L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— M. Sibelle ? s’'ecria le chef de la S^uret'e, qui paraissait tout 'etonn'e. Vous avez besoin de M. Sibelle, le directeur de la brigade de surveillance des jeux ?
— Mon Dieu, oui fit Juve qui, fixant M. Havard de son regard net et pr'ecis, d'eclara apr`es un silence :
— Oui, j’ai la conviction que c’est dans les milieux qui sont familiers `a M. Sibelle qu’il va falloir orienter nos recherches. Et cela sans plus tarder. D`es ce soir. Le temps presse !
11 – L’INCENDIE DU TRIPOT
— Voyons, messieurs, mesdames, la partie recommence : d'ep^echons ! Les cours sont forts, je mets la banque aux ench`eres : qui en veut `a trente, quarante, quarante-cinq louis ?
Dominant le murmure confus de la foule qui s’empressait autour du personnage qui tenait ces propos, une voix s’'eleva :
— Quarante-cinq louis.
— Vous entendez, messieurs, mesdames, reprit le premier interlocuteur, on a dit quarante-cinq louis ! N’y a-t-il personne qui veuille mettre plus ? Voyons, la banque vient de traverser une mauvaise passe, elle est certaine de gagner maintenant.
— Cinquante louis !
— Qui dit cinquante louis ?
Une voix f'eminine s’'eleva :
— Moi.
Le personnage qui faisait les offres et poussait ses auditeurs `a surench'erir 'etait un petit homme tr`es brun, aux allures remuantes, `a l’aspect 'etranger. Il s’exprimait avec un fort accent italien et ne pouvait prononcer une parole sans l’accompagner perp'etuellement de gestes aussi inutiles qu’expressifs. Il sauta de joie en entendant 'emettre une proposition `a cinquante louis et, tr`es ardent `a obtenir mieux encore, il d'eclara :
— Nous allons avoir une partie superbe ! Il faut que la Banque prenne sa revanche. Voyons, mesdames, messieurs, je suis s^ur que je vais trouver preneur `a plus de cinquante louis… mettons cinquante-cinq.
Le bruit se faisait plus confus, plus intense, toutefois, nul ne mettait de surench`eres. Il se passa quelques instants pendant lesquels le personnage `a l’accent italien sembla ne rien trouver `a dire, ce dont il se consolait en gesticulant et en parcourant le salon d’un bout `a l’autre, sans but apparent.
Il revint pr`es de la table de jeu et, r'esolu cette fois `a ne pas tarder plus longtemps, il allait adjuger la Banque au dernier ench'erisseur lorsque quelqu’un appela d’un ton autoritaire :
— Mario Isolino [12] !
Le petit homme bondit, et avec une rapidit'e merveilleuse sauta sur la chaise la plus voisine de lui, il prof'era :
— Quel est le signor qui me demande ?
Une voix grave, celle qui, quelques instants auparavant venait de prononcer son nom, reprit :
— Mario Isolino inscris-moi, je prends la banque `a cent louis !
L’Italien faillit d'egringoler du haut de sa chaise tant il paraissait `a la fois heureux et stup'efait. Et, tout en s’efforcant de rattraper son 'equilibre compromis, en faisant de grands moulinets avec ses petits bras, il r'ep'eta sur un ton v'eritablement admiratif et inspir'e :
— Ah quelle superbe partie nous allons voir, mesdames et messieurs ! Il y a preneur `a cent louis et c’est encore le Prince qui va tenir la banque.
Cette derni`ere d'eclaration d'eterminait de nombreux commentaires dans l’assistance et la conversation prenait d'esormais un ton plus cat'egorique, plus accentu'e. On s’'etonnait, en effet, de voir un homme mettre autant d’acharnement `a d'efier le sort.
Le Prince qui venait de s’inscrire pour prendre la banque `a cent louis 'etait, en effet, l’un des joueurs les plus malheureux que l’on e^ut vu depuis trois ou quatre soirs. Au cours des derni`eres soir'ees, il avait perdu des sommes colossales sans interruption pour ainsi dire ; mais il ne se d'ecourageait pas, et sit^ot la banque saut'ee entre ses doigts, il en reprenait une autre sans tenir compte des comp'etitions qui pouvaient se produire. Il surench'erissait toujours `a seule fin de rester ma^itre de la situation.
Le Prince, au bout de quelques instants, vint donc s’asseoir `a la place r'eserv'ee au banquier. D’un geste plein de nonchalance, il tira de la poche de son habit une liasse de billets qu’il jeta d'edaigneusement `a Mario Isolino.
— De la monnaie, ordonna-t-il, et des cartes neuves.
Cependant, all'ech'es par la guigne persistante de la banque, les joueurs venaient nombreux autour du tapis vert et sur chacun des tableaux, des louis s’accumulaient.
On consid'erait avec un certain respect ce banquier, ce personnage que l’on ne connaissait uniquement que par son titre, et qu’on appelait commun'ement
C’'etait un homme d’une cinquantaine d’ann'ees environ, robuste, 'el'egant, v^etu avec minutie et qui portait, `a la mode des hommes du second Empire, le large favori 'epanoui sur la joue, cependant qu’une 'epaisse moustache grisonnante 'etait soigneusement fris'ee sur sa l`evre sup'erieure.
Quiconque aurait consid'er'e le d'ebut de cette partie avec un but autre que celui de conna^itre le r'esultat imm'ediat du jeu n’aurait pas 'et'e sans remarquer que, depuis qu’il se faisait le banquier b'en'evole de cette succession de parties, le Prince changeait r'eguli`erement des liasses de billets de banque neufs contre des pi`eces d’or. Enfin, si l’on avait examin'e avec attention ces billets, on se serait apercu qu’ils comportaient les caract'eristiques particuli`eres du genre de celles que Juve, le matin de cette journ'ee avait signal'ees `a M. Havard, chef de la S^uret'e.
***
Dans ce cercle de la rue Fortuny, fonctionnait une entreprise clandestine de jeux de hasard et il fallait, pour ^etre admis, s’^etre recommand'e de quelque habitu'e et ^etre pr'esent'e par un personnage garantissant que vous n’apparteniez point `a la police. La client`ele se renouvelait peu et si les joueurs, sans cesse pourchass'es et troubl'es par l’incursion des autorit'es, changeaient fr'equemment de local, le m^eme petit groupe se retrouvait assez r'eguli`erement dans les h^otels ou appartements qu’il leur fallait occuper, puis abandonner, pour 'echapper aux poursuites.