L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Juve jeta les yeux dans la direction indiqu'ee par Sarah Gordon, et ne put s’emp^echer de rire. La personne que d'esignait la jeune fille n’'etait autre que Fandor.
Juve ne r'epondit pas. 'Etait-ce par hasard que l’Am'ericaine lui avait signal'e le journaliste, ou bien, alors, avait-elle agi intentionnellement, et si cela 'etait, quels 'etaient les soupcons cach'es de cette myst'erieuse personne ?
Juve 'etait venu `a son bal, autant pour la conna^itre mieux, pour agir en d'etective, que pour faire une petite enqu^ete dans le milieu bizarre de ceux qu’elle recevait.
Le policier estimait, en effet, qu’il devait y avoir entre les aventures auxquelles il avait 'et'e m^el'e ces jours derniers et l’entourage de Sarah Gordon, des liens, indirects sans doute, mais indiscutables cependant. Juve, toutefois, cessant de regarder Fandor, tourna la t^ete et apercut dans les salons, valsant 'eperdument, un personnage dont la vue lui fit froncer le sourcil :
— Vous recevez toutes sortes de gens, `a votre bal, mademoiselle, et v'eritablement, il en est dont la pr'esence peut 'etonner les moins difficiles.
Il d'esignait le personnage qu’il venait d’apercevoir. Sarah Gordon le remarqua aussi, elle rougit imperceptiblement :
— C’est un brave homme, fit-elle, m^eme si les apparences sont contre lui.
— Mario Isolino est un gaillard qui a plus que les apparences pour le desservir, mademoiselle, et si vous vous rappelez l’aventure de la rue Fortuny au cours de laquelle j’ai eu l’honneur de faire votre connaissance, je pourrais ajouter que seule l’indulgence d’un commissaire de police fait que cet Italien ne se trouve pas actuellement sous les verrous.
— J’aime mieux, monsieur Juve, qu’il soit libre, et j’estime que les gens auxquels on fait gr^ace sont moins redoutables que ceux que l’on traite durement.
— Que voulez-vous dire ? interrogea le policier, surpris par cette d'eclaration 'enigmatique.
— Voil`a…, fit la jeune fille.
Elle d'esigna un canap'e `a Juve, s’y installa.
Le policier se placa `a c^ot'e d’elle. Sarah Gordon reprit :
— En deux mots je vais vous expliquer ma th'eorie : je suis seule, dans ce Paris que je connais mal, riche comme vous savez, comme tout le monde le sait, et j’ai peur, oui, peur de tout et de rien. Aussi, plut^ot que de fermer les yeux `a la mani`ere des autruches qui, apr`es s’^etre cach'e la t^ete, s’imaginent qu’elles sont invisibles, je pr'ef`ere regarder le danger, tout au moins l’inconnu, nettement, bien en face. S’il est autour de moi des gens que je redoute et que je suspecte, je les attire et pour mieux les conna^itre, je les m^ele dans mon intimit'e.
— C’est, fit Juve, une th'eorie un peu paradoxale, et en la poussant plus loin, je vais vous demander si vous consentiriez par exemple, `a vous faire pierreuse par crainte des apaches ?
— Mais pourquoi pas, monsieur ?
Cependant, la jeune fille se levait brusquement. Elle allait `a un jeune homme au visage 'energique et glabre qui passait devant elle, elle le prit par la main, l’attira vers Juve :
— Monsieur, dit-elle, permettez-moi de vous pr'esenter mon ami, M. Dick. C’est un artiste de grand talent, et si nous avions ici une assistance un peu moins enthousiaste de la danse, il nous charmerait tr`es certainement en nous disant quelques vers.
Juve se souvenait d’avoir vu le com'edien dans la bagarre de l’h^otel Fortuny. Il se contenta de r'epondre `a son salut et demeura silencieux devant lui.
La jeune fille, toutefois, quittait pr'ecipitamment Juve.
— Nous avons bavard'e pendant deux ou trois valses, fit-elle, mes danseurs doivent se demander ce que je deviens.
Elle s’'eclipsa, laissant les deux hommes en t^ete `a t^ete dans la galerie.
L’artiste ne bougea pas et ne rompit pas le silence, il consid'erait Juve fixement. Le policier se d'ecida enfin `a parler :
— Vous exercez, monsieur, une profession fort int'eressante, et qui exige 'enorm'ement de travail.
Juve cherchait ses mots, ne savait trop que dire, il articula machinalement :
— D`es le Conservatoire, il faut engager la grande lutte artistique, et les comp'etitions, n’est-il pas vrai, y sont fort nombreuses ?
— Il suffit d’avoir du talent, monsieur, pour r'eussir, et sans vouloir me vanter, je puis vous dire que je n’ai gu`ere eu de peine `a obtenir mon premier prix.
— C’est superbe, fit Juve qui, distraitement, ajoutait : d`es lors, vous appartenez sans doute au Th'e^atre Francais ?
— Me prenez-vous pour un bourgeois, monsieur ? La profession d’artiste ne doit pas se confondre, `a mon avis, avec le m'etier de fonctionnaire. Non, je n’appartiens pas `a la Com'edie-Francaise. Bien que je sois premier prix du Conservatoire, je suis au Th'e^atre Ornano.
— Au th'e^atre quoi ? r'ep'eta Juve qui croyait avoir mal entendu.
Mais l’acteur pr'ecisa :
— Je dis : au Th'e^atre Ornano. C’est un 'etablissement populaire. On y joue le drame selon la vieille formule, en m^eme temps que la com'edie `a la mani`ere joyeuse et gaie des auteurs de 1830. La vraie terreur et la vraie gaiet'e, voil`a ce qui me pla^it mieux que les 'elucubrations psychologiques de nos 'ecrivains modernes. Si jamais vous me faites l’honneur de venir m’entendre, je suis s^ur que vous ne regretterez pas d’avoir fait le lointain voyage du boulevard Ornano et de mon th'e^atre, dans lequel les places les plus ch`eres co^utent cinquante sous. J’ai bien l’honneur, monsieur, de vous saluer.
L’acteur s’inclina, disparut dans la foule, cependant que le policier demeurait abasourdi.
— Dr^ole de type, fit-il. D'ecid'ement, les gens que l’on trouve `a ce bal sont plus extravagants les uns que les autres.
Juve fut arrach'e `a ses r'eflexions par une l'eg`ere douleur qui le fit sursauter.
— A"ie ! grommela-t-il. Puis il se retourna :
— Comment, c’est toi qui me martyrise ?
Fandor, en effet, s’'etait subrepticement rapproch'e de Juve et lui pincait le bras.