Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Fant^omas aussi bien quittait la cabine o`u il venait d’entretenir sa fille, cette cabine d’o`u, quelques heures plus tard, H'el`ene devait si audacieusement s’'evader, en proie au plus grand trouble.
Le bandit avait fait bonne figure tant qu’il s’'etait trouv'e devant la jeune femme, donnant en cela une preuve de son extraordinaire 'energie morale, mais, d`es qu’il se trouvait hors de sa pr'esence, d`es qu’il 'etait seul avec lui-m^eme, il perdait tout de son impassibilit'e habituelle.
— H'el`ene, murmurait Fant^omas… aime Fandor ! Elle aime mon ennemi mortel, et moi, elle me hait…
Ah ! certes, Fant^omas `a ce moment concevait une nouvelle col`ere `a l’'egard de Fandor. Certes, le journaliste incarnait toujours `a ses yeux l’ami d'evou'e de Juve, l’intr'epide jeune homme qu’il combattait depuis dix ans, mais soudain il lui trouvait une autre qualit'e, une qualit'e qui motivait plus encore sa rancune, il 'etait l’homme qu’aimait H'el`ene !
C’'etait alors un 'etrange sentiment qui s’emparait de Fant^omas. Le mis'erable qui n’avait jusqu’alors jamais connu de souffrance morale, qui avait toujours su se faire profond'ement indiff'erent, compl`etement impassible, go^utait l’^apre tourment de la jalousie. Il souffrait terriblement `a la pens'ee que sa fille H'el`ene, qu’il ch'erissait si tendrement, qui 'etait m^eme la seule personne au monde qu’il aimait depuis la mort de lady Beltham, non seulement n’avait pour lui aucune affection, mais encore adorait son plus mortel ennemi.
Fant^omas, en quittant le salon o`u il venait d’enfermer H'el`ene, marchait t^ete basse, l’air accabl'e.
La p'eniche qui lui servait de prison 'etait, tout comme l’avait devin'e la jeune femme, truqu'ee dans son entier. Les tas de charbon qui se trouvaient sur le pont n’'etaient l`a que pour cacher les am'enagements int'erieurs, et il s’agissait d’un chargement factice, car, en r'ealit'e, la barge tout enti`ere 'etait install'ee en embarcation de plaisance comportant de nombreuses cabines, et m^eme un grand dortoir.
Fant^omas suivit l’un des couloirs qui courait le long de ces appartements, voulant se diriger vers les pi`eces qui lui 'etaient r'eserv'ees. Or, comme il avancait ainsi, atterr'e, accabl'e, courbant la t^ete sous le poids de son chagrin, il heurtait `a l’improviste un homme, un matelot, semblait-il, qui s’effacait cependant, s’appuyant `a la muraille pour le laisser passer.
Fant^omas, arrach'e `a son r^eve, tressaillit violemment.
— Imb'ecile, fit-il, contemplant l’homme qu’il venait de bousculer. Ne peux-tu te ranger ?
L’autre se courbait d'ej`a en des saluts profonds.
— Ma^itre, pardonnez-moi, murmurait-il.
Mais Fant^omas n’'ecoutait pas cette excuse. Brusquement, il avait repris possession de son sang-froid. Brusquement, il retrouvait sa ma^itrise ordinaire, r'eussissant, par un effort d’'energie, `a chasser de son esprit toute pr'eoccupation grave.
— Viens, ordonnait Fant^omas. J’ai `a te parler.
L’homme et lui entr`erent dans un somptueux cabinet de travail, la porte se referma sur eux. Longtemps le bandit et son complice complot`erent ensemble.
Que d'ecidait alors Fant^omas, qu’'etudiait-il avec ce compagnon qui 'etait 'evidemment l’un des h^otes myst'erieux de la fantastique p'eniche ? Il e^ut fallu, pour le deviner, conna^itre les intentions secr`etes du G'enie du crime, savoir quelle revanche Fant^omas pr'eparait aux d'efaites que Fandor et Juve venaient en quelque sorte de lui imposer, en sauvant la reine Wilhemine, en conservant `a la gracieuse souveraine le tr^one que Fant^omas n’avait pas craint de convoiter.
Mais qui, par malheur, pouvait jamais se vanter de conna^itre d’avance les intentions de Fant^omas ?
Le bandit, bien 'evidemment, ne confiait ses secrets `a personne. Ses complices, eux-m^emes, le plus souvent, n’en savaient pas les grandes lignes, et n’en connaissaient que certains petits d'etails `a peine suffisants pour alimenter leur curiosit'e, et bons tout au plus `a pr'eciser la part effective qu’ils devaient prendre aux g'eniales entreprises du bandit.
L’homme, apr`es plus de deux heures d’entretien, quitta le cabinet de travail de Fant^omas. Il 'etait bl^eme, il tremblait…
— Ma^itre, murmurait-il simplement, vous serez ob'ei, je suis certain que je r'eussirai.
La voix de Fant^omas r'epondit :
— J’y compte bien, Ma Pomme !
Puis, la barge retomba dans le silence. La porte du cabinet de travail de Fant^omas s’'etait `a nouveau referm'ee, l’homme qui r'epondait au sobriquet de Ma Pomme avait disparu ; le myst'erieux bateau o`u sommeillait encore H'el`ene, attendant l’heure propice pour son 'evasion, paraissait en v'erit'e compl`etement d'esert, totalement inhabit'e.
Les heures qu’H'el`ene avait v'ecues dans la prison que lui avait assign'ee son p`ere se tra^inaient alors pour Fant^omas avec une lenteur comparable `a celle dont la jeune femme souffrait.
Le bandit n’'etait pas moins 'emu que sa fille et tout comme sa fille, souffrait. Il se promenait de long en large dans son cabinet de travail, et par moment ses sourcils se froncaient, ses poings se serraient, comme si une col`ere effroyable l’e^ut brusquement secou'e.
Quel 'etait donc le secret de cet homme, de cet homme invisible, dont le nom glacait d’'epouvante le monde entier ?
Quelle 'etait donc l’^ame v'eritable de Fant^omas, de ce Roi des tortionnaires, qui n’avait jamais recul'e devant les plus horribles atrocit'es et qui souffrait ainsi si cruellement `a la pens'ee que sa fille aimait un autre homme que celui auquel il l’avait destin'ee ?
Toute la nuit, sans songer `a prendre le moindre repos, Fant^omas se promenait de la sorte dans ses appartements. `A cinq heures du matin seulement, il semblait sortir de l’h'esitation, de l’'enervement anxieux dans lequel il se d'ebattait p'eniblement.