L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— Nous sommes inspecteurs de la S^uret'e.
Et P'erouzin triomphalement, ajouta :
— C’est nous qui, l’ayant surprise en flagrant d'elit, qui l’avons mise en 'etat d’arrestation.
— Ouais, ca vous va bien `a vous, et vous en avez bien l’air. Ah, saloperie !
P'erouzin demeurait interdit. `A qui s’adressait cette derni`ere insulte ? Le p`ere Coutureau qualifiait-il de « saloperie », sa fille la voleuse, ou l’inspecteur de la S^uret'e qui l’avait arr^et'ee, mise hors d’'etat de nuire, au nom de la soci'et'e ?
P'erouzin se sentait tout 'emu `a l’id'ee qui lui venait soudainement `a l’esprit, `a savoir qu’en effet, il incarnait en personne la d'efense et la protection de cette organisation de l’humanit'e, immense, formidable, que l’on appelle la soci'et'e.
Cependant on avait entendu les deux inspecteurs d'ecliner leurs qualit'es. La foule des artistes et des figurants s’'etaient assembl'ee autour d’eux. On d'eplorait tout bas l’aventure. On plaignait cette pauvre petite Rose Coutureau. Mais soudain, le p`ere Coutureau reprit la parole. Il appr'ehenda un individu qui venait de se glisser entre deux portants :
— Canaille de Beaum^ome, cria-t-il, c’est toi la cause de tout cela !
Se dandinant, l’individu qui jetait un mauvais regard sur son interpellateur, se rapprocha :
— Qu’est-ce qu’on me veut ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ? demande-t-il.
Le p`ere Coutureau, qui, malgr'e la compr'ehensible 'emotion, n’oubliait pas la tradition et se souvenait qu’il 'etait aussi un artiste, eut un geste solennel pour d'esigner aux inspecteurs de la police l’individu qu’il venait d’interpeller. Il tendait le jarret, il bombait le torse, et 'etendait le bras dans la direction du nouvel arrivant :
— Voil`a la cause des malheurs de Rose ! d'eclara-t-il. C’est monsieur, un propre `a rien, un rien du tout qui l’a d'ebauch'ee, alors vous comprenez, la petite, voyant qu’elle 'etait remarqu'ee, a sans doute voulu faire la coquette, se payer des choses de luxe. Comme elle n’a pas les moyens, et que ce n’est pas monsieur qui la fait vivre, elle a vol'e pour ^etre belle. Ah, mis'erable !
D`es lors, le p`ere Coutureau se prit la t^ete dans les mains et sanglota bruyamment en secouant les 'epaules comme on fait au th'e^atre.
Cependant, du lointain, naissait une rumeur sourde d’abord, qui se pr'ecisait de plus en plus. Le p`ere Coutureau reprit ses esprits :
— On s’impatiente dans la salle, fit-il. Le fait est que nous avons dix minutes de retard.
D’un geste autoritaire, il fit signe `a l’amant de sa fille :
— Au rideau Beaum^ome, au rideau ! Je frappe les trois coups, et on va lever.
— Pardon monsieur, interrompit Nalorgne, mais je voudrais avoir un instant d’entretien avec vous.
— Tout `a l’heure ! clama le r'egisseur. Vous pouvez bien attendre, vous voyez bien que je suis occup'e.
D`es lors, tout `a son m'etier, le p`ere de la voleuse se multiplia, oubliant ses soucis personnels pour ne songer qu’`a l’art, dont il allait assurer, une fois encore, la manifestation solennelle.
Quelqu’un dans le groupe des artistes s’enquit aupr`es de P'erouzin du sort que l’on allait r'eserver `a l’infortun'ee petite Rose. C’'etait un jeune homme 'el'egant, bien v^etu, et dont l’apparence distingu'ee contrastait au milieu de ce groupe d’artistes, braves gens sans doute, mais n’appartenant 'evidemment pas `a ce que la profession compte de plus hupp'e.
C’'etait Dick, l’ami, l’amoureux peut-^etre de la riche Am'ericaine du Gigantic H^otel, miss Sarah Gordon. C’'etait lui dont, quelques soirs auparavant, Juve avait 'et'e surpris d’apprendre qu’il appartenait `a ce modeste th'e^atre de quartier, alors qu’il 'etait premier prix du Conservatoire.
— Qu’en a-t-on fait ? demandait Dick, auquel P'erouzin r'epondit :
— Elle est au D'ep^ot, et non pas jusqu’`a demain matin comme cela se passe d’ordinaire, mais pour quarante-huit heures encore, parce que, comme vous le savez, il y a deux jours de f^ete, nous sommes samedi soir, le juge ne l’interrogera que mardi.
— Ne pourrait-on pas, sugg'era l’artiste, d'esint'eresser la personne vol'ee et obtenir la mise en libert'e de la petite ?
P'erouzin h'esitait `a r'epondre, ne sachant trop que dire. Autour de lui, les artistes prenaient cela pour un acquiescement et spontan'es, g'en'ereux, comme ils le sont tous, fouillaient leurs poches, proposaient d’organiser une collecte, de rembourser int'egralement la dame vol'ee, afin que l’on mette tout de suite la pauvre Rose en libert'e. Mais Nalorgne expliquait :
— Il n’y a rien `a faire tant que la plaignante n’aura pas sign'e son d'esistement.
— Quelle est cette plaignante ? demanda Dick.
— La comtesse de Blangy.
***
Cependant, l’assistance houleuse de la salle s’'etait calm'ee. On venait de frapper les trois coups. Le rideau se leva. Il y avait foule ce samedi soir, et si le public au parterre 'etait relativement tranquille, on faisait grand tapage dans les galeries.
'Evidemment, la police aurait pu faire avec profit une descente au Th'e^atre Ornano, dans les loges de face, `a vingt sous la place. Il y avait l`a des gaillards qui, certes, auraient eu beaucoup de choses `a raconter au juge d’instruction. Par exemple : OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz ; Ad`ele, l’ancienne bonne, tr^onait au premier rang d’une loge, cependant que B'eb'e, plac'e `a c^ot'e d’elle, lui faisait des agaceries. Ad`ele, toute fi`ere, d'eclarait :
— Voil`a le rideau qui se l`eve. C’est Beaum^ome. C’est mon amant qui le fait marcher.
On s’esclaffa :
— Ah v'eritablement, ce Beaum^ome 'etait un type pas ordinaire, qui savait tous les m'etiers.
— Le fait est, reconnut Ad`ele, qu’il est rudement costaud, mon homme !
— Ton homme, cr^aneuse, tu te figures donc qu’il est `a toi toute seule ? demanda OEil-de-Boeuf, sournois.
— Sais-tu pas, poursuivit B'eb'e, que s’il est au th'e^atre maintenant, c’est uniquement parce qu’il couche avec la fille du p`ere Coutureau ?