L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
Шрифт:
Juve, 'enigmatiquement, interrompit pour dire :
— Oui, la quinzi`eme.
Et cela d'eterminait une nouvelle crise de rire chez Fandor.
— C’est `a en crever ! g'emit-il.
Juve fronca les sourcils d’un air vex'e :
— Si c’est pour te fiche de moi que tu es venu ce soir, je me garderai bien, `a l’avenir, mon cher Fandor, de te faire inviter dans le monde.
— Pardonnez-moi, Juve, je vous en prie, ca n’est pas de ma faute. Lorsqu’on fait des coups semblables, on a le tact de pr'evenir ses amis.
Si Juve 'etait vex'e de l’attitude moqueuse de son ins'eparable compagnon, il y avait de quoi aussi pour Fandor ^etre mis en gaiet'e. Car, si invraisemblable que f^ut la chose, elle n’en 'etait pas moins exacte. Juve et Fandor 'etaient au bal et le policier, `a la mani`ere d’un homme du monde qui accomplit un sacerdoce ou simplement cherche `a se marier, s’'etait procur'e un carnet de bal sur lequel il avait gravement inscrit les danses qu’il avait sollicit'ees et obtenues.
`A part la quinzi`eme valse en face du num'ero de laquelle il avait marqu'e un nom, le carnet restait compl`etement vide.
Il 'etait environ une heure du matin. Le policier et le journaliste se trouvaient au Gigantic H^otel dont les salons somptueux avaient 'et'e retenus par cette jeune et bizarre Am'ericaine arriv'ee `a Paris depuis quelques semaines `a peine, et qui pr'etendait y mener la grande vie, l’existence mondaine, 'el'egante et fastueuse, convaincue qu’il fallait, pour cela, simplement d'epenser quelques piles de dollars.
`A la v'erit'e, Sarah Gordon avait bien fait les choses et la jeune fille, pour donner plus d’'eclat `a son bal, et aussi pour recevoir les nombreux invit'es qu’elle avait sollicit'es par une sorte de circulaire adress'ee au Tout-Paris, avait retenu enti`erement le rez-de-chauss'ee du superbe 'etablissement dans lequel elle habitait place de la Concorde. Il y avait l`a une foule nombreuse, cosmopolite, terriblement m^el'ee sans doute, mais ayant bonne apparence. Le buffet 'etait somptueusement servi et, d’ailleurs, on s’y 'ecrasait consciencieusement. Dans la grande salle des f^etes, les amateurs de danse s’en donnaient `a coeur joie aux sons d’un orchestre de tziganes d’une vingtaine de musiciens. Des domestiques, d^ument styl'es, disposaient dans chaque salon, `a l’issue de chaque danse, un num'ero de carton qui annoncait aux int'eress'es la danse prochaine.
Juve et Fandor s’'etaient install'es dans une petite pi`ece 'epargn'ee par la foule et toute proche du jardin d’hiver. C’'etait l`a que Fandor avait eu son fou rire au moment o`u Juve lui faisait conna^itre son projet extraordinaire.
Fandor soudain, poussa un cri.
— La quinzi`eme valse ! Juve, elle est annonc'ee ! Ne perdez pas une minute, votre danseuse pourrait se f^acher de vous voir manquer d’empressement aupr`es d’elle.
`A part soi, Fandor disait :
— Voil`a le moment o`u mon excellent ami va flancher et trouver un pr'etexte pour esquiver la corv'ee.
Mais le journaliste se trompait. Aux premi`eres paroles de Fandor, Juve avait brusquement tourn'e les talons avec une pr'ecision et une nettet'e toute militaire. Et le policier, 'ecartant la foule nombreuse qui obstruait l’entr'ee du grand salon, s’y engagea avec l’allure d’un homme qui a jur'e d’accomplir son devoir jusqu’au bout.
Juve s’arr^eta devant une fort jolie personne qu’entouraient des jeunes gens empress'es.
Juve, cependant que l’orchestre attaquait les premi`eres mesures de la valse, la fameuse quinzi`eme, s’inclina devant la jolie femme et de son ton le plus aimable :
— Vous m’avez fait l’honneur, mademoiselle, de m’accorder cette valse.
Et le policier, fort galant homme, offrait son bras. La jeune fille le regarda d’un air gracieux, cependant qu’elle s’avancait.
— Merci, monsieur, fit-elle.
Elle rassembla d’un geste 'el'egant sa tra^ine qu’elle placa sur son avant-bras, puis, croyant aller au-devant du d'esir de son danseur, elle ajouta :
— Voulez-vous qu’au lieu de la danser, nous la causions, cette valse ? Je viens de tourner comme une toupie pendant une demi-heure et je commence `a en avoir assez ?
— Cela me convient parfaitement, d'eclara Juve, qui, machinalement, pour 'eviter la bousculade tournoyante, attira sa compagne dans une galerie voisine.
Sarah Gordon 'etait d'ecid'ement une tr`es jolie personne aux yeux bleu clair et grands qui p'etillaient de malice et de gaiet'e. Elle avait une 'epaisse chevelure blonde. Sa taille bien cambr'ee n’'etait ni trop grande, ni trop petite. Audacieusement d'ecollet'ee, la jeune fille qui, contrairement aux usages francais, portait de nombreux bijoux, 'etait 'evidemment d’une perfection sculpturale que r'ev'elaient les lignes harmonieuses de ses v^etements.
— C’est dr^ole, s’'ecria-t-elle soudain, en regardant Juve, bien dans les yeux, que vous ayez cette profession. Jamais je n’aurais imagin'e qu’un d'etective p^ut ^etre un homme du monde.
Juve sourit :
— Je ne vois pas pourquoi, mademoiselle, ce serait incompatible.
— C’est vrai, cela se voit certainement en Am'erique, m^eme en Angleterre, mais chez vous, `a Paris, cela semble extraordinaire. Et bien que peu familiaris'ee encore avec vos usages, je me suis laiss'e dire que les policiers francais n’allaient pas dans les salons.
— C’est peut-^etre exact, fit Juve, d’un ton 'enigmatique, encore que pas tr`es certain. Il y a toutes sortes de gens dans les mondes parisiens les plus ferm'es, m^eme des policiers, ne vous en d'eplaise. Seulement, on ne le sait pas toujours…
Sarah Gordon 'eclata de rire :
— Il est bien certain que je ne parle pas pour ma r'eception o`u sont venus un tas de gens que je ne connais pas et dont je ne me soucie gu`ere. Mais enfin, croyez-vous que la police parvienne `a s’introduire dans les familles qui ont la pr'etention de ne recevoir que des gens de leur milieu ?
— J’en suis certain, fit Juve. Et vous pouvez ^etre assur'ee que chaque fois qu’il y a quelque part une c'er'emonie rassemblant plus de cinquante personnes, on y trouve une proportion raisonnable, sinon de d'etectives professionnels, tout au moins d’amateurs.
— C’est vrai, reconnut Sarah Gordon. Je sais que bien des gens du monde font ce m'etier d’indicateurs. Ainsi, continua-t-elle avec un sourire enjou'e, ce monsieur qui nous observe l`a-bas au bout de la galerie est peut-^etre de ce monde-l`a ?