L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— J’ai peur, disait lady Beltham, j’ai terriblement peur.
Et, en effet, la ma^itresse du bandit, celle qui avait 'et'e jadis une noble femme, et qui, petit `a petit, entra^in'ee par une folle passion, avait fini par accepter d’avoir comme amant le criminel sanglant dont le nom 'etait c'el`ebre : Fant^omas, cette femme-l`a devait avoir bien peur pour s’avouer `a elle-m^eme sa crainte, et ne point chercher `a se mentir.
Lady Beltham, plus de cent fois, avait donn'e la preuve d’une 'energie extraordinaire. Elle avait couru de terribles p'erils. Elle avait 'et'e expos'ee aux pires scandales. Toujours, elle avait su se ressaisir, narguer la destin'ee, accepter le sort, vivre sa vie. Mais ce jour-l`a, lady Beltham, au contraire, paraissait ne plus avoir le ressort n'ecessaire pour triompher de l’angoisse de la minute, elle s’abandonnait, elle tremblait.
— J’ai peur, murmurait-elle.
Et, joignant les mains avec effroi, haletante, elle se laissa crouler sur une berg`ere. Lady Beltham fermait les yeux, elle e^ut voulu ne pas voir, ne pas entendre. Mais les paroles menacantes de Rose Coutureau, malgr'e tout, malgr'e ses efforts, l’obs'edaient :
— Lady Beltham doit mourir. On annonce la mort de lady Beltham. Qu’est-ce que tout cela veut dire ?
Qui a pu 'ecrire cette lettre dont le secret a 'et'e surpris ? `A qui enfin annoncait-on ma mort ?
Tout ce que Rose Coutureau, d'eguis'ee en vieille femme, avait dit et fait, devenait, pour lady Beltham autant de myst`eres impressionnants, autant de myst`eres qu’il fallait, co^ute que co^ute, r'esoudre, sous peine de mort peut-^etre ?
Longtemps, lady Beltham r'efl'echit. Sous l’influence de la peur qui la tenaillait maintenant, elle revivait les drames 'etranges de sa vie.
C’'etait elle, lady Beltham, qui avait connu les gloires de la campagne africaine, alors qu’en compagnie de son mari, lord Beltham, elle accompagnait l’arm'ee anglaise au Transvaal, alors aussi qu’elle faisait la connaissance, connaissance si funeste, de Gurn. Ah Gurn, ce nom lui faisait mal `a prononcer. Gurn c’'etait Fant^omas. Gurn, c’'etait l’homme qu’elle avait pris pour amant, c’'etait celui qui avait tu'e lord Beltham pour elle, et c’'etait pour lui aussi qu’elle avait tu'e, qu’elle avait fait tuer Valgrand l’acteur. En frissonnant, lady Beltham se rappelait le matin p^ale, o`u, pr`es de la prison de la Sant'e, elle avait jou'e pour le malheureux artiste, la sinistre com'edie qui avait conduit celui-ci `a porter sa t^ete sous le couperet de Deibler [26]. Fant^omas avait jur'e alors `a la grande dame qu’il aur'eolerait son nom de gloire.
Il avait tenu parole, h'elas.
Mais, c’'etait une gloire sinistre qui s’attachait `a ce nom de Fant^omas.
Ah certes, il 'etait c'el`ebre le bandit tragique. Mais il 'etait dans la m'emoire de tous, comme un monstre, comme un ^etre hors la loi, comme un immense vampire.
Devant les yeux de lady Beltham, la silhouette l'egendaire de l’homme en cagoule, de l’homme v^etu de noir, se dressait.
Mais elle la voyait 'eclabouss'ee de sang, elle la voyait lugubre et ricanante, cette silhouette d’horreur !
Que de crimes il avait entass'es ! Que d’innocents criaient vengeance ! Que de mensonges affreux il avait os'es, poursuivant toujours sa route, sans merci, courant apr`es la richesse, multipliant les deuils, indomptable et indompt'e, f'eroce et grandissant sans cesse, assassin qui 'etait devenu l’Assassin m^eme, le Buveur de Sang !
C’'etait cet homme qu’elle avait aim'e, qu’elle aimait.
Il l’avait tromp'ee pourtant.
Elle ne savait rien de son pass'e, elle n’avait jamais connu au juste tous ses crimes, mais ce qu’elle en savait 'etait d'ej`a effroyable.
Un jour, lady Beltham avait appris que Fant^omas avait une fille, qu’il la ch'erissait profond'ement. Elle avait esp'er'e que pour elle, en son nom, il s’amenderait. Mais il n’en avait rien 'et'e.
Le monstre avait trouv'e, au contraire, dans son amour paternel, une incitation nouvelle au crime. Il voulait que sa fille f^ut riche. Il avait tu'e, tu'e encore, pour elle.
Et puis, c’'etait une suite de drames effroyables. Une existence perp'etuelle de b^ete traqu'ee, qui paraissait lui plaire. Fant^omas, G'enie du Crime, semblait se r'ejouir de chaque horreur commise. Toujours plus grand, toujours plus fort, toujours plus audacieux, il voulait qu’on fr'em^it en se demandant `a quelle derni`ere cruaut'e son invention farouche se hausserait quelque jour. Lady Beltham, glac'ee d’effroi, essayait pourtant de chasser les 'evocations sinistres qui se pressaient malgr'e elle dans sa pens'ee.
— Je l’ai aim'e, murmurait-elle, je l’ai aim'e, mais je ne l’aime plus.
Elle mentait, h'elas.
`A dire qu’elle n’aimait plus Fant^omas, la pauvre femme souffrait horriblement. Si. Elle l’aimait toujours.
Il avait beau lui faire horreur, elle 'etait toujours sa chose, son esclave, elle voulait le m'epriser, elle ne trouvait dans son coeur que la force de lui pardonner.
Et pourtant…
Lady Beltham se rappelait que, depuis quelques mois, Fant^omas 'etait pour elle plus hautain, plus sarcastique.
Jadis, elle pouvait, de temps `a autre, lui arracher une confidence, le contraindre parfois `a 'epargner une victime. Maintenant, elle ignorait tout de lui.
Lady Beltham se r'ep'eta :
— Je vais mourir. On annonce ma mort. Qui donc peut savoir que je vais mourir ?
L’angoisse de la question 'etait si forte, cette femme qui 'etait jeune encore, qui 'etait belle toujours, qui aimait, qui jouissait de la vie librement, avait si peur de se demander par quel t'en'ebreux myst`ere on avait pu annoncer sa mort, que se levant comme une automate, les mains jointes, l’air d’une somnambule, lady Beltham traversa le salon :
— On a dit que je vais mourir, murmura-t-elle. Qui ?
Soudain, lady Beltham s’arr^eta. Comme si elle e^ut 'et'e chang'ee en statue, comme si la mort e^ut suspendu sa marche, elle demeurait immobile, au milieu de la grande pi`ece, devenue plus p^ale encore.
La porte du salon s’'etait ouverte.
Un homme d’une extr^eme 'el'egance, un homme jeune, moul'e dans une jaquette de coupe irr'eprochable, au visage 'energique, aux yeux vifs, venait d’appara^itre.
Il s’inclina devant elle, et sa voix 'etait douce :
— Bonjour, ma ch`ere, Vous allez bien ?
Lady Beltham, d’abord, ne r'epondit pas.
Si forte avait 'et'e son 'emotion, en voyant s’ouvrir la porte devant la silhouette de cet homme, au moment o`u elle se posait une question abominable, que les mots s’'etranglaient dans sa gorge. Puis elle faisait effort sur elle-m^eme. Un p^ale sourire errait sur ses l`evres blanchies :
— Bonjour, mon cher, r'epondit-elle, de sa voix d’or, aux intonations grisantes. Je vous remercie d’^etre venu prendre de mes nouvelles, vous avez eu raison.