Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Or, tandis qu’H'el`ene r'efl'echissait ainsi, tandis que, le coeur battant un peu, elle se d'epouillait des bijoux qu’elle avait rev^etus pour mieux incarner le personnage de la reine aux yeux des courtisans, tandis qu’elle songeait que c’en 'etait fini des tourments de ces derni`eres semaines et que Fandor, son mari, viendrait, quelques instants plus tard, la prendre pour remporter vers le bonheur, brusquement elle entendait un appel qui la glacait d’effroi des pieds `a la t^ete.
Une voix, une voix grave, une voix d’homme rude et autoritaire, avait simplement dit :
— H'el`ene !…
Et comme la jeune femme se retournait, elle croyait `a cet instant d'efaillir. Devant elle 'etait un personnage dont l’'enigmatique silhouette ne lui 'etait, h'elas ! que trop connue…
Grand, mince, souple, il se croisait les bras, fixant la jeune femme d’un regard de feu qui la br^ulait jusqu’`a l’^ame. Il portait un maillot noir qui moulait 'etroitement son corps ; ses mains 'etaient gant'ees de noir ; une cagoule noire dissimulait son visage, ne laissant voir de ses traits qu’un peu de ses prunelles.
— H'el`ene !… r'ep'etait l’apparition.
Reculant devant cet homme qui l’appelait, H'el`ene g'emit, affol'ee :
— Fant^omas !… Fant^omas !
Et, certes, moins que tout autre, H'el`ene pouvait s’y tromper. Combien de fois, h'elas ! l’avait-elle vu en cette livr'ee de nuit qui 'etait sa livr'ee de crimes, le g'enial et monstrueux Fant^omas !
Combien de fois s’'etait-il dress'e sur sa route ? Combien de fois d'ej`a avait-elle fr'emi en entendant cette voix, cette voix qui faisait peur et qui 'eprouvait quelque peine, semblait-il, `a s’adoucir pour r'ep'eter son nom, rien que son nom :
— H'el`ene !…
La jeune femme reculait, la sueur au front. Livide, les mains jointes dans un geste de supplication, H'el`ene r^alait :
— Que me voulez-vous, Fant^omas ?
Et il paraissait alors qu’un instant le G'enie du crime h'esitait.
Fant^omas tardait `a r'epondre.
Fant^omas avait-il donc peur lui-m^eme de ce qu’il devait dire ? La monstruosit'e de ses propos, l’ignominie de ses desseins, l’effrayaient-elles `a son tour ?
Ce fut d’un ton dur, d’une voix qui n’admettait pas de r'eplique, de sa voix de ma^itre que Fant^omas r'etorqua :
— Ce que je veux, H'el`ene, tu le sais… C’est ton bonheur, ton bonheur avant tout et par-dessus tout… Viens…
Il avait fait un pas vers la jeune femme, il tendait la main, sa main gant'ee de noir, comme s’il eut voulu prendre H'el`ene par le bras.
La femme de Fandor pr'ecipitamment se recula.
— Venir ? fit-elle d’une voix rauque… Allons donc… Vous suivre ? Vous accompagner ? Jamais…
Et comme Fant^omas ne bronchait point en l’'ecoutant, comme il gardait son impassibilit'e coutumi`ere, H'el`ene se h^atait de reprendre :
— Fant^omas, il est inutile de vouloir peser sur mes r'esolutions. Vous ne m’^etes rien… Gr^ace `a Dieu, je suis d'elivr'ee de l’horrible cauchemar que j’ai connu lorsque je me croyais votre fille. Vous ne m’^etes rien, vous n’avez aucun droit sur moi, je vous hais…
Elle 'etait fr'emissante, elle 'etait superbe, H'el`ene, `a l’instant o`u elle osait, elle, faible femme, d'efier ainsi le Ma^itre de l’effroi, et lui crier sa haine, cette haine qui 'etait sans doute si cruelle `a la pens'ee de Fant^omas.
Le G'enie du crime, impassible, toujours cependant, et feignant de ne pas l’entendre, se contentait d’insister :
— Viens… disait-il. Viens, je le veux…
Il avancait toujours vers la jeune femme. H'el`ene, reculant devant lui, pas `a pas, se trouvait maintenant adoss'ee presque `a la tenture garnissant la fen^etre du salon orange.
— Je ne vous suivrai pas, riposta H'el`ene, articulant ses paroles avec une lenteur d'ecid'ee. Je ne vous suivrai jamais… Tuez-moi si vous le voulez, Fant^omas ; cela seulement vous pouvez le tenter… et encore, si vous faites un mouvement, je vous avertis que je donne l’alarme et que je vous ferai prendre, enfin, comme un ignoble bandit que vous ^etes…
Or, `a cette apostrophe virulente, Fant^omas ne r'epondait point. Simplement il haussait les 'epaules, pendant qu’un sourire passait sur ses l`evres.
La col`ere alors affolait H'el`ene. Cessant de reculer, elle marcha brusquement dans la direction du G'enie du crime.
— Je suis la femme de Fandor, murmurait-elle. La femme de Fandor ne peut pas ^etre une poltronne. Fant^omas, je n’ai point peur de vous… Fant^omas, je vous somme de fuir… On vient… Dans quelques secondes, il sera trop tard. Partez… Je ne vous livre pas, par respect pour les sentiments dont vous avez fait preuve pour moi… Vous m’avez aim'ee, vous m’aimez peut-^etre encore maintenant ; j’'etais `a vos yeux votre fille, une fille ne livre pas son p`ere. Ah !… profitez de ma cl'emence, Fant^omas, mais souvenez-vous que vous ^etes `a ma merci ! Allons, fuyez… partez…
Certes, `a cet instant, H'el`ene, comme elle l’avait dit elle-m^eme, se montrait digne de Fandor. Il fallait une ^ame intr'epide `a la jeune femme, il lui fallait un courage surprenant pour oser parler ainsi au Ma^itre de l’'epouvante, pour oser lui donner des ordres, `a lui qui en donnait `a tous.
Fant^omas, toutefois, souriait toujours.
Sous le masque qui voilait ses traits, son impassibilit'e amus'ee avait quelque chose d’'enigmatique et d’effroyable. On sentait que la col`ere d’H'el`ene, que les efforts de la jeune femme 'etaient vains, et que Fant^omas, `a son heure, `a l’instant o`u cela lui semblerait bon, disposerait d’elle, en d'epit d’elle-m^eme.
Fant^omas jouait avec H'el`ene comme un chat joue avec la souris qu’il fascine. Il 'etait le tigre qui fixe sa proie ; immobile encore, on le devinait pr^et `a bondir, pr^et `a satisfaire sa f'erocit'e.
H'el`ene, cependant, s’'enervait de plus en plus. V'eh'emente, elle osa s’avancer jusqu’`a fr^oler presque Fant^omas. La voix sifflante, le regard affol'e, elle r'ep'eta :
— Fant^omas, on vient… Fant^omas, il faut fuir…
La jeune femme tendait les bras, d'esignant la porte au bandit. Des pas se rapprochaient en effet, Fant^omas seulement alors parut sortir de son impassibilit'e.