L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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Cela sauvait Juve et Fandor, mais cela contusionnait aussi le policier, car, sous le poids des deux ivrognes, les ressorts fatigu'es du divan avaient tr`es violemment comprim'e Juve entre le dessous du canap'e et le plancher.
Juve, en 'ecartant insensiblement le volant de cuir qui garnissait le bas du divan, avait vu Fant^omas et s’'etait apercu que, malgr'e la temp'erature 'elev'ee de la pi`ece, le bandit avait conserv'e son pardessus.
— Pourquoi ? se demandait-il, ne le quitte-t-il pas ?
Fandor se faisait machinalement la m^eme question, et, Juve, le pressentant, expliqua `a l’oreille de son ami :
— Parbleu, je comprends tout. C’est tr`es simple. Tu sais ce que je t’ai racont'e tout `a l’heure `a savoir que le Bedeau, lorsqu’il a tir'e `a bout portant sur Fant^omas a cru que le bandit 'etait invuln'erable, lorsqu’il a vu que la balle de son revolver ricochait sur son pardessus au lieu de p'en'etrer dans le v^etement ou dans le corps. Cela tient tout simplement `a ce que Fant^omas a sur lui quelque chose `a la fois d’assez mince et d’assez 'epais pour intercepter tout projectile. Seules des feuilles de papier en nombre suffisant peuvent avoir constitu'e semblable bouclier.
— Possible, et alors ?
— Alors, Fant^omas porte sur lui en ce moment, sous son pardessus, les billets de banque qu’il a escroqu'es `a la famille Granjeard.
— Soit. Alors ?
— Alors, il va s’agir de l’obliger `a retirer son pardessus, pour que nous puissions nous en emparer et voler ce voleur.
Fandor pensa :
— Juve est fou. Il a compl`etement perdu la t^ete. Ce s'ejour sous ce sofa ne lui vaut absolument rien.
Le journaliste ne r'epondit rien. Il se contenta de regarder les gestes bizarres qu’accomplissait son ami. Juve s’'etait remis `a plat ventre. Il se refoula aussi loin qu’il le put, sous le canap'e et parvint `a atteindre, de sa main droite, le robinet permettant de doser le chauffage. Progressivement, Juve l’ouvrit. La vapeur p'en'etra dans les radiateurs qui entouraient la salle, et, peu `a peu, la temp'erature s’'eleva encore dans la pi`ece.
Les apaches, qui, s’ils redoutaient Fant^omas, n’avaient gu`ere cependant de formules respectueuses `a son 'egard, commencaient `a le plaisanter de conserver obstin'ement son pardessus.
Ces railleries devaient g^ener Fant^omas. Rester couvert et v^etu comme il l’'etait dans un lieu surchauff'e ne pouvait ^etre que suspect. Et Fant^omas connaissait bien trop son monde pour ne pas savoir que ses complices allaient se douter de quelque chose.
On blaguait Fant^omas. On insistait lourdement :
— C’est-y murmurait-on, qu’il a froid dans les moelles pour rester comme ca avec sa pelure.
— Ou alors, sugg'erait un autre, c’est-y qu’il a des nippes cousues d’or `a l’int'erieur du manteau.
Le policier qui suivait la sc`ene du coin de l’oeil, tout d’un coup, laissa presque 'echapper un petit cri de triomphe :
Fant^omas, en effet, c'edant aux moqueries dont il 'etait l’objet, d’un geste brusque et d'ecid'e, venait d’^oter son pardessus et l’avait jet'e p^ele-m^ele avec les autres v^etements qui se trouvaient entass'es sur une chaise, tout `a proximit'e du divan :
— Bravo, murmura Fandor en pincant le bras de Juve, voil`a qui est bien travaill'e.
Le policier secoua la t^ete et il murmura :
— Ce n’est pas fini.
Juve, en effet, tentait maintenant d’attirer `a proximit'e du divan le pardessus de Fant^omas et de le fouiller sans que nul ne p^ut s’en apercevoir. Comment allait-il faire ?
Le moindre geste inopportun, le moindre bruit insolite, et c’'etait la mort.
Ce fut l’in'enarrable Bec-de-Gaz qui, sans s’en douter, vint en aide au policier. Bec-de-Gaz 'etait compl`etement ivre, on pouvait lui tendre les emb^uches les plus grossi`eres, il 'etait incapable d’en deviner la nature ; Juve attendit le moment pr'ecis o`u Bec-de-Gaz en titubant passerait `a proximit'e du divan. Ce moment se pr'esenta enfin, et, comme les gros souliers de l’apache tra^inaient sur le plancher, tout `a c^ot'e du canap'e, Juve allongeant brusquement le bras, accrocha la jambe de l’ivrogne et le fit s’'etaler de tout son long. Le policier avait bien calcul'e son geste. Bec-de-Gaz en prof'erant un juron 'epouvantable, tomba la t^ete en avant, le nez sur la chaise surcharg'ee de v^etements, la chaise s’'ecroula, les v^etements tomb`erent par terre, le pardessus de Fant^omas, entra^in'e dans la chute, vint se placer `a port'ee de main de Juve.
T'em'eraire, Juve attira d’un geste brusque le v^etement sous le canap'e. D’une main fi'evreuse, il palpa la doublure. Elle 'etait vide, Fant^omas se m'efiait sans doute de ses amis. Mais le d'epit de Juve devait se transformer en une inqui'etude beaucoup plus grave. Malgr'e tout son courage et son imperturbable sang-froid, le policier tressaillit, de m^eme que Fandor ; les deux amis sentaient leur coeur battre `a rompre dans leur poitrine, un 'ev'enement grave venait de se produire : les mouvements involontaires de Juve et de Fandor avaient remu'e le canap'e, de facon si anormale que Fant^omas et ses invit'es ne pouvaient plus ne pas s’en apercevoir :
— Nom de Dieu, avait jur'e quelqu’un, voil`a le canap'e qui bouge.
Juve, qui d'esormais ne cherchait plus `a se dissimuler, fit encore un mouvement brusque, pour extraire son revolver de sa poche. H'elas, il ne put y parvenir.
— Dans une seconde, pensa-t-il, nous sommes d'ecouverts et assassin'es.
Mais, `a ce moment, on entendit plusieurs coups de sifflets `a l’ext'erieur. Sans se donner le mot, les apaches s’'etaient ru'es sur la fen^etre, l’avaient bris'ee, passaient au travers des carreaux bris'es, mis en fuite.
Juve et Fandor s’'etaient relev'es, renversant le canap'e, qui oscillait un moment, sur leurs 'epaules. Dehors, des coups de feu 'eclataient.
Juve bondit par la fen^etre, Fandor allait l’imiter, un revolver soudain appuya contre sa poitrine.
— Halte, ordonna une voix rude, imp'erative.
Fandor, instinctivement, ob'eit. Deux mains s’abattirent sur ses 'epaules. Le journaliste regarda puis 'eclata de rire :
— Ah, par exemple fit-il, ca n’est pas ordinaire. C’est vous, monsieur Havard, qui jugez bon de m’arr^eter ?
— Fandor, s’'ecria le chef de la S^uret'e. Ah, naturellement. J’'etais s^ur de vous trouver l`a, du moment que Juve 'etait dans les parages.
— Ah ca, fit le journaliste interloqu'e, vous aviez donc rendez-vous ?
— Pas le moins du monde, d'eclara le chef de la S^uret'e, mais je savais que Fant^omas devait venir ici demain, et, avec quelques hommes, j’ai eu l’id'ee d’'etudier la disposition des lieux afin de pr'eparer plus s^urement sa capture.
— Les grands esprits se rencontrent, lui r'epondit Fandor. Voil`a deux heures que nous sommes ici. Juve avait eu la m^eme id'ee que vous, et il faut croire aussi que Fant^omas avait form'e les m^emes projets, car il nous quitte `a l’instant.