L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
Шрифт:
— Qu’est-ce que c’est encore que celle-l`a ? se demandait Juve, et ne dois-je point b'enir le hasard qui, apr`es m’avoir, ce matin, renseign'e sur cette femme, me la fait rencontrer ce soir ?
Sarah Gordon, cependant, entra^inait Juve. Elle 'etait toute tremblante.
— Venez, venez, dit-elle, je vous en prie ! Monsieur, vous avez l’air d’un galant homme, accompagnez-moi jusqu’`a mon domicile, j’ai peur d’aller seule dans les rues de Paris !
Juve, en silence, ob'eissait. Rue de Prony, il arr^eta une voiture, y fit monter la blonde Am'ericaine. Celle-ci insista :
— Venez avec moi, je vous en prie !
Puis, elle souffla l’adresse, Juve dit au cocher :
— Allez au Gigantic H^otel, place de la Concorde.
Le policier s’applaudissait de la tournure que prenaient les 'ev'enements.
— Si elle se moque de moi, pensait-il, elle le paiera cher. Si elle ignore ma qualit'e, tant mieux : elle parlera !
Cependant, le fiacre roulait `a une bonne allure, et Juve, install'e `a c^ot'e de sa compagne, perplexe, ne prononcait pas un mot. Celle-ci interrogea :
— `A qui ai-je l’honneur de parler ? Et qui dois-je remercier de sa bienveillance ? Oui, je comprends, vous ^etes g^en'e de donner votre nom parce que vous avez peur d’^etre poursuivi par la justice `a cause du tripot ?
— C’est cela m^eme, dit-il.
— J’ai tout de suite devin'e, poursuivit l’Am'ericaine. Vous ^etes un gentleman joueur.
Apr`es un silence, elle continua :
— C’est comme moi ! J’aime le jeu, le th'e^atre, la danse, les plaisirs de toute sorte et l’on peut bien publier mon nom dans les journaux cela m’est fort 'egal. Je ne connais personne `a Paris suffisamment pour que cela me g^ene et si, d’ailleurs, on s’attaquait `a ma r'eputation, je suis assez riche pour prier les journaux, les obliger m^eme `a se taire. Vous n’^etes sans doute pas dans les m^emes conditions ?
— Pas tout `a fait, fit Juve que l’attitude de cette jolie personne intriguait de plus en plus.
Sarah Gordon, reprit :
— Je suis venue en France pour m’amuser, me distraire, et j’ai d'ej`a fait connaissance de bien des personnes tr`es gentilles et tr`es gaies. Le prince Malvertin, puis Duteil, qui sera mon avocat lorsque j’aurai un proc`es, et bien d’autres… Lorsque vous m’aurez dit votre nom je vous inviterai `a mes f^etes. Vous verrez comme elles sont amusantes. Je donne pr'ecis'ement un grand bal dans trois jours au Gigantic H^otel. J’ai invit'e tout Paris, une agence m’a fourni la liste des gens du monde les plus `a la mode. D`es que vous vous serez pr'esent'e `a moi, je vous inscrirai.
— Merci vivement, fit Juve qui ne se pressait pas, cependant, de donner `a l’Am'ericaine une identit'e quelconque, m^eme fausse.
Il 'etait perplexe sur la sinc'erit'e de la jeune femme et il lui aurait 'et'e fort p'enible de se rendre ridicule en disant :
— Ce monsieur se donne bien du mal pour me dissimuler qu’il n’est autre que Juve, le c'el`ebre inspecteur de la S^uret'e.
Le fiacre, cependant, arrivait devant le Gigantic H^otel. Juve qui, tout le temps du trajet, avait laiss'e parler son interlocutrice, ne s’'etait pas encore nomm'e.
Celle-ci n’en concut aucune amertume.
Esquissant un gracieux sourire, elle tendit sa main gant'ee `a Juve et, cependant qu’elle s’engouffrait sous le hall vitr'e du Gigantic H^otel, elle prof'era gracieusement :
— Encore merci, monsieur l’Inconnu, et `a bient^ot, j’esp`ere ! Vous serez quand m^eme le bienvenu `a mon bal, dans trois jours.
Cependant, Juve, apr`es avoir r'egl'e le fiacre, s’en alla lentement `a pied sur les trottoirs d'eserts de la place de la Concorde.
— Quelle bizarre personne, murmura-t-il. Se moque-t-elle de moi ou est-elle simplement folle ?
12 – LE BAL DE SARAH GORDON
'Ecroul'e sur un canap'e, en proie `a de terribles convulsions, J'er^ome Fandor se tordait litt'eralement, secou'e par un fou rire inextinguible. Il balbutiait au milieu de ses hoquets :
— Non ! De ma vie, je n’ai jamais tant ri ! Ah, ca n’est pas ordinaire. Qui jamais aurait pu penser ? V'eritablement, c’est inimaginable. Feu Bossu lui-m^eme, qui donna naissance au proverbe, n’a certainement jamais ri comme je ris aujourd’hui.
Le jeune homme avait encore des soubresauts qui le remuaient des pieds `a la t^ete. Il continua en pouffant :
— C’est `a croire que si je continue, je m’en vais suffoquer, mourir, tout au moins avoir ma t^ete rentr'ee dans mes 'epaules et ma colonne vert'ebrale mise en arc de cercle. C’est certain, `a force de rire, je vais devenir bossu moi-m^eme [18].
Et, en fait, le jeune homme pr'esentait des sympt^omes v'eritablement extraordinaires. Il 'etait devenu 'ecarlate, son menton semblait devoir s’enfoncer dans sa poitrine, cependant que le col de son habit remontait au-dessus de sa nuque.
Un homme demeurait en face de lui, silencieux, immobile et grave. C’'etait Juve.
Le c'el`ebre policier, depuis quelques instants, regardait le journaliste, et les deux amis, qui avaient 'et'e m^el'es `a tant d’'ev`enements tragiques dans l’existence aventureuse qu’ils menaient, pr'esentaient l`a un spectacle curieux : celui d’un homme 'ecroul'e sur un canap'e en proie au plus effroyable fou rire, et celui d’un autre homme debout devant lui le surveillant d’un air `a la fois perplexe et ennuy'e.
Juve parla enfin :
— Eh bien quoi, c’est ridicule, Fandor ! Tu as une tenue invraisemblable. Apr`es tout, ce que je t’ai dit n’est pas extraordinaire, pas si extraordinaire du moins que tu veux bien le laisser supposer. Je suis capable de tenir ce r^ole.
Fandor, 'energiquement, protesta du geste, puis ayant enfin repris haleine :
— Tout ce que vous voudrez, Juve, je crois en vous comme je crois en Dieu, mais ca non, jamais, vous ne me ferez pas avaler pareille chose. Danseur, vous ? vous, Juve, vous, aller danser ? Vous avez aujourd’hui un carnet de bal et vous avez marqu'e l`a-dessus que vous 'etiez retenu pour une valse ?