L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Vers onze heures du soir, Juve et M. Sibelle s’'etaient rencontr'es `a la Pr'efecture de police, puis ils avaient pris un fiacre qui les avait descendus `a l’entr'ee du parc Monceau. Ils avaient alors quitt'e leur v'ehicule. Les deux hommes s’acheminaient lentement dans la direction de la rue Fortuny. Au bout de quelques instants, Sibelle interrogea :
— Je suis fort heureux, mon cher Juve, de vous pr^eter mon appui ce soir, puisque vous estimez en avoir besoin. Mais je me demande `a quoi je pourrai vous servir ?
— Vous le verrez bien, r'epliqua Juve qui ne paraissait gu`ere soucieux de s’ouvrir `a M. Sibelle.
Loin de r'epondre `a ses questions il l’interrogeait :
— Vous ^etes s^ur, monsieur Sibelle, demanda-t-il, du lieu de rendez-vous qu’ont choisi et qu’ont adopt'e les gens dont je vous ai donn'e le signalement ?
Le chef de la brigade des jeux hocha la t^ete :
— Je connais leur repaire, fit-il. Ils y sont install'es depuis douze jours, c’est dans ce petit h^otel de la rue Fortuny dont vous apercevez d’ici les toitures pointues. Je ne leur ai pas encore rendu visite, mais, les ayant expuls'es d’une maison de la rue Legendre, j’ai eu connaissance, par mes inspecteurs sp'eciaux, de leur installation rue Fortuny, voici d'ej`a trois ou quatre jours. Nous allons pouvoir op'erer une descente et, s’il y a lieu pour vous, de proc'eder `a des arrestations. Je vous pr^eterai main forte. Quant `a moi, je me contenterai de la saisie des jeux et de la vente du mobilier que j’effectuerai d`es demain sans difficult'e, j’ai d'ej`a l’acheteur.
Juve regarde son coll`egue avec un certain 'etonnement :
— Vos facons de proc'eder m’'etonnent un peu, dit-il. Elles ont l’air d’^etre r'egl'ees `a l’avance comme une sc`ene de com'edie. Avant d’avoir lev'e le rideau, vous connaissez l’intrigue et m^eme le d'enouement.
— C’est parfaitement exact et que voulez-vous y faire ? Les tenanciers des tripots clandestins et leur client`ele connaissent la loi aussi bien que nous, pour ne pas dire mieux. Lorsque nous avons saisi les esp`eces et reconnu que les personnes pr'esentes justifient de leur identit'e, nous sommes oblig'es de rel^acher tout le monde. L’h^otel est toujours lou'e `a la journ'ee, les meubles ne valent rien et, sit^ot qu’on en ordonne la mise en vente, je me trouve en pr'esence d’un acqu'ereur qui rach`ete le tout `a un prix tr`es suffisant. Inutile de vous dire, mon cher Juve, que cet acheteur n’est autre que le tenancier pinc'e la veille et que nous le retrouverons le lendemain au plus tard, avec le m^eme mobilier, dans un 'etablissement similaire [15].
— Je me rends compte, en effet, qu’il s’agit d’une simple com'edie. Le seul int'er^et des descentes de police du genre de celles que nous allons faire est de permettre, occasionnellement, la capture de quelque malfaiteur, si parfois il s’en trouve dans la client`ele de ces tripots.
— C’est rare, car, voyez-vous, les joueurs constituent un monde tr`es ferm'e qui fait sa police lui-m^eme et dans lequel se m^elent rarement des voleurs ou des bandits de droit commun. Je fais exception pour ce qui concerne les grecs [16], les tricheurs de toute esp`ece contre lesquels nous ne pouvons pas s'evir.
Cependant les deux hommes 'etaient arriv'es devant le petit h^otel de la rue Fortuny d'esign'e par M. Sibelle. Tout paraissait y ^etre fort calme. Par les fen^etres closes ne filtrait aucune lumi`ere et il semblait au premier abord que dans cette maison aux allures bourgeoises on devait ^etre profond'ement endormi.
`A l’extr'emit'e de la rue se profilaient quelques silhouettes de passants aux allures innocentes.
M. Sibelle murmura `a l’oreille de Juve :
— Ce sont mes hommes qui veillent.
`A la porte du petit h^otel, il sonna trois coups puis un quatri`eme qu’il prolongea. Il observa en souriant :
— Je connais le signal des habitu'es pour se faire ouvrir.
M. Sibelle ne se trompait pas. Quelques instants apr`es la porte s’entreb^aillait. Le visage glabre et m'efiant d’un laquais se profila, mais cela ne dura qu’une seconde. L’homme avait entrevu M. Sibelle et, d’un geste brusque repouss'e le battant de la porte. Le chef de la brigade des jeux, qui s’attendait 'evidemment `a ^etre reconnu, avait pr'evenu ce mouvement. Il avait engag'e sa canne entre les deux battants. La porte ne pouvait plus se refermer. Cependant que, d’une pouss'ee violente il faisait reculer le laquais et s’'elancait `a l’int'erieur de la maison suivi de Juve, M. Sibelle donnait un coup de sifflet. Aussit^ot, accourant vers l’h^otel, une s'erie d’individus jusqu’alors dissimul'es dans la rue Fortuny apparaissaient et venaient se mettre aux ordres du chef.
Le laquais n’avait pas essay'e de r'esister et d'esormais immobile `a l’entr'ee du couloir qui pr'ec'edait l’escalier, il attendait, le visage impassible, sans prof'erer une parole. Toutefois, lui aussi avait siffl'e et en l’entendant faire ce signal, M. Sibelle eut un geste de d'epit.
— Nous sommes br^ul'es, grommela-t-il en se penchant vers Juve.
L’'electricit'e `a ce moment s’'eteignait mais le chef de la brigade des jeux, suivi de ses hommes, bondit au premier 'etage.
— Lumi`ere ! ordonna-t-il.
Un agent tirait de sa poche une petite lanterne 'electrique et M. Sibelle, au moment de p'en'etrer dans la salle, se contentait de tourner le commutateur pour 'eclairer `a nouveau la pi`ece.
Juve ne put retenir un cri de stup'efaction.
— Par exemple, fit-il, c’est enfantin ! Pour s’assurer l’obscurit'e, ces gens se contentent d’'eteindre sans couper les fils ?
— Parfaitement, r'epliqua M. Sibelle. Ils n’ont pas l’astuce de vos clients, monsieur Juve, et comme ils savent qu’ils ne redoutent pas grand-chose, leur seule pr'eoccupation est de ne point faire de d'eg^ats qui pourraient leur nuire aupr`es du propri'etaire. Vous allez voir, poursuivit-il, comme les choses se passent gentiment.
La client`ele, en effet, 'etait rest'ee `a peu pr`es au complet dans la salle de jeu et M. Sibelle s’approcha des uns et des autres et, les d'evisageant, interrogea au hasard, semblait-il, quelques-unes des personnes pr'esentes, se contentant en r'ealit'e de prendre les noms et adresses des seules personnes qu’il ne connaissait pas.
Juve d’ailleurs 'etait bien trop document'e sur les personnalit'es parisiennes pour ne point conna^itre, tout au moins de nom, celles qui se trouvaient l`a. T'emoin simplement de ce qui se passait, n’ayant pas `a intervenir au point de vue de l’infraction aux lois sur le jeu, il 'ecoutait son coll`egue qui op'erait avec d'elicatesse et d'esinvolture.
M. Sibelle avait not'e sur son carnet les noms qu’il relevait, accompagnant chaque indication d’un petit commentaire.
Il s’approcha de la demi-mondaine Chonchon qui riait aux 'eclats :
— Un peu plus de tenue, je vous en prie, recommanda M. Sibelle, puis il ajoutait `a mi-voix :
— Si tu continues de la sorte, ma fille, tu finiras sur la paille.
Mais la demi-mondaine sortait triomphalement de son r'eticule une liasse de billets de banque.
— Pensez-vous ! cria-t-elle 'etourdiment. On ramasse tout ce qu’on veut comme galette en ce moment.