L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— Oui c’est moi.
Le journaliste avait perdu tout son entrain, et son visage, `a l’expression s'ev`ere, signifiait qu’il avait `a parler s'erieusement avec le policier.
Les deux hommes s’'ecart`erent de la foule. Fandor interrogea :
— Je suppose bien, Juve, que, malgr'e vos apparences mondaines, vous ^etes venu ici dans un autre but que celui qui consistait simplement `a faire tournoyer des jeunes filles dans une 'epouvantable cohue, `a vous faire 'ecraser les orteils par un tas de croquants et `a essayer en vain d’approcher un buffet inaccessible ? Si l’homme du monde est pr'esent `a cette f^ete, le policier s’y trouve 'egalement plut^ot deux fois qu’une ?
— D’accord, o`u veux-tu en venir ?
— `A vous faire dire ceci, Juve : que vous recherchez quelqu’un, une ou plusieurs personnes et que vous esp'erez, de cette enqu^ete, tirer de pr'ecieux renseignements sur les affaires qui nous pr'eoccupent.
— C’est vrai, reconnut Juve, qui ajoutait `a voix basse : J’ai retrouv'e ici le milieu de la rue Fortuny, de m^eme que rue Fortuny, j’avais d'ecouvert des gens devenus suspects `a la suite du vol effectu'e `a la Banque de France par Fant^omas. De l`a, je conclus que je finirai bien par prendre, dans un immense coup de filet, tous ceux qui, de pr`es ou de loin, constituent la bande 'enigmatique et formidable de notre adversaire.
— Je le savais, et d’ailleurs, tandis que vous 'etiez en train de flirter avec la charmante Am'ericaine qui nous recoit, j’ai moi-m^eme remarqu'e ici quelques silhouettes assez int'eressantes, quelques personnages inattendus. La comtesse de Blangy est dans nos murs.
— Je le sais, mais ce n’est pas elle qui m’int'eresse surtout.
— Parbleu, mieux vaut toujours s’adresser `a Dieu lui-m^eme qu’`a ses saints.
— Et Dieu, en l’esp`ece, pourrait bien ^etre le diable, ou tout au moins…
— Tout au moins, lui, n’est-ce pas ?
— Tais-toi, Fandor, je vois que tu penses comme moi. As-tu remarqu'e quelque chose ? J’ai la persuasion qu’il est ici, et voici deux heures que, sans interruption, j’examine tous les visages, j’'epie les gestes de tous les gens qui me paraissent suspects. As-tu un indice ?
— Que feriez-vous, Juve, si tout d’un coup, ailleurs, ou m^eme dans ce salon, vous vous trouviez en pr'esence de notre adversaire ?
— J’ai souvent chang'e d’avis `a ce sujet, mais d'esormais, ma d'ecision est prise. Irr'evocable. Les demi-mesures ne nous ont pas r'eussi : si Fant^omas se dressait en face de moi en ce moment, je l’abattrais comme un chien en lui logeant cinq balles dans la t^ete.
— Ah, fit Fandor, qui continua : Juve, avez-vous jamais vu Fant^omas masqu'e ?
— Ah c`a, Fandor, que signifie cet interrogatoire ? Tu me poses l`a des questions auxquelles tu pourrais r'epondre aussi bien que moi.
— R'epondez-y, je vous en prie, insista Fandor, et si j’ai l’air de dire des na"ivet'es, n’en tenez pas compte. Je suis oblig'e de faire actuellement une d'eduction compliqu'ee et j’ai besoin de votre appui pour cela. 'Ecoutez-moi bien, Juve, et r'epondez : d'efinissez-moi Fant^omas masqu'e.
Le policier haussa les 'epaules :
— Tes questions sont stupides, mais j’y r'eponds tout de m^eme. Donc, Fandor, Fant^omas, ind'ependamment des nombreux d'eguisements sous lesquels il se cache, appara^it fr'equemment `a ses victimes, ou `a nous-m^emes, soit le visage dissimul'e derri`ere un loup noir, `a la mani`ere des dominos de carnaval, soit la t^ete envelopp'ee dans une sorte de cagoule, aussi sombre que la nuit, comme en portent les p'enitents des couvents d’Italie.
— Je vais vous poser encore une question, Juve : Avez-vous une id'ee quelconque sur la facon dont Fant^omas se fixe cette fameuse cagoule autour de la t^ete ?
De plus en plus surpris, le policier regardait son ami, pour t^acher de comprendre o`u il voulait en venir. Mais Fandor gardait un visage impassible.
— Je n’en sais rien. Peut-^etre fixe-t-il cette cagoule autour de sa t^ete avec un lacet, avec un 'elastique ?
— Avec un 'elastique avez-vous dit ? Ah tant mieux. Encore une question, Juve : Avez-vous 'et'e enfant, autrefois ?
— Fandor, tu as certainement bu trop de champagne.
— Je vous jure, Juve, que mon gosier est aussi sec que l’amadou de votre briquet. Je me r'ep`ete : avez-vous 'et'e enfant ?
— J’ai 'et'e enfant. Il y a longtemps…
— Vous avez, comme tous les gosses, port'e de grands chapeaux dont on assurait la stabilit'e sur votre t^ete au moyen d’un 'elastique qui vous passait sous le menton.
— C’est vrai.
— Et, lorsqu’on vous ^otait votre chapeau, si l’'elastique s’en allait avec, il restait n'eanmoins sur votre peau les traces de ce lien, c’est-`a-dire une sorte de petit filet rouge, imperceptible, durant peu de temps, mais visible tout de m^eme.
— Oui. Alors ?
— Alors, j’aime `a croire qu’un homme qui a l’habitude de porter une cagoule serr'ee autour de son cou par un 'elastique, peut avoir `a l’occasion, comme les enfants, ce petit filet rouge esquiss'e sur la peau. D`es lors, Juve, cherchez autour de vous, et regardez.
Le journaliste n’en dit pas plus. Une apparition blonde venait rompre son entretien avec le policier. C’'etait Sarah Gordon qui, s’adressant `a Fandor que Juve lui pr'esentait, demandait au journaliste :
— Monsieur, ayez donc l’obligeance de m’offrir votre bras, pour traverser ce salon. C’est tr`es amusant, je suis chez moi, c’est-`a-dire que tous ces gens sont mes invit'es et cependant je connais tr`es peu de monde. Je ne puis cependant m’approcher du premier venu et lui dire de me servir de cavalier. Vous ^etes un des rares qui m’aient 'et'e pr'esent'es.
Juve perplexe, se demandait cependant :
— Que signifie l’attitude de cette femme ? V'eritablement, elle arrive toujours au moment o`u il ne le faut pas. `A moins que ce ne soit pr'ecis'ement, au contraire, le moment o`u il le faut. `A son point de vue.
Mais, soudain, Juve tourna les talons et parcourut la galerie. Il sentait son coeur battre : un homme `a la grande silhouette, aux yeux sombres qui s’ouvraient dans un visage de vieillard tout encadr'e de barbe blanche, venait de passer aupr`es de lui et Juve avait 'et'e frapp'e de stupeur. N’avait-il pas remarqu'e sur la nuque de cet homme une sorte de petite ligne rouge, semblable `a la trace de l’'elastique dont Fandor venait de l’entretenir quelques instants auparavant ?