La main coup?e (Отрезанная рука)
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— Ce maudit Russe, songeait-il est en train de se moquer de moi. Il faut que je le force `a s’expliquer.
Et sans r'efl'echir plus avant, Juve se pr'ecipita sur les traces d’Ivan Ivanovitch.
26 – DE L’'EVASION AU GUET-APENS
Bouzille soliloquait :
— Si tant plus que ca va, si tant plus que c’est la m^eme chose. On a beau partir en voyage, changer de pays, passer du nord au sud, les prisons sont pareilles, elles se ressemblent toutes. Les voil`a bien les m^emes murs, b^atis en pierre meuli`ere, les toits pointus, les grandes chemin'ees qui montent vers le ciel et aussi les barreaux aux fen^etres qui vous enl`event toute id'ee de fiche le camp. Parbleu, maintenant que nous avons franchi la porte, je suis bien certain qu’il va falloir passer dans une esp`ece de tourniquet, histoire d’y retourner ses poches et d’y laisser un tas de signatures.
Le brave chemineau marchait pacifiquement entre deux gardiens de la paix qui, lentement, de leurs pas paisibles de montagnards, l’avaient conduit au fort Saint-Antoine, l’unique prison de la Principaut'e.
Sur les ordres de Juve, Bouzille avait 'et'e confi'e `a la police et imm'ediatement incarc'er'e.
Bouzille n’avait compris qu’une chose, c’est qu’il s’'etait mis dans un mauvais cas en encourant la col`ere de Juve, mais le bonhomme, lorsqu’il interrogeait sa conscience, 'etait oblig'e de reconna^itre qu’il n’y avait gu`ere eu moyen pour lui de faire autrement. Il se serait alors attir'e la haine de l’officier russe et n’aurait pas obtenu de la g'en'erosit'e de ce prisonnier les trois louis d’or qui tintaient joyeusement au fond de sa poche.
Certes, il allait en prison, mais cette petite fortune 'etait une consolation.
— Allons, Bouzille, avait d'eclar'e l’un des hommes qui le conduisaient, au moment o`u le petit groupe arrivait dans un bureau `a l’entr'ee de la prison, d'eclinez `a monsieur vos nom, pr'enoms et qualit'es, afin que l’on soit fix'e sur votre identit'e exacte.
— Je connais ca, fit Bouzille, cela se passe ici comme `a Paris. Seulement on est moins de monde et puis les bureaux ne sont pas aussi bien tenus qu’`a Fresnes ou `a la Sant'e.
Et Bouzille, d’un air m'eprisant, surveillait le petit employ'e qui, 'emergeant d’un r'eduit obscur, examinait `a la lueur de la lampe fumeuse les papiers crasseux que lui tendait le prisonnier.
Il demanda ensuite aux agents en les regardant craintivement par-dessus ses lunettes :
— Vous avez un mandat d’arr^et ?
Les gardiens de la paix produisirent un document et, aussit^ot, le vieil employ'e, hochant la t^ete, appuya sur un timbre qui retentit au loin, dans la sonorit'e des couloirs vides.
Deux gardiens apparurent `a l’entr'ee du greffe et salu`erent.
Le vieux petit employ'e ordonna :
— Conduisez ce d'etenu, cellule 32 `a la 4e division.
Les ge^oliers aussit^ot saisirent Bouzille par l’'epaule et l’entra^in`erent dans les couloirs cependant que, demeur'es au greffe, les agents se faisaient donner d'echarge de leur prisonnier.
Bouzille, nullement intimid'e, avec une curiosit'e amus'ee, consid'erait le b^atiment qu’il allait d'esormais habiter pour une dur'ee ind'etermin'ee.
De temps `a autre il grommelait, lancant des coups d’oeil furtifs du c^ot'e de ses ge^oliers pour voir s’ils 'etaient d'ecid'es `a lier conversation :
— C’est pas mal ici. C’est chauff'e, c’est tranquille, ces messieurs de la direction ont l’air tr`es aimable.
Mais comme les ge^oliers ne bronchaient, pas affectant un air s'ev`ere, et pour montrer aussi qu’il venait de loin, qu’il avait beaucoup voyag'e, Bouzille ajoutait, parlant `a haute voix :
— C’est tout de m^eme moins bien qu’`a Paris et m^eme qu’`a Bruxelles. On dirait plut^ot une maison d’arr^et de province, comme celle de Lille, d’Avignon ou de La Rochelle.
Bouzille pensa tout bas :
— Pourvu que j’aie une bonne cellule et que je ne m’ennuie pas trop.
Le chemineau n’osait esp'erer qu’on lui donnerait un compagnon.
Aussi, lorsque les gardiens ouvrirent la porte de la cellule 32, le chemineau poussa-t-il un cri de joie :
La cellule 'etait `a deux places et d'ej`a quelqu’un s’y trouvait.
— Entrez l`a, dit le gardien. Vous serez vite jug'e ici, on ne fait pas beaucoup de pr'evention car les malfaiteurs sont rares, heureusement, et le tribunal ne tarde pas `a statuer sur leur sort. La plupart du temps on les expulse ou on les renvoie dans les prisons de France. Et t^achez de vous tenir tranquille, nous n’aimons pas le tapage.
Il ajouta, paternel et conciliant :
— Avez-vous mang'e, ce soir ?
— Ma foi, dit Bouzille, j’ai bien aval'e quelques radis en guise d’ap'eritif, mais il ne me d'eplairait pas de m’introduire une bonne soupe dans l’estomac.
— Il n’y a pas de soupe, fit le gardien, il y a des haricots, si vous en voulez.
— Va pour les haricots, dit Bouzille. Et il ajouta :
— C’est toujours la m^eme chose. Les prisons c’est comme les wagons-restaurants : on ne change jamais de menu. Par exemple, c’est moins cher pour la client`ele que dans les trains de luxe.
L’un des gardiens, qui s’'etait 'eloign'e pour aller chercher `a Bouzille sa marmite de l'egumes secs, revint au bout d’un instant.
Bouzille ne s’'etait pas encore avanc'e dans la cellule.
Lorsqu’il fut en possession de son d^iner et aussi de la cruche d’eau destin'ee `a le d'esalt'erer, deux tours de clef donn'es vigoureusement lui apprirent qu’il 'etait d'esormais incarc'er'e et d`es lors Bouzille se pr'eoccupa de lier conversation avec son compagnon :
— J’ai bien l’honneur, fit-il, de saluer monsieur et je dois dire `a monsieur que je m’appelle Bouzille, des fois qu’il aurait entendu parler de moi.
L’homme, qu’interpellait ainsi le chemineau se retournait d’une pi`ece et Bouzille en l’apercevant poussa un cri de stup'efaction.
— Ah, par exemple, s’'ecria-t-il, comme on se retrouve, mais c’est le signor Mario Isolino. Vrai, ca me fait plaisir de vous revoir. D'ecid'ement, il n’y a pas comme les prisons pour y retrouver les aminches.
Le bonneteur, apr`es avoir 'et'e surpris de cette brusque et cordiale apostrophe reconnut, lui aussi, son interlocuteur.
— Io souis bien content de vous voir, Bouzille, io souis bien content.