L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Elle avait hurl'e ces injures, et le jeune agent bl^emissait de col`ere. Le brigadier, sous peine de voix s’'evanouir son prestige aupr`es du d'ebutant, ne put faire autrement que d’apostropher s'ev`erement la pierreuse :
— D’abord, dit-il, levez-vous et obtemp'erez aux ordres de l’autorit'e, que je vous dis de rentrer dans votre domicile, sans causer du scandale sur la voie publique.
— Du scandale, nom de Dieu ! Quoi encore ? C’est-y que je fais du mal, c’est bien mon droit de roupiller sur un banc. Une supposition que j’aurais pas de carr'ee, faut pourtant bien que je pieute quelque part ?
La grande Berthe prof'erait ces choses d’une voix 'eraill'ee, d’une langue que l’ivresse semblait avoir rendue p^ateuse. Et de son oeil gouailleur, elle narguait encore les agents.
Le plus jeune la secoua `a l’'epaule :
— Allons, debout, ordonna-t-il, et fiche le camp si tu ne veux pas qu’on t’emm`ene au poste.
— Eh bien, nom de Dieu, jura la pierreuse, je vous en d'efie bien de me mener au poste. Quoi c’est-y que j’ai fait ? A-t-on jamais vu des salauds pareils ? Feignants. Vaches que vous ^etes !
C’en 'etait trop. Le brigadier fit signe `a son coll`egue et les deux agents, prenant chacun la fille par un bras, l’emmen`erent au commissariat voisin.
Dans le bureau de police, ils firent rapidement leur rapport. Le brigadier, de sa grosse 'ecriture, nota sur le papier :
« Scandale sur la voie publique, r'ebellion aux agents. »
Puis, il demanda `a la pierreuse :
— Ton nom ?
— La grande Berthe.
— Tes papiers ? Ta carte [24] ?
— J’en ai pas. Perdus dans le canal voil`a trois jours.
Le brigadier-chef, qui dirigeait le poste, s’'etait rapproch'e des agents qui venaient de proc'eder `a l’arrestation.
— Ca va bien, d'eclara-t-il, ca suffit, puisqu’elle ne veut pas donner son identit'e, on va l’envoyer au D'ep^ot.
Chose curieuse : `a ces derniers mots, la grande Berthe parut tr`es satisfaite d’apprendre le sort qui lui 'etait r'eserv'e.
***
Toutes les femmes arr^et'ees et transf'er'ees des commissariats `a la Pr'efecture en
La foule humaine qui y grouille est bizarre, interlope et cosmopolite. On y trouve une majorit'e consid'erable de loqueteuses et de mendiantes. Puis, aussi, des femmes aux toilettes criardes et luxueuses, de vieilles dames aux apparences correctes, arr^et'ees pour vols dans les magasins. On voit 'egalement des 'etrang`eres, des pierreuses, des romanichelles.
Tout ce monde-l`a bavarde `a voix basse, chuchote, des groupes se forment, des amiti'es se cr'eent, des haines surgissent, c’est l’image de la vie qui se refl`ete dans ce « parc » o`u l’on a « boucl'e » tout ce troupeau humain.
C’est aussi un va-et-vient perp'etuel nuit et jour, car le D'ep^ot, c’est la permanence, le local toujours ouvert pour recevoir les 'epaves rejet'ees par la rue.
Cette nuit-l`a, le D'ep^ot 'etait plus encombr'e encore qu’`a l’ordinaire, car il venait d’y avoir deux jours de f^ete, pendant lesquels les juges d’instruction avaient pris cong'e.
Ainsi donc, les femmes, qui, par malheur pour elles, avaient 'et'e arr^et'ees le samedi, au lieu d’^etre interrog'ees le lendemain, conform'ement `a la loi, et dirig'ees ensuite sur les prisons si elles n’'etaient remises en libert'e, devaient s'ejourner dans ce local odieux en attendant le mardi matin.
La malheureuse Rose Coutureau, arr^et'ee pour vol, 'etait l`a depuis deux jours. Et la gamine, abasourdie, atterr'ee `a l’id'ee de ce qui allait lui arriver, 'etait demeur'ee dans son coin, prostr'ee, indiff'erente `a tout ce qui se passait. En fait, d’ailleurs, depuis deux jours, il ne se passait rien, ou peu de chose.
De temps `a autre apparaissaient des gardiens, qui poussaient dans la salle, une ou plusieurs prisonni`eres. Celles-ci avaient des attitudes diverses. Certaines 'etaient cyniques, d’autres terrifi'ees, quelques-unes, larmoyantes, on en trouvait qui hurlaient leur col`ere, qui pleuraient en protestant de leur innocence, et au bout de quelques instants, tout cela s’apaisait, chacune s’installait de son mieux.
`A midi et `a sept heures, des femmes, des prisonni`eres, condamn'ees `a de l'eg`eres peines qu’elles subissaient au D'ep^ot, aidaient les gardiens `a apporter la nourriture aux d'etenues provisoires.
Rose Coutureau avait `a peine pu toucher `a l’effroyable ratatouille qui lui avait 'et'e servie, et c’'etait ext'enu'ee de fatigue et d’inanition qu’elle avait v'ecu dans la salle du D'ep^ot sa journ'ee du lundi apr`es sa journ'ee du dimanche.
Le mardi matin de bonne heure, une animation nouvelle s’'etait cr'e'ee dans la vaste salle o`u 'etaient parqu'ees les femmes. Des gardiens 'etaient venus, une liste `a la main, et ils appelaient des noms, tandis que des r'eponses s’entrechoquaient :
— Pr'esente, me v’l`a !
— J’m’am`ene !
— Par ici.
— Quoi c’est que vous me voulez ?
Rose Coutureau n’avait pas tard'e `a comprendre que le moment approchait o`u elle allait compara^itre devant le magistrat qui l’interrogerait sur son vol. Ces appels avaient en effet pour but de rassembler les femmes que l’on envoyait aux juges d’instruction.
Il 'etait neuf heures, et un premier groupe avait d'ej`a quitt'e le D'ep^ot, pour monter au cabinet des magistrats ; avant toutefois d’emmener ces femmes, le gardien annonca :
— Dans une heure, j’en emm`enerai d’autres. En voici la liste : tenez-vous pr^etes.
Soudain, Rose Coutureau tressaillit. On venait de prononcer son nom, et elle allait r'epondre comme elle l’avait entendu faire aux autres, lorsque soudain, une voix rogomme et gouailleuse d'eclara :
— Rose Coutureau, pr'esente, c’est moi !
Instinctivement, la fille de l’habilleur tourna la t^ete dans la direction de la personne qui venait d’'emettre cette affirmation. Elle vit une grande femme brune, aux traits fatigu'es, aux l`evres peintes et aux yeux cercl'es de noir. Une pierreuse `a n’en pas douter. Rose Coutureau n’osait pas protester.