L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Encore une fois, Nalorgne r'epondit :
— Non.
P'erouzin allait protester, puis il r'efl'echit qu’une altercation ne servirait `a rien, sinon `a le ridiculiser, lui et son coll`egue. L’ancien notaire 'etait de bonne composition et peu partisan des discussions.
— Si Nalorgne me refuse la clef anglaise, pensa-t-il, c’est qu’il doit avoir ses raisons pour cela. Peut-^etre a-t-il peur de se salir les mains ?
Et, brave homme, P'erouzin se tira, non sans peine, de dessous l’automobile. Il allait monter sur le marchepied de la voiture pour fouiller sous les coussins et en retirer l’outil qui lui 'etait n'ecessaire, lorsque Nalorgne lui fit un signe, cependant qu’il murmurait imperceptiblement :
— Laissez donc cela tranquille, venez et regardez…
P'erouzin obtemp'era : il suivit des yeux le doigt de Nalorgne qui lui d'esignait quelque chose, quelqu’un plut^ot, dans la foule amass'ee devant les 'etalages de Paris-Galeries.
— Voyez-vous, poursuivit myst'erieusement Nalorgne, cette toute petite personne brune, aux cheveux 'ebouriff'es, qui a l’air de s’int'eresser vivement `a l’'etalage des corsets sold'es `a quatre francs soixante-quinze ?
P'erouzin ouvrit des yeux arrondis de surprise :
— Je la vois, en effet. C’est bien la toute petite femme, celle qui a plut^ot l’air d’une gamine, d’une fillette ?
— C’est cela m^eme.
— Ce n’'etait pas la peine de me d'eranger. J’ai 'enorm'ement `a faire sous la voiture, si c’est tout ce que vous aviez `a me dire… Je suis 'etonn'e qu’un inspecteur de la S^uret'e comme vous, qui, en outre, est un ancien pr^etre, tombe ainsi en arr^et devant la premi`ere petite bonne femme venue et croit n'ecessaire de d'eranger ses coll`egues de leur travail.
— Vous serez toujours plus b^ete que nature, P'erouzin, fit-il, et je me demande comment j’ai pu autrefois m’associer avec vous pour monter un bureau d’affaires.
— Qui n’a pas r'eussi, d’ailleurs…
— Regardez-la ! Sacr'ee gamine, va ! Voyez-vous ce qu’elle va faire ?
— Je devine, elle va faire un coup, un mauvais coup. Sans doute chiper quelque chose `a l’'etalage ?
L’ex-notaire suivit curieusement des yeux la gamine qui, apr`es avoir examin'e sans grande attention les corsets, passait au rayon de fleurs et plumes, semblant s’int'eresser vivement aux d'eclarations enthousiastes que faisait le vendeur pr'epos'e `a l’'ecoulement de cet article. Mais, cependant qu’elle regardait ainsi, ses mains, qu’elle dissimulait sous une sorte de p`elerine, allaient et venaient autour d’elle, ses doigts 'ecart'es fr^olaient sans cesse les gens qui se trouvaient `a proximit'e. La gamine aux cheveux 'ebouriff'es semblait se pr'eoccuper particuli`erement de suivre de tr`es pr`es une dame fort 'el'egante qui s’int'eressait, elle, aux objets expos'es.
— Attention, ca va y ^etre dans un instant. Voyez plut^ot !
La gamine s’'etait rapproch'ee de plus pr`es encore de la grande dame. Celle-ci portait suspendu `a la saign'ee du coude, un r'eticule qui battait le long de sa jupe. Il 'etait `a peu pr`es `a quarante centim`etres au-dessus du sol.
La petite femme, soudain, profitant d’une l'eg`ere bousculade, laissa tomber son mouchoir sur le trottoir, et avec un geste fort naturel, se pencha pour le ramasser, mais en m^eme temps, plus rapide que l’'eclair, elle avait ouvert le r'eticule de sa voisine, elle y plongeait une main, petite main adroite, qu’elle retirait aussit^ot ; puis, de l’air de la plus parfaite innocence, elle s’'ecarta, fit quelques pas dans la direction oppos'ee.
P'erouzin n’avait rien vu, mais lorsque Nalorgne lui eut dit :
— J’ai compris, en effet. Cette petite personne a ramass'e un objet par terre, mais il n’y a pas d'elit. C’est son mouchoir qui lui appartenait.
— Et dire, grommela-t-il, que c’est `a des gens comme ca que l’on confie la surveillance de Paris ! Mon cher P'erouzin, nous allons faire une capture sensationnelle, entendez-vous ? Et pour r'eussir compl`etement, nous ne sommes pas trop de deux. 'Ecoutez, ob'eissez-moi : vous allez aborder cette grande dame 'el'egante qui s’en va. Vous allez lui dire ceci : « Madame, votre porte-monnaie vient de vous ^etes d'erob'e, mais la police tient la voleuse, veuillez m’accompagner au poste de la rue d’Anjou, et votre argent vous sera rendu. » Moi, de mon c^ot'e, je vais arr^eter la petite femme qui s’est empar'ee de ce porte-monnaie et je serai au bureau de police lorsque vous y arriverez avec la victime. Allez, d'ep^echez-vous !
— Et l’automobile ?
— Elle ne s’en ira pas, soyez tranquille, nous avons assez de peine `a la faire marcher et vous vous y connaissez, du moins on le pr'etend. Songez donc, jamais personne d’autre ne pourra la faire d'emarrer. Et si, par hasard, d’ailleurs, cela arrivait, ce serait une b'en'ediction, car nous en serions d'ebarrass'es.
Ce dernier souhait que formulait Nalorgne 'etait perdu pour P'erouzin qui s’'elancait sur les traces de la grande dame 'el'egante, fort inquiet `a l’id'ee qu’il allait falloir l’aborder et que peut-^etre celle-ci aurait un m'ediocre plaisir `a entrer en conversation avec un homme aussi sale que l’'etait P'erouzin qui venait de passer une demi-heure sous la voiture. Nalorgne, cependant, embo^itait le pas `a la petite femme aux cheveux 'ebouriff'es. Et, tout en la suivant, cependant qu’elle se dirigeait d’un pas assur'e vers la Madeleine, il se r'ep'eta les instructions que lui avait donn'ees jadis son chef supr^eme, M. Havard :
— Le bon agent de la S^uret'e ne doit pas faire de scandale lorsqu’il proc`ede `a une arrestation. Les choses doivent passer inapercues.
Et Nalorgne, estimant qu’il fallait suivre `a la lettre ces instructions, n’aborda point la petite femme avant qu’elle ne se f^ut 'eloign'ee de Paris-Galeries.
Le coeur battait un peu `a Nalorgne, car c’'etait la premi`ere fois, depuis qu’il 'etait inspecteur de la S^uret'e, qu’il allait enfin r'eussir une arrestation. Oh, il 'etait bien trop malin, pensait-il, pour r'ev'eler tout de suite sa qualit'e. D`es lors, pressant le pas, retroussant sa moustache et s’efforcant d’avoir l’air d’un s'educteur, il d'epassa la petite femme et, l’ayant heurt'ee `a l’'epaule pour qu’elle le regard^at, il lui d'ecocha un coup d’oeil si peu 'equivoque, si caract'eristique, que les plus 'ehont'ees professionnelles du trottoir ne l’auraient pas reni'e.
La petite femme le regarda, et, bien qu’elle f^ut fort troubl'ee, faillit 'eclater de rire. Nalorgne, cependant, engageait la conversation :
— Dites donc, mademoiselle…
— Ah, non, tr`es peu ! Quelle caricature !
Nalorgne avait entendu. Ca, par exemple, c’'etait raide. Et instantan'ement, il lui revint `a l’esprit qu’il 'etait inspecteur de la S^uret'e, qu’il incarnait la Puissance, et que laisser quelqu’un se moquer de lui, c’'etait permettre que l’on bafou^at l’autorit'e. D`es lors, changeant brusquement d’attitude, il laissa lourdement sa main s’abattre sur l’'epaule de la gamine, et d’une voix de stentor lui d'eclara :
— Au nom de la loi je vous arr^ete !
L’effet ne manqua pas de se produire. La gamine poussa un cri terrible, essaya de s’arracher `a Narlogne, mais celui-ci la maintenait de ses doigts crisp'es sur son 'epaule. La petite femme se jeta par terre, roulant sur le trottoir, entra^inant dans sa chute le grand inspecteur de la S^uret'e. Un attroupement consid'erable se produisit et aussit^ot, les commentaires de la foule se manifest`erent, peu flatteurs `a l’'egard de cet homme qui brutalisait cette malheureuse :