L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
Шрифт:
Il eut le tact de ne point d'evisager l’'etonnante grande dame. Il s’inclina au contraire tr`es bas devant elle, avec la courtoisie parfaite dont il savait user quand bon lui semblait, et c’est d’une voix tr`es douce qu’il fit cette 'etrange d'eclaration :
— Lady Beltham, vous avez fait demander l’inspecteur Juve. Ne croyez pas que ce soit lui qui soit devant vous, c’est un homme tout autre, c’est quelqu’un qui devine que vous ^etes malheureuse, qui est pr^et `a faire tr^eve dans la guerre qu’il vous livre, qui vous 'ecoute et qui ne pense pas `a abuser de la confiance que vous lui t'emoignez en venant le trouver.
C’'etait bien l`a, assur'ement, les mots qui pouvaient le plus toucher la malheureuse ma^itresse de Fant^omas. Lady Beltham, en voyant entrer Juve, avait bl^emi.
En 'ecoutant ses paroles, un flot de sang empourprait son front, une fi`evre ardente lui faisait battre le coeur.
— Je vous remercie, Juve, disait lady Beltham. Je savais qu’en m’adressant `a vous, je serais comprise. C’est une malheureuse qui vient vous trouver. C’est une malheureuse qui vient demander votre protection. La lui refuserez-vous ?
— Madame, je n’ai jamais refus'e d’aider ceux qui se sont adress'es `a moi. Que puis-je pour vous ?
Juve 'etait 'etonn'e, boulevers'e m^eme de l’'emotion qui se peignait un instant sur le visage de lady Beltham.
— Ce que je veux de vous, r'epondait sourdement la superbe cr'eature, c’est la vie. Juve, je suis condamn'ee `a mort !
Elle avait parl'e tr`es bas, mais si bas qu’elle e^ut articul'e ces mots, Juve n’en n’avait pas perdu un seul :
— Vous ^etes condamn'ee `a mort ? Que dites-vous l`a, lady Beltham ? Condamn'ee `a mort par qui ?
Mais lady Beltham n’'etait pas femme `a reculer devant une torture morale. Elle 'etait venue trouver Juve sous l’aiguillon de la peur, elle souffrait terriblement dans son orgueil autant que dans son coeur, et pourtant, elle ne voulait pas ^etre l^ache vis-`a-vis d’elle-m^eme. Elle se complaisait dans ces souffrances, dans sa propre torture.
— Juve, cria lady Beltham, je dois vous dire tout au moment o`u j’implore votre protection. Si je suis ici devant vous, c’est qu’il faut que vous me prot'egiez. Oui, je suis condamn'ee `a mort et celui qui va me tuer, c’est Fant^omas.
'Epuis'ee par l’effort qu’elle faisait ainsi en d'enoncant son amant, lady Beltham, haletante, tomba sur une chaise. Des larmes roulaient sur ses joues, mais si l’'emotion la bouleversait `a ce point, l’^ame demeurait vaillante.
Elle ne laissa pas `a Juve le temps de r'epondre :
— Tenez, lisez ! cria-t-elle.
Et elle tendait `a Juve le billet recu par elle le matin m^eme :
— Nous sommes le 5, et c’est le 7 que je dois mourir. Juve, Juve, sauvez-moi ! Voici tout ce que je sais.
Lady Beltham alors, d’une voix ^apre, violente et qui, par moments, cependant se voilait de sanglots, fit `a Juve le r'ecit de ses derni`eres aventures. Elle dit l’'etrange visite de la vieille femme. Elle nomma Rose Coutureau, une inconnue pour elle, elle pr'ecisa enfin la visite que lui avait faite la veille encore Fant^omas.
— Juve, disait lady Beltham, j’ai aim'e cet homme plus que ma vie, plus que mon honneur, mais aujourd’hui, il me fait horreur ! Ah, je n’aurai jamais le courage de vous le livrer, ne me demandez pas de vous indiquer o`u vous pourriez l’arr^eter. Cela non, je ne le vous dirai jamais, je ne m’abaisserai pas `a le trahir, mais sauvez-moi de lui ! J’'etais r'esign'ee `a tout, je ne peux pas me r'esigner `a mourir par lui, par lui que j’aimais.
Juve ne r'epondit pas, il comprenait l’'epouvantable angoisse de lady Beltham.
Il devinait ce que souffrait la malheureuse qui, sans doute, aimait encore Fant^omas, mais qui n’'etait plus aim'ee de lui.
Lady Beltham pouvait dire :
— Arr^etez-le.
Juve comprenait. Il se rendait compte qu’il serait inutile d’essayer de pousser la ma^itresse de Fant^omas `a ce qu’elle appelait elle-m^eme une trahison.
Et, tout en jugeant que lady Beltham ne l’aiderait pas `a prendre Fant^omas, Juve se rappelait les crimes odieux de cette femme, sa complicit'e tacite avec Fant^omas, qui, sans elle, aurait 'et'e depuis longtemps mis dans l’impossibilit'e de nuire.
— Dois-je la prot'eger ? se demandait l’irr'eductible ennemi du Ma^itre de l’Effroi.
Juve se sentait l’^ame d’un justicier. `A l’heure o`u lady Beltham venait lui demander de la sauver, Juve s’interrogeait :
— Ai-je le droit d’arr^eter la justice immanente ?
Mais, si lady Beltham avait 'et'e coupable, si elle m'eritait le ch^atiment qui semblait la menacer, n’'etait-ce pas en raison de son amour, de cet amour malheureux qu’elle avait eu pour Gurn, et qui, petit `a petit, de chute en chute, de honte en honte, en avait fait ce qu’elle 'etait ?
— Elle a aim'e, pensait Juve, et c’est l`a sa grande faute. Amoureuse, cette femme ne pouvait pas agir autrement qu’elle a agi. Or, son amour, d’abord, n’a pas 'et'e `a un criminel, son coeur avait 'et'e surpris, c’'etait Gurn qu’elle avait aim'e, et seule la Fatalit'e a voulu que Gurn soit devenu Fant^omas.
Juve redressa lentement la t^ete.
— Madame, r'epondait-il d’une voix douce et pitoyable, je ne vous demande aucune confidence. Je ne vous interrogerai pas. Vous avez peur et vous ^etes menac'ee, c’est tout ce que j’ai besoin de savoir. Rassurez-vous, vous savez trop ce que vaut l’adversaire qu’il va nous falloir combattre, pour que j’essaye de vous tromper avec des affirmations absolues. Pourtant, il y a quelque chose que je puis vous promettre, c’est que je ferai tout au monde pour vous sauver et que, d`es cette seconde, vous ^etes sous ma protection.
18 – MORTE ? ? ?
Juve avait visiblement fait effort sur lui-m^eme pour d'ecider d’accorder sa protection `a lady Beltham, et surtout, pour ne pas d'ecider la malheureuse femme `a lui faire quelques confidences relatives `a Fant^omas.
Juve, toutefois, lorsqu’il avait pris une d'ecision, lorsqu’il avait r'esolu d’agir, se gardait de toute h'esitation. Il avait 'et'e fortement tent'e d’abandonner lady Beltham `a son sort. Il avait pens'e que la crainte o`u 'etait la malheureuse 'etait une expiation l'egitime de ses forfaits, mais il s’'etait rendu compte aussi que son devoir d’homme, plus m^eme que de policier, ne lui permettait pas de laisser s’accomplir un assassinat, et d`es lors que le devoir 'etait en jeu, il n’'etait plus capable d’'eviter l’imp'erieuse obligation o`u sa conscience le mettait d’agir, et d’agir sans tarder.