L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— La grande Berthe !
Ce fut le seul nom prononc'e. Rose Coutureau sentit que son coeur s’arr^etait de battre. On appelait seulement la grande Berthe. Qu’est-ce que cela signifiait ?
D une voix d'efaillante, elle r'epondit :
— Pr'esente.
Le gardien la regarda sous le nez.
— C’est toi, la grande Berthe ? fit-il.
— Oui, balbutia Rose Coutureau.
— Eh bien, poursuivait l’homme, ton heure est arriv'ee.
Il consulta une feuille de papier :
— Oui, c’est bien cela, grogna-t-il, vingt-quatre heures de prison, ca y est, elles sont tir'ees, t’es libre, ma fille, passe au greffe donner une signature et d'ebine-toi ensuite.
— Silence, vous autres ! grogna le gardien, car le murmure des bavardages dans la salle du D'ep^ot commencait `a s’accro^itre de facon intempestive.
15 –
— Qu’est-ce que je vais prendre, non mais qu’est-ce que je vais prendre ?
Rose Coutureau qui venait de passer trois jours de cauchemar dans les locaux de la Conciergerie, qui avait 'et'e condamn'ee `a un jour de prison aux lieu et place de la grande Berthe, et qui s’'etait fait reprocher son ivrognerie par un vieux magistrat, ignorant son identit'e, 'etait, au sortir du D'ep^ot, instinctivement rentr'ee chez elle.
Au pr'ealable, toutefois, Rose Coutureau, avant de revenir rue Ramey chez son p`ere, 'etait all'ee au domicile de son amant, l’apache Beaum^ome. Elle voulait le remercier de ce qu’il avait fait pour elle, car la jeune fille naturellement croyait que c’'etait `a lui qu’elle devait sa miraculeuse 'evasion.
Beaum^ome, toutefois, n’'etait pas chez lui. Rose Coutureau se dit :
— 'Evidemment, je suis b^ete. Il est d'ej`a neuf heures du soir, Beaum^ome doit ^etre `a son travail.
En effet, le travail actuel de Beaum^ome consistait dans la manoeuvre du rideau au Th'e^atre Ornano, et la fille de l’habilleur eut un instant l’id'ee de retourner au th'e^atre, dont elle faisait d’ailleurs partie, mais elle eut peur de s’y rendre, craignant les repr'esailles et les reproches de ses camarades. N’'etait-elle pas une voleuse, et n’allait-elle pas ^etre indignement chass'ee du nombre des artistes appartenant `a la troupe ?
Lorsqu’elle r'efl'echissait `a l’acte odieux qu’elle avait commis, Rose Coutureau demeurait atterr'ee. Elle ne comprenait pas comment elle avait eu l’audace et l’astuce de faire un semblable vol. Rien dans son 'education n’avait pu l’orienter du c^ot'e de cet affreux vice et c’'etait spontan'ement, malgr'e elle, pour ainsi dire, qu’avec l’habilet'e d’une professionnelle consomm'ee elle avait fouill'e dans le r'eticule de cette fameuse grande dame, qu’on appelait la comtesse de Blangy, et qu’elle lui avait d'erob'e son porte-monnaie.
Qu’avait-elle compt'e faire de cet argent ? Si elle n’avait pas 'et'e prise, comment l’aurait-elle d'epens'e ? 'Evidemment, Rose Coutureau avait eu un but en volant. Son id'ee 'etait d’acheter `a Beaum^ome une bague que le jeune apache avait d'eclar'e d'esirer.
— Beaum^ome, s’'etait na"ivement figur'e la jeune fille, est mon amant, mais a aussi pour ma^itresse une autre femme. Si je pouvais lui faire cadeau de cette bague, il serait gentil, et peut-^etre arriverait-il `a m’aimer beaucoup…
C’'etait ainsi qu’elle s’'etait d'eshonor'ee, sans y r'efl'echir. Elle avait vol'e.
En sortant de prison, elle alla donc chez son amant et ne le trouvant pas, prit la direction de la rue Ramey, o`u 'etait le domicile de son p`ere. Elle passa en tremblant devant la concierge, toute rougissante `a l’id'ee que cette femme savait sans doute qu’elle 'etait une voleuse, mais la concierge n’avait pas eu l’air de s’apercevoir que la fille de l’habilleur revenait ce soir-l`a apr`es une longue et 'equivoque absence.
Rose Coutureau, parvenue au sixi`eme 'etage, cependant que le coeur lui battait, avait introduit la clef dans la serrure, puis s’'etait install'ee dans le logement, et comme elle avait faim, elle avait profit'e des restes du d^iner de son p`ere.
Puis la jeune fille s’'etait assoupie dans un fauteuil, car elle n’osait pas aller se coucher sans avoir au pr'ealable revu le p`ere Coutureau et eu une explication avec lui.
Cette explication fut rapide mais 'energique et brutale. `A une heure du matin le p`ere Coutureau rentrait l'eg`erement ivre, suivant son habitude. Il apercut sa fille qui sommeillait dans son fauteuil et ne parut pas 'etonn'e de ce retour, ce qui stup'efia Rose.
— Ah bon Dieu, grogna le p`ere Coutureau, te voil`a, petite poison, approche un peu !
En tremblant, courbant le dos, baissant la t^ete, Rose ob'eit, puis se mit `a pousser des cris percants. Le p`ere Coutureau lui administrait une formidable racl'ee.
— Tiens, salope ! Tiens, gamine ! disait-il `a chaque coup. Voil`a qui t’apprendra `a barboter dans les profondes des autres. Canaille ! Tu as d'eshonor'e ta famille. Ah sacr'e bon Dieu ! Je te garantis que tu vas marcher droit maintenant, et que ca ne t’arrivera plus de faire des coups semblables. Jour de Dieu ! Si jamais on m’avait dit que la fille du p`ere Coutureau deviendrait une voleuse…
Le p`ere Coutureau s’interrompit de crier et sa fille soudain s’arr^eta de g'emir. Un mot les avait arr^et'es court. En effet, une voix railleuse et ironique avait prof'er'e :
— Imb'ecile !
Le p`ere Coutureau, furieux, se retourna. Il allait protester, tancer d’importance celui qui se permettait de commenter ainsi son attitude. Le vieil habilleur, en effet, n’aimait point que quiconque se perm^it de lui faire des observations sur la facon dont il traitait sa fille. Mais lorsqu’il apercut son interlocuteur, il ne prononca pas une parole, il demeura immobile, silencieux, interdit.
En face de lui, se dressait la silhouette tragique du personnage qui, l’avant-veille, 'etait d'ej`a venu lui annoncer qu’il allait mettre en libert'e la prisonni`ere retenue au D'ep^ot. C’'etait le m^eme individu, enti`erement v^etu de noir des pieds `a la t^ete, drap'e dans un grand manteau sombre, et dont le visage 'etait dissimul'e sous une 'epaisse cagoule simplement perc'ee de trois trous, deux pour les yeux, le troisi`eme au niveau des l`evres.
— Fant^omas ! balbutia le p`ere Coutureau.