Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
Шрифт:
Elle connaissait trop celui qui avait pass'e pour son p`ere, pour oser un geste, pour tenter un cri.
Si elle r'ev'elait leur pr'esence, Fant^omas n’h'esiterait pas…
Certes, s’il s’'etait agi d’elle, si le revolver s’'etait braqu'e sur sa poitrine, H'el`ene n’aurait pas tard'e une seconde `a s’'elancer en avant. Mais Fant^omas l’aimait. Fant^omas se gardait bien de la menacer, elle, c’'etait Fandor qu’il visait, c’'etait Fandor qui tomberait sous ses yeux, c’'etait Fandor qu’elle assassinerait en criant au secours !
Et c’est pourquoi, libre enti`erement, point m^eme b^aillonn'ee, H'el`ene demeurait muette, immobile, prisonni`ere de la peur, prisonni`ere de Fant^omas, pr^ete `a suivre docilement ses ordres et ses impulsions.
Fant^omas, surpris de l’attitude de la jeune femme, quelques minutes plus t^ot, lorsque H'el`ene avait os'e le braver, se rassurait d'esormais au contraire.
— Je la tiens, murmurait-il. Tant que j’aurai Fandor `a ma disposition, H'el`ene fera ce que je voudrai.
Et `a l’instant m^eme, tandis que Juve, la reine et Fandor se d'esesp'eraient dans le salon orange, Fant^omas, braquant toujours le canon de son revolver sur le journaliste, combinait un plan infernal.
Certes, ce rapt d’H'el`ene, qu’il avait d'ecid'e en raison sans doute de motifs imp'erieux que nul ne soupconnait, ce rapt n’'etait pas encore achev'e et offrait encore de grandes difficult'es.
Fant^omas, avec sa prisonni`ere, sa prisonni`ere encha^in'ee par la peur, 'etait en somme au centre m^eme du palais de la reine. Dans les couloirs, les courtisans s’empressaient ; dans la salle du tr^one, les dignitaires de la couronne s’entassaient, et c’'etait dans tout le palais royal, `a l’occasion de la solennit'e constitu'ee par l’ouverture du Parlement, un remue-m'enage continuel, des all'ees et venues perp'etuelles.
Il fallait traverser cette foule ; il fallait, en d'epit des difficult'es, sortir de ce palais, prendre le large, et en m^eme temps, entra^iner H'el`ene sans que celle-ci p^ut faire un geste, ou prononcer un mot compromettant.
Un autre e^ut renonc'e `a un projet si fou. Fant^omas, en sa t'em'erit'e coutumi`ere, n’h'esitait pas, tout au contraire, `a d'ecider de l’accomplir.
— Nous sortirons ! murmurait-il.
Et comme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la main du bandit se posait sur l’'epaule d’H'el`ene.
— Un mot, r'ep'etait-il, et Fandor est mort… Songes-y.
Comme H'el`ene, terrifi'ee, le regardait, Fant^omas entra^inait la jeune femme hors de l’embrasure de fen^etre qui, si opportun'ement, venait de leur servir d’abri.
Fant^omas, en quelques gestes, se d'epouillait du maillot noir qui tout `a l’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costume de cour, bas de soie, culotte de satin, habit `a la francaise.
Fant^omas tirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait si bien l’art de se maquiller que quelques secondes lui suffisaient `a changer son visage.
Alors, le bandit m'etamorphos'e se tournait vers H'el`ene :
— Je suis, murmurait-il, m'econnaissable, et nous allons en profiter. Une voiture m’attend dans la cour du ch^ateau. C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enqu^eter. Ils me croient devant eux, parti d'ej`a ; tout au contraire, nous allons les suivre…
Et comme H'el`ene le regardait sans comprendre, Fant^omas reprenait :
— C’est Fandor, H'el`ene, qui va nous ouvrir la route. C’est Fandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis. Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolver dans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul mot imprudent 'echapp'e `a tes l`evres, et Fandor est un homme mort…
Fant^omas avait parl'e d’un ton rude et brusque. D’une voix soudainement devenue aimable il demandait :
— Ton bras, H'el`ene ? Nous allons fuir, mais fuir ensemble…
Et il fallut bien alors qu’H'el`ene s’inclin^at. La main gant'ee de blanc de la jeune femme, sa main tremblante, s’appuya sur le bras de Fant^omas. Ils quitt`erent le salon orange ; ils furent dans le couloir encombr'e de courtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers et d’huissiers.
Ils pass`erent au milieu de cette foule. Sur l’ordre de Fant^omas, H'el`ene avait jet'e sur ses 'epaules un grand manteau qui tra^inait sur un meuble o`u sans doute le bandit l’avait d'epos'e, et qu’il avait 'et'e prendre myst'erieusement. Ce manteau, vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvait la reconna^itre, et Fant^omas, de son c^ot'e, gr^ace `a sa perruque, gr^ace `a son maquillage, 'etait impossible `a identifier.
La foule des courtisans s’'ecartait sur leur passage. On les prenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisie invit'es par la reine `a la c'er'emonie de la signature des brefs parlementaires. On s’'ecartait devant eux, ils passaient…
H'el`ene dut se composer un visage souriant. Tandis que son coeur battait `a se rompre dans sa poitrine, tandis que le d'esespoir faisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’^ame de sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, de feindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.
Faire un geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah ! pour rien au monde, en cet instant, H'el`ene ne l’e^ut os'e.
Fant^omas avait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’y chercher quelque chose, un mouchoir, une bo^ite `a poudre de riz, peut-^etre ; son geste 'etait naturel, ordinaire, mais H'el`ene, h'elas ! ne pouvait s’y tromper. Ce que Fant^omas tenait, c’'etait son revolver. Le Ma^itre de l’effroi avait eu raison, elle 'etait en son pouvoir, elle se tairait… elle ne dirait rien… car Fandor 'etait `a cinquante m`etres devant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver le menacait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvait irr'evocablement condamner.
Et H'el`ene, crisp'ee par l’effort moral qu’elle devait s’imposer, se disait :
— Je ne puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fant^omas tirerait, Fandor serait mort, et certainement, `a la faveur du scandale, Fant^omas s’'echapperait.
Le couple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palais royal.
Fandor et Juve, comme l’avait devin'e Fant^omas, se rendaient, en effet, `a la cour du ch^ateau o`u sans doute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer de retrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquement parti devant eux.