quel que soit l’int'er^et de mon enqu^ete, je ne peux pas 'evidemment risquer de livrer `a l’ennemi, `a l’'etranger, au moins, une pi`ece semblable…
— Et maintenant, j’imagine, caporal, que vous ^etes parfaitement renseign'e et que vous comprenez l’inconv'enient qu’il y aurait pour vous, plus encore que pour moi, puisque vous ^etes militaire, puisque vous ^etes en tenue, `a ce que l’on ouvr^it ce paquet…
— La situation se complique bizarrement, se dit Fandor. Ce maudit cur'e me tient dans ses filets, sans que je ne puisse rien pour me d'efendre… bon gr'e, mal gr'e, il faut en effet que je le suive… En civil, j’aurais le droit d’aller au premier bureau militaire annoncer que j’ai d'ecouvert qu’un abb'e allait livrer une pi`ece d’artillerie… J’agirais alors sous ma v'eritable qualit'e de Fandor, je dispara^itrais en tant que Vinson, et le tour serait jou'e… mais en tenue, que faire ? On m’accuserait certainement de m’^etre livr'e `a de myst'erieux trafics, on me coffrerait… j’aurais toutes les peines du monde `a me faire relaxer avant six mois… D’ailleurs…
Il lui semblait bizarre, de plus en plus, que ce f^ut `a lui, lui, caporal Vinson de Verdun – il en revenait toujours `a cette id'ee – que l’on s’adress^at pour une semblable mission. Assur'ement, les espions poss'edaient mille autres agents susceptibles de se tirer avec honneur de la p'erilleuse commission qui consistait `a remettre `a la barque du Nez d’Antifer le d'ebouchoir vol'e…
J'er^ome Fandor sentit un frisson de terreur lui courir au long de l’'echine.
— Nom de Dieu, songea-t-il, si jamais cet individu-l`a me bernait ?… si hier, aujourd’hui, n’importe quand, je m’'etais trahi ? si ces gens s’'etaient apercu de ma v'eritable identit'e ? si, sachant que je ne suis pas Vinson et… et… que je suis Fandor ils avaient invent'e cette ruse abominable… me faire mettre en tenue, jeter dans une voiture un m'ecanisme d’artillerie dont la pr'esence soit compromettante et s’en aller me livrer `a Rouen, ou ailleurs, `a l’autorit'e militaire ?…