Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Merveilleuse de sang-froid, ne se faisant aucune illusion sur ce qui se produisait, H'el`ene devinait la tr`es triste v'erit'e.
— Mon Dieu, pensa-t-elle… Je suis prise par la mar'ee… le flot baisse, je vais ^etre entra^in'ee hors du port, je me noierai infailliblement…
Elle voulut, pour se reposer, faire la planche quelques instants et s’abandonner au courant. Mais des crampes la terrassaient. Alors, elle d'ecida de lutter. Lutte-t-on, h'elas ! contre le flot ?
H'el`ene eut beau faire appel `a toute son intr'epidit'e et `a toute son habilet'e de nageuse avertie, elle se rendit compte qu’il lui 'etait impossible de remonter le courant, et que ses efforts n’auraient d’autre conclusion que de h^ater sa perte en l’'epuisant plus vite.
— Perdue, je suis perdue… se dit-elle.
Elle nagea encore quelques instants. Tout un monde de visions se d'eroulait dans son cerveau o`u la fi`evre mettait une hantise. Elle se vit enfant, au Natal, nageant dans des torrents, dans des plaines d'esertes. Brusquement, elle imagina la sc`ene tragique au cours de laquelle, incarnant encore le personnage de Teddy, elle avait fait la connaissance de Fandor, de celui qu’elle consid'erait comme son mari.
Puis H'el`ene se vit reine. La veille encore, elle ceignait le diad`eme. Le matin m^eme, la reine de Hollande la remerciait de lui conserver son tr^one… Puis Fant^omas, D'emon du mal, survenait, et tout se brouillait… et tout s’an'eantissait…
Fandor ne pouvait plus rien pour elle, et elle ne verrait plus jamais Fandor…
H'el`ene eut la sensation aigu"e qu’elle n’'etait plus d'esormais qu’une pauvre chose, une 'epave vivante que la temp^ete entra^inait, et qu’elle s’en allait vers le large, au gr'e des flots, dans la nuit noire…
La jeune femme alors ralentit ses brass'ees…
Le terrible drame dont elle 'etait l’h'ero"ine parvenait fatalement `a sa sinistre conclusion. Dans la lutte t'em'eraire qu’elle avait entreprise, elle 'etait vaincue et H'el`ene, `a l’instant m^eme o`u elle allait mourir, ne pouvait s’emp^echer de r'ep'eter, haletante :
— Fant^omas est le Ma^itre de tous… Fant^omas est le Ma^itre de tout…
La fi`evre, `a cet instant, lui donna le d'elire, elle songea encore :
— Quel beau linceul me fera la mer frang'ee d’'ecume !…
Puis, elle ne songea plus… l’'evanouissement supr^eme mit fin `a sa torture… elle cessa de nager… sa jolie t^ete chercha l’appui trompeur des flots moelleux… la mer s’ouvrit, la recut en son sein, l’engloutit, se ferma sur elle, tranquille, calme, voilant le meurtre qu’elle venait d’accomplir sous les vaguelettes joueuses du courant.
— Donne-lui encore du rhum…
— By Jove, tu vas la mettre dans les vignes.
— T’inqui`ete pas, ma vieille… elle en reviendra…
— Place, place… voil`a des briques chaudes…
— Vente dur, ce matin… Et alors, qu’est-ce qu’elle dit ?
— Rien, capitaine… rien encore…
Cela sentait la mer dans ce logis 'etroit aux formes arrondies, dans cette cabine qui comportait tout juste un petit lit, un cadre, une table `a roulis et quelques ustensiles de toilette.
Cela sentait la mer et, de fait, si quelque curieux avait gliss'e un regard `a travers un 'etroit hublot, il n’e^ut apercu, au plus lointain de l’horizon, que les flots glauques, frang'es d’'ecume, se creusant en d’'enormes vagues, se bousculant en col`eres soudaines, s’enflant en montagnes et d'eferlant en avalanche…
Une cabine !… 'Etait-ce donc `a bord d’un bateau que se trouvaient ces hommes au rude visage, aux gestes brusques, qui s’entassaient dans l’'etroit logement, se bousculant les uns les autres, apportant chacun un objet, qui des briques chaudes, qui un grand bol rempli de rhum ?
Le doute, `a la v'erit'e, n’'etait pas permis. Les oscillations du plancher, les craquements qui se faisaient entendre, le heurt sourd des lames battant les flancs du vaisseau, et par-dessus tout les hurlements de la brise… l’odeur ^acre et saline qui r'egnait en ces lieux e^ut suffi `a en donner la certitude.
Mais que se passait-il dans cette chambre ? Pourquoi ces hommes frustres et brutaux se h^ataient-ils ainsi vers le lit ?
Sur le cadre 'etroit 'etait 'etendue une femme. Elle paraissait inanim'ee, morte peut-^etre… Ses cheveux d'enou'es s’enroulaient autour de son front, emm^el'es d’algues, parsem'es de coquillages. Ses v^etements tremp'es collaient `a ses membres. Son visage bl^eme 'etait immobile.
Qu’'etait-elle ? D’o`u venait-elle ?
Quel terrible accident l’avait r'eduite au triste 'etat o`u elle se trouvait ?
— Donnez-lui du rhum, sang Dieu ! reprenait une voix. Avec le rhum, on remet toujours les gens sur patte. C’est la meilleure m'edecine…
Dans le grand bol une large rasade fut vers'ee. Un homme, un colosse, qui, pieds nus, portait pour tout v^etement une courte culotte de toile et une sorte de chandail ouvert au cou, laissant apercevoir une robuste poitrine, s’approchait pr'ecautionneusement de la malade.
— Une… deux… trois… sautez muscade, annoncait-il. Je parie qu’`a ce coup-ci la belle enfant se d'ecide `a nous dire bonjour ou bonsoir…
Cet homme, qui semblait d’une force hercul'eenne, avait en r'ealit'e des gestes assez doux. Il trouvait moyen, avec le manche d’une cuiller de plomb, de desserrer les dents de la malade inanim'ee et alors, avec de douces pr'ecautions, il versait de petites gorg'ees de liquide, la forcant en quelque sorte `a boire.
Il n’insistait pas longtemps, d’ailleurs. Le rhum dont il se servait 'etait effroyablement fort, et son effet ne se faisait pas longtemps attendre.
La malade, tout `a l’heure inanim'ee, ouvrit les yeux. D’abord, elle consid'era avec une stupeur profonde les visages qui se penchaient sur elle. Puis, il sembla qu’une 'epouvante passa sur son visage. Ses mains se crisp`erent, elle voulut parler, un son indistinct sortit seul de sa gorge crisp'ee.