L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— Avec ca, dit-il, j’aurai encore l’air de quelque chose.
Le p`ere Coutureau se regarda dans une glace et parut satisfait : habilleur, accessoiriste, il 'etait encore second r'egisseur et m^eme figurant au Th'e^atre Ornano. Il portait `a ce moment-l`a, une sorte d’uniforme qui pouvait passer pour une tenue de g'en'eral. Il sortit de la r'egie, appela autour de lui :
— Venez vous autres. On va lever dans quelques instants ! Attention au d'efil'e !
Quatre individus, v^etus en soldats coloniaux, dont l’uniforme consistait simplement en casques de m'etal que l’on avait recouverts de toile blanche, s’approch`erent, 'ecoutant les instructions du chef :
— Vous entrez c^ot'e cour, vous sortez c^ot'e jardin, d'eclarait-il, l’un derri`ere l’autre, en marchant au pas, puis sit^ot fait, vous passez derri`ere la toile de fond pour revenir c^ot'e cour et recommencer. Vous pensez bien qu’il faut d'efiler plusieurs fois, les affiches annoncent une arm'ee de cent cinquante hommes. Or, moi compris, nous sommes sept. Bien entendu, faudra changer vos attitudes, et au besoin vos costumes.
— Mais, fit remarquer un figurant, nous n’en avons pas de rechange.
— Qu’est-ce que cela fait ? Changez tout au moins de casque entre vous. Cela vous fera des physionomies diff'erentes, les uns auront un casque trop petit, les autres un casque trop grand, ca sera tr`es bien. Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’on me veut ?
Le concierge du th'e^atre, qui venait d’arriver, tirait le p`ere Coutureau par le bras.
— Dis donc, fit-il, il y a comme ca deux types qui demandent `a te parler.
— Penses-tu que j’ai le temps en ce moment ? Dis qu’ils repassent !
— Para^it que c’est urgent poursuivit le concierge, c’est rapport `a ta m^ome.
— Qu’est-ce qu’ils peuvent bien me vouloir ? Si c’est rapport `a Rose, ils n’ont qu’`a s’adresser `a elle, directement, elle doit ^etre en train de se fringuer, puisqu’elle est du premier tableau. Dis-leur la quatri`eme loge dans l’escalier de droite.
— Rose n’est pas l`a, fit le concierge, et les types veulent te voir personnellement.
— Alors, qu’ils montent !
D'ecid'ement, le p`ere Coutureau 'etait un personnage auquel il fallait ob'eir. Le concierge descendait, rendit sa r'eponse aux deux individus qui attendaient.
Le Th'e^atre Ornano 'etait un 'etablissement peu ordinaire. Construit `a la fourche de la rue Clignancourt, tout au sommet de la Butte Montmartre, il avait pour client`ele habituelle, non seulement la petite bourgeoisie du quartier, mais encore les apaches et les r^odeurs du boulevard Barb`es et de la Chapelle. C’'etait un th'e^atre o`u l’on 'etait en famille. Dans la salle, tous les soirs, se faisait une grande consommation d’oranges. On s’interpellait aussi du parterre `a la sc`ene, et r'eciproquement. Il arrivait souvent que des spectateurs ou des spectatrices qui avaient trop d'epens'e d’argent pour venir voir le drame ou la com'edie, se faisaient sans difficult'e embaucher comme figurants ou petits r^oles. De telle sorte que c’'etait un perp'etuel va-et-vient de l’ext'erieur `a l’int'erieur des coulisses. La client`ele, comme la troupe 'etait toujours la m^eme. On se connaissait de part et d’autre de la rampe. Cela cr'eait une atmosph`ere cordiale, une v'eritable intimit'e.
Les deux hommes qui 'etaient venus demander le p`ere Coutureau n’'etaient autres que Narlogne et P'erouzin. Depuis leur sensationnelle capture, les in'enarrables inspecteurs de la S^uret'e 'etaient gonfl'es d’importance et pleins de joie. Ils ne manquaient pas de courage, et tous deux avaient jur'e de justifier la r'eputation de
P'erouzin avait sugg'er'e `a Nalorgne :
— Va falloir ^etre tr`es malins pour faire causer le p`ere de la petite, et lui annoncer la chose en douce. Tirons-lui d’abord les vers du nez, on ne sait jamais. Quoi qu’en ait dit la gamine qui para^it redouter plus que tout la col`ere de son papa, cet homme est peut-^etre un malfaiteur, le complice de sa fille.
— Bien parl'e, approuva Nalorgne. Dans toute affaire de ce genre, il faut avoir 'enorm'ement de circonspection.
Le concierge les faisait monter par un 'etroit escalier dans lequel ils tr'ebuchaient, puis les deux inspecteurs d'ebouch`erent dans ce que l’on appelait au Th'e^atre Ornano « les coulisses », c’est-`a-dire dans le local le plus exigu et le plus innommable qu’il f^ut possible d’imaginer. Du premier coup, P'erouzin, en surgissant sur le plateau, remarquait qu’il y avait tout autour de lui un tas de petites femmes fortement maquill'ees et qui jacassaient avec animation, tout en regardant les nouveaux venus, en se poussant du coude, et en 'etouffant des rires narquois. On entendit m^eme quelques appr'eciations peu flatteuses :
— Oh ben, il en a une binette ! Non, mais regarde-moi ca !
P'erouzin essaya de plastronner, mais il 'etait g^en'e par ces paires de grands yeux moqueurs qui se fixaient sur lui. Quant `a Nalorgne, il soufflait bruyamment, surpris par cette odeur caract'eristique des coulisses de th'e^atres populaires, qui sentent `a la fois l’humidit'e, la parfumerie `a bon march'e, la transpiration et l’'evier sale.
Soudain, un individu v^etu en g'en'eral n`egre se rapprocha des deux inspecteurs de police :
— C’est moi, le p`ere Coutureau, dit-il. Qu’est-ce que vous me voulez ? Grouillez-vous de causer, je n’ai pas le temps.
— C’est au sujet de votre fille, Rose Coutureau.
Nalorgne s’interrompit pour graduer ses effets, agir avec d'elicatesse. Il reprit enfin :
— Elle ne viendra pas au th'e^atre ce soir.
— Ah, s’'ecria le p`ere Coutureau, et pourquoi nom de Dieu ?
— Parce que, d'eclara P'erouzin, elle vient d’^etre arr^et'ee en flagrant d'elit de vol.
Le p`ere Coutureau devint 'ecarlate. Il agita f'ebrilement son sabre de bois, regarda les deux inspecteurs avec stup'efaction :
— Ah nom de nom !
Il se retourna :
— Attention, vous autres, au d'efil'e ! ordonna-t-il aux six figurants affubl'es de casques. Puis, regardant les inspecteurs :
— Ah nom de nom de nom, la salope !
Il avala sa salive, fit un effort pour articuler des mots qui ne sortaient point de sa gorge contract'ee, puis posant la main sur l’'epaule de P'erouzin, il d'eclara famili`erement :
— Eh bien, ca devait arriver ! La sacr'ee gamine tourne mal, depuis quelque temps. C’est pas 'etonnant d’ailleurs. `A force de se galvauder comme elle le fait et de se m^eler au monde des fripouilles, c’'etait obligatoire. Quand on fr'equente le monde, on ramasse la frotte [22], c’est-y pas vrai ? Mais au fait, qu’est-ce que vous en savez, vous autres ?