L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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On avait vaguement racont'e dans les milieux interlopes que T^ete-de-Lard avait 'et'e sauv'e par la police, puis boucl'e. Les mauvaises langues ajoutaient qu’il avait m^eme servi d’indicateur. Aussi, pendant huit jours, avait-on prof'er'e `a son 'egard des menaces terribles, et d'ecid'e que l’on mettrait `a mort cet ancien charcutier au visage gras, fuyant et peu net. Puis, nul n’ayant 'et'e arr^et'e, on 'etait revenu sur cette opinion et d’autre part, T^ete-de-Lard semblait avoir 'et'e r'ehabilit'e par Fant^omas lui-m^eme lorsque celui-ci lui avait manifest'e ainsi qu’au Bedeau, sa confiance, en le faisant intervenir dans l’affaire de la grande Berthe. Dans un groupe, quelques apaches d’ailleurs, auxquels se joignaient d'esormais La Carafe et T^ete-de-Lard, f'elicitaient la grande Berthe d’^etre sortie de prison. B'eb'e d'eclarait admiratif :
— Pour une combine 'epatante, c’en est une. T’as vraiment du talent, la m^ome. Mais qui c’est qui t’a aid'ee, et pourquoi qu’t’as fait sauver la Rose Coutureau de la taule ?
Mais la grande Berthe ne voulait donner aucun renseignement `a ce sujet.
Le tapage, cependant, croissait dans la salle et, sur l’air des Lampions, la foule impatiente r'eclamait :
— Le rideau ! Le rideau !
Puis, le bruit peu `a peu augmenta, devint un v'eritable vacarme. Ensuite, par enchantement, on se tut et les spectateurs, r'esign'es, reprirent le cours de leur conversation.
Tout d’un coup, le silence se fit d'efinitivement dans la salle, puis, brusquement, on applaudit fr'en'etiquement :
Les trois coups venaient enfin d’^etre frapp'es. Il y eut un remue-m'enage au parterre et aux galeries. Pendant cinq minutes, on se bouscula consciencieusement pour gagner sa place, puis tout se tut. Le rideau se levait.
***
Cependant, depuis trois quarts d’heure environ, l’affolement le plus complet, le d'esarroi le plus intense, r'egnaient dans la coulisse.
Toutes les cinq minutes, Beaum^ome, pr'epos'e aux manoeuvres du rideau, 'etait venu de son air cafard et en se dandinant sur ses courtes jambes, demander `a M. Rigou, r'egisseur g'en'eral :
— C’est-y qu’on peut lever ?
Et, chaque fois, M. Rigou avait r'epondu sur un ton 'enerv'e :
— On ne peut pas. Dick n’est pas encore arriv'e.
Beaum^ome, indiff'erent, haussait les 'epaules, retournait `a son poste, tra^inant ses espadrilles sur le plancher poussi'ereux du th'e^atre.
Puis, il revenait encore au bout de quelques instants :
— C’est-y qu’on peut lever ?
Il obtenait la m^eme r'eponse. `A la troisi`eme fois, il fit observer :
— Les types rousp`etent dans la salle ! S^ur qu’ils vont tout casser.
M. Rigou serra les poings, leva les yeux au ciel, mais il ne pouvait donner l’ordre de lever le rideau, Dick, le principal interpr`ete, n’'etait pas l`a.
Et M. Rigou qui assumait toutes les responsabilit'es, sentit le d'esespoir l’envahir.
On avait fait, ce soir-l`a, une si bonne recette, que, bien avant l’heure `a laquelle devait commencer la repr'esentation, la salle 'etait comble, et c’est pourquoi, contrairement aux usages, M. Rigou avait pu venir dans les coulisses, avant la seconde partie du spectacle, alors qu’en temps ordinaire il restait au contr^ole jusqu’`a la fin du deuxi`eme acte, pour surveiller la caisse qui vendait encore des places `a des retardataires.
Les affaires du th'e^atre marchaient bien et, depuis quelques jours, on 'etait tomb'e sur un excellent programme que certainement on pourrait faire tenir pendant toute une quinzaine.
La pi`ece principale s’appelait Les Amours du Bourreau ou L’Enfant de la Guillotine. C’'etait un drame sombre, en vingt-sept tableaux, de telle sorte que la moiti'e du temps se passait en entractes pour que l’on p^ut op'erer les changements. Malgr'e ces inconv'enients mat'eriels, l’oeuvre th'e^atrale, due `a un professionnel du roman-feuilleton, remportait un vif succ`es.
Elle avait d’excellents interpr`etes, parmi lesquels le jeune acteur Dick, qui tenait superbement le r^ole du bourreau Sanson.
Or, voici qu’il manquait, qu’il 'etait absent sans avoir pr'evenu, sans que l’on s^ut pourquoi. Que fallait-il donc faire ? Pour rien au monde, M. Rigou n’aurait voulu rembourser les places, ce qui 'etait d’ailleurs impossible, une partie de la recette ayant d'ej`a 'et'e distribu'ee aux acteurs pour le r`eglement de leur semaine. Les artistes, habitu'es `a ne s’'emouvoir de rien, demeuraient silencieux et r'esign'es, dans les coulisses, derri`ere les portants.
Dans un coin des coulisses, pr`es du rideau, se trouvaient Beaum^ome et Rose. Les deux amants s’entretenaient `a voix basse, et, malgr'e les plaisanteries dont l’apache 'emaillait sa conversation, sa ma^itresse demeurait sombre :
— Je suis s^ure, murmurait Rose Coutureau, qu’il est arriv'e quelque chose de f^acheux `a mon vieux. Qu’est-ce qu’il a pu devenir, pourquoi n’est-il pas rentr'e ?
Beaum^ome, qui se souciait fort peu du p`ere Coutureau, essayait pourtant de la rassurer :
— Tu t’'etais bien d'ebin'ee toi-m^eme, probable que le vieux en a profit'e pour aller faire la bombe. Il aime bien se so^uler la figure, il a d^u s’envoyer quelque mufl'ee dans un bistrot des environs.
— Ca se pourrait, d'eclarait la gamine, mais ca m’'etonne, car il tombait de sommeil le jour o`u je l’ai quitt'e. Pour qu’il soit sorti de la taule, faut qu’il se soit pass'e quelque chose de grave, il faut surtout, poursuivit-elle, qu’il y ait eu un 'ev'enement extraordinaire, puisqu’il n’est pas encore l`a.
Et, de fait, le p`ere Coutureau, tout comme l’acteur Dick, manquait au th'e^atre. Mais cela n’avait pas la m^eme importance. Les artistes s’'etaient pass'es du vieil habilleur, et la figuration aurait un chef de moins. Cela ne pouvait emp^echer le spectacle de se d'erouler normalement.
— C’est 'egal, j’ai peur, disait Rose Coutureau. Il se passe des choses, depuis quelques jours, qui me donnent de terribles 'emotions.
— Tu t’en fais une bile, dit Beaum^ome. Faut-y que les femmes soient gourdes.