Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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C’'etait l`a une v'erit'e probable ; Geoffroy, cependant, y r'efl'echissait longuement avant de la tenir pour certaine.
— `A ta sant'e, ripostait-il. Apr`es tout, c’est bien possible. Mais si qu’on s’en allait ?
L’id'ee fixe de Geoffroy 'etait en effet de partir. C’'etait une id'ee fixe, d’ailleurs, qui ne conduisait nullement Geoffroy `a s’en aller. Il proposait la chose, mais il ne l’e^ut jamais fait tant que Beno^it ne l’aurait pas voulu avec lui.
Or, ce soir-l`a, pr'ecis'ement, Beno^it le Farinier n’avait nullement l’intention de quitter Haarlem.
Beno^it le Farinier et son compagnon avaient tout le jour travaill'e dans les champs de roses, ils 'etaient rentr'es dans la maison d’habitation `a sept heures et demie du soir, avaient copieusement d^in'e, et maintenant, ils s’attaquaient `a une provision de six bouteilles qui, tr`es certainement, allait suffire `a occuper les loisirs de leur soir'ee.
— Fameux, cet aramon-l`a ! d'eclarait Beno^it.
— Fameux, affirmait sobrement Geoffroy la Barrique, qui, entra^in'e par l’habitude, ne pouvait s’emp^echer de proposer :
— Encore un verre, Beno^it. C’est ma tourn'ee !
De tourn'ees en tourn'ees, il arrivait que les deux hommes commencaient `a ^etre quelque peu gris. Geoffroy la Barrique et Beno^it le Farinier, `a vrai dire, ne s’enivraient jamais compl`etement. Ces deux solides buveurs parvenaient tout juste `a s’'egayer un peu, et c’'etait pr'ecis'ement gais qu’ils se trouvaient `a cet instant.
Ils s’'etaient tous les deux introduits dans la cuisine, ils avaient allum'e dans la grande chemin'ee un splendide feu de bois, et, 'etendus dans de grands fauteuils, fumant d’'enormes pipes, se chauffant avec volupt'e, ils remplissaient leurs verres et les vidaient avec des gestes pr'ecipit'es et r'eguliers qui disaient la grande habitude qu’ils poss'edaient d’une semblable op'eration.
Au fur et `a mesure cependant que la nuit tombait, Geoffroy la Barrique se rapprochait du foyer et devenait bavard.
Bient^ot, il entreprenait Beno^it le Farinier de la plus 'energique facon :
— 'Ecoute, vieux fr`ere, grommelait-il. Tout ca, dans le fond, c’est des boniments `a la graisse d’oie. Ici, n’est-ce pas, on est bien ?
— Tr`es bien, conc'eda Geoffroy.
— Donc, ma vieille, il n’y aurait pas l’occasion de s’en aller, si des fois on n’'etait pas mieux `a Paris…
— S^ur ! approuva encore Geoffroy.
Un instant de silence s’'etablit, les deux hommes buvaient ; Beno^it le Farinier reprit :
— Seulement, comme ca, tu comprends, rapport `a notre travail, faudrait pas qu’on perde trop de temps. Aux Halles, on pourrait se demander ce que nous sommes devenus et la client`ele nous l^acherait…
— Nous l^acherait, r'ep'eta docilement Geoffroy.
Mais, en parlant, la Barrique venait brusquement de se retourner dans son fauteuil. Il avait, un instant, consid'er'e la fen^etre, faisant un dr^ole de visage ; il se retournait maintenant d’un seul mouvement, contemplant Beno^it le Farinier qui le regardait, lui aussi, avec une certaine attention.
— Hein !… fit Geoffroy la Barrique.
Beno^it le Farinier haussa les 'epaules.
— C’est rien, c’est une branche d’arbre qui a craqu'e… Ils avaient entendu tous les deux un bruit provenant du jardin, le craquement d’une branche sans doute, et cela les avait fait tressaillir.
— `A la tienne ! proposa Beno^it.
— `A la tienne ! r'epliqua Geoffroy.
Ils trinqu`erent encore, rallum`erent leurs pipes.
— Mon vieux, reprenait alors Geoffroy la Barrique, pour rentrer `a Pantruche, para^it que c’est tr`es loin, mais ca ne fait rien, mes souliers sont neufs. Justement, je les ai fait ressemeler. C’est pas des quarante ou cinquante kilom`etres qui me font peur…
— `A moi non plus ! D’ailleurs, on trouvera peut-^etre un voiturier.
— C’est bien possible.
Leurs notions g'eographiques n’'etaient pas tr`es exactes ; Geoffroy la Barrique et Beno^it le Farinier estimaient toujours qu’ils 'etaient `a une cinquantaine de kilom`etres au plus des barri`eres de Paris et comptaient bien regagner la capitale sans se presser, allant `a pied et fl^anant par les routes.
Une nouvelle bouteille fut d'ebouch'ee et promptement entam'ee.
— C’est qu’on est bien, ici ! soupirait Geoffroy la Barrique. Ca fera peine de s’en aller.
— Bah ! on reviendra le dimanche…
— Ca, d’accord.
Leurs verres pleins, ils allaient trinquer lorsque Beno^it le Farinier sursautait si fort qu’il renversait une partie de son vin.
— Qu’est-ce que t’as ? interrogea Geoffroy.
Beno^it 'etait tout p^ale.
— Ce que j’ai ?… rien… t’as pas entendu ?
— Entendu quoi ?
— Est-ce que je sais !…
Il y avait eu dans le jardin comme un nouveau bruit, un craquement plus distinct encore, le sifflement peut-^etre de la rafale, car il ventait dur, qui avait secou'e les massifs.
Beno^it le Farinier resta quelques instants l’oreille aux 'ecoutes, puis haussa ses larges 'epaules.
— C’est rigolo tout de m^eme ! d'eclarait-il avec un rire discret et se moquant de lui-m^eme, c’est rigolo, n’est-ce pas ? Mais ici, mon vieux, on est dans la tranquillit'e, dans la fortune jusqu’au cou, et pourtant on ne se sent pas `a l’aise. Hein ! qu’est-ce que t’en dis ?
Le second fort n’en disait rien, et, tout au contraire, se taisait obstin'ement.
Lui aussi pr^etait l’oreille, et c’'etait brusquement que Geoffroy la Barrique finissait par se lever :
— Apr`es tout, soupirait-il, on ne sait jamais ce qui peut arriver… T’as ferm'e la porte du jardin, au moins ?
— Oui, oui, elle est ferm'ee.
— Alors ca va. `A ta sant'e !…
— `A la tienne !
Ils trinqu`erent encore, puis Geoffroy la Barrique jetait un nouveau fagot dans le feu et tirait sa chaise si pr`es qu’il s’asseyait presque dans l’^atre.