L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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Assur'ement, l’homme 'etait grim'e merveilleusement, doublement m^eme. Non seulement il s’'etait fait la t^ete du bourreau de la R'evolution, une t^ete un peu fantaisiste sans doute, mais encore sa silhouette de vieux com'edien n’'etait que le plus audacieux des maquillages, que la plus formelle des contrefacons. Car, en r'ealit'e, et c’'etait l`a une chose que tout le monde ignorait, c’'etait encore Fant^omas qui se dissimulait sous ce nouveau d'eguisement.
Pourquoi l’homme terrible 'etait-il l`a ?
Pourquoi assumait-il la dangereuse responsabilit'e d’interpr'eter le r^ole d’un artiste aussi en vue que l’'etait Dick ? Et pourquoi, enfin, se trouvait-il que, par suite d’un hasard extraordinaire, ce dernier manquait pr'ecis'ement le jour o`u Fant^omas r'eussissait `a se faire embaucher au Th'e^atre Ornano comme pour le remplacer au pied lev'e ? Myst'erieuse co"incidence ou bien r'esolution 'etudi'ee du Ma^itre de l’Effroi ?
Cependant, le spectacle continuait et le succ`es du vieux com'edien s’affirmait.
La pi`ece 'etait tragique au possible, tr`es mouvement'ee aussi. Il y avait notamment, au cours de ce spectacle sensationnel, deux clous destin'es `a provoquer l’admiration des spectateurs et aussi `a les faire frissonner :
Le premier qui avait lieu `a la fin du quatri`eme acte, 'etait une sc`ene qui se passait au cours d’une assembl'ee populaire ; certains personnages y injuriaient le bourreau, lui reprochant d’exercer un m'etier aussi affreux. Et Sanson, grandiloquent et superbe, leur r'epondait victorieusement en faisant l’apologie de sa profession et en exaltant le bras qui servait la noble cause du Devoir et de la Nation ! Fant^omas, dans le r^ole du bourreau, 'etait vraiment superbe, et lorsqu’il eut d'eclar'e avec emphase :
— Je suis le bras vengeur de la Nation. C’est moi le grand jardinier rouge, dont la t^ache sublime est de purger la France de toutes les mauvaises herbes gui emp^echent la Libert'e, l’'Egalit'e, la Fraternit'e de r'egner sur le pays, ce fut une salve fr'en'etique d’applaudissements.
Fant^omas, acteur merveilleux, continuait de sa voix cinglante et terrible :
— Aristocrates inf^ames, bourgeois poltrons et pr^etres sournois, je les 'egalise tous. Pour en d'ebarrasser le peuple, je les nivelle au ras des 'epaules.
Il y avait l`a une belle tirade, un superbe effet, et, chaque soir, lorsque Dick la d'eclamait, il remportait un grand succ`es. Lorsque ce fut le nouveau com'edien qui vint `a la prof'erer, lorsqu’on le vit s’avancer jusqu’au ras de la rampe, et, d’une voix 'energique, d'eclamer les phrases sonores et ronflantes qui constituaient la plus belle page du r^ole du bourreau Sanson, ce fut un enthousiasme indescriptible qui enleva la salle enti`ere :
Cinq ou six fois de suite, il fallut relever le rideau pour que l’acteur p^ut venir saluer ; ce n’'etait pas un succ`es qu’il remportait, mais un triomphe.
Dans la coulisse, Rigou l’embrassa :
— Ce n’est pas deux francs, d'eclarait-il, mais c’est… cinquante sous que je te donnerai. Tu as 'et'e vraiment superbe, et tu peux ^etre s^ur que je te ferai une situation. T’es de la maison d'esormais ! Demain nous annoncerons par les affiches que Talma Junior vient de signer un engagement magnifique avec le Th'e^atre Ornano, qui lui fait un pont d’or.
Fant^omas, impassible, recut ces compliments sans prononcer un mot.
Cependant, Rose Coutureau descendait de sa loge o`u elle venait de se changer pour la troisi`eme fois. La jeune artiste, au cours du spectacle, interpr'etait plusieurs r^oles. L`a, elle revenait dans le costume qui lui plaisait le mieux : il n’avait pourtant rien de bien sensationnel, ce costume. Rose ne portait pas de perruque poudr'ee, de robe `a paniers, de petits souliers de satin comme elle faisait au d'ebut de la pi`ece. Elle 'etait au contraire, simplement v^etue d’une jupe sombre et d’une chemisette de grosse toile. Ses cheveux 'etaient h^ativement nou'es et c’'etaient ses cheveux r'eels, non point la perruque classique ; elle portait sur la t^ete un petit bonnet blanc, mais elle 'etait heureuse et fi`ere de cette simplicit'e m^eme. D'esormais, en effet, elle allait avoir un r^ole sensationnel, tragique, terrible, poignant. C’'etait elle, en effet, qui faisait la souveraine. Le dernier tableau du spectacle repr'esentait l’'echafaud, l’ex'ecution par le bourreau Sanson de Marie-Antoinette, ex-reine de France.
Tel 'etait le second clou de la pi`ece sensationnelle que repr'esentait le Th'e^atre Ornano.
Rose Coutureau 'etait descendue et, devisant sans cesse avec Beaum^ome, elle attendait le moment de para^itre en sc`ene. Il ne restait plus qu’un tableau avant celui de l’'echafaud, c’'etait le Tribunal r'evolutionnaire, au cours duquel la femme Capet allait avoir `a r'epondre des accusations port'ees contre elle. Rose Coutureau, d’ordinaire, aimait beaucoup cette sc`ene, o`u elle 'etait fr'equemment applaudie comme artiste, cependant que la foule houleuse huait le personnage qu’elle interpr'etait. Toutefois, ce soir-l`a, elle 'etait bien trop pr'eoccup'ee, bien trop 'emue pour pr^eter attention `a son art.
Ses soucis personnels retenaient tout son esprit et Rose Coutureau 'eprouvait de plus en plus une angoisse secr`ete. Elle se sentait environn'ee de dangers, de myst`ere, et bien que Beaum^ome, qui commencait `a ^etre alarm'e lui aussi par l’attitude angoiss'ee de sa ma^itresse, f^it l’impossible pour la rassurer, elle avait peur, tr`es peur, peur de rien, peur de tout, peur de l’inconnu, de l’avenir, du pr'esent.
— Je ne sais pas ce que j’ai, disait la jeune fille, mais il me semble qu’il va m’arriver quelque chose d’effroyable. J’ai peur…
— Mais de quoi, voyons ? disait Beaum^ome. T’as rien `a craindre.
Et, pour faire diversion, le jeune apache, qui semblait beaucoup aimer sa nouvelle ma^itresse, essayait de plaisanter :
— C’est pas parce que tu vas ^etre zigouill'ee au dernier tableau dans le r^ole de Marie-Antoinette, que t’as besoin d’avoir la trouille. C’est du carton. La
Rose Coutureau sourit gentiment `a son amant ; 'evidemment la jeune artiste ne pensait pas m^eme au r^ole tragique qu’elle interpr'etait et les plaisanteries de Beaum^ome 'etaient tout `a fait indiff'erentes `a la reine Marie-Antoinette de la pi`ece. Elle n’y r'epondit m^eme pas et se contenta de murmurer `a l’oreille de son amant :