Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Les deux hommes, depuis quelques instants qu’ils 'etaient seuls, ne disaient mot. Toutefois, cependant que Fernand avait une attitude inqui`ete et troubl'ee, l’oncle Baraban affectait le plus grand calme. De sa main 'el'egante et soign'ee, il lissait les longs favoris de sa barbe blanche.
Alice revint avec la bonne. Lorsque cette derni`ere e^ut pos'e la lampe sur la table, la ma^itresse de maison lui dit d’une voix qui tremblait :
— Laissez-nous seuls, ma fille.
Elle s’interrompit. L’oncle Baraban ordonnait d’une voix nette et cat'egorique :
— Et surtout que personne ne vienne nous d'eranger.
Baraban se levait d’ailleurs de son fauteuil, allait surveiller le d'epart de la bonne, et, s’'etant assur'e que celle-ci 'etait descendue, il ferma la porte `a double tour, et revint vers les 'epoux Ricard. L’oncle Baraban, en l’espace d’une seconde, avait chang'e de physionomie.
C’'etait d'esormais d’un regard froid, dur, imp'en'etrable qu’il consid'erait les 'epoux Ricard. Il croisa les bras sur sa poitrine, et d’une voix br`eve, 'energique, commenca :
— Maintenant causons.
— Oui, fit Alice, causons.
— D’abord, qui ^etes-vous ? demanda son mari.
— Je suis l’homme qui vous a sauv'es.
Il y eut un instant de stupeur. Les deux 'epoux se regard`erent, puis Alice murmura :
— Je vous avais bien reconnu, en effet, vos yeux ne trompent pas. Ils vous trahissent. C’est vous qui ^etes venu nous proposer une entente indigne.
Fernand Ricard interrompit sa femme :
— Vous ^etes un imposteur, monsieur, et vous n’^etes pas notre oncle Baraban.
Le personnage qui, jusqu’alors s’'etait donn'e pour tel et que les 'epoux Ricard n’avaient pas h'esit'e `a reconna^itre pour leur parent, se contentait de sourire :
— Plaignez-vous donc ! leur dit-il. Je vous ai tir'es d’affaires, vous 'etiez gravement compromis et, sans moi, ce soir, vous couchiez en prison…
Les 'epoux Ricard se regardaient perplexes. Cet homme avait raison, en effet, et ils se rendaient compte de l’'etranget'e de la situation.
L’un et l’autre savaient parfaitement que ce n’'etait pas l’oncle Baraban qu’ils avaient devant les yeux. Ils avaient la certitude que ce personnage `a la face joviale, `a la chevelure et `a la barbe blanches, n’'etait autre que l’homme, si merveilleusement grim'e qui 'etait venu les voir quelques jours auparavant et qui leur avait dit avec cynisme :
Tout d’abord, en l’apercevant `a la gare, au moment o`u on les emmenait prisonniers `a Paris, les 'epoux Ricard, en entendant crier : « Voil`a l’oncle Baraban », avaient manqu'e de pr'esence d’esprit. C’'etait le sauveur inesp'er'e, inattendu, qui survenait soudain, et leur permettait, par sa pr'esence, d’exiger la libert'e. Il fallait `a toute force le reconna^itre pour leur oncle, on verrait ensuite `a s’expliquer.
Or, l’heure de l’explication 'etait venue, et, d'esormais, les Ricard se rendaient compte de l’'enorme gaffe qu’ils avaient commise.
Car, si d’une part, ils d'evoilaient l’imposture de l’inconnu, d’autre part celui-ci serait fond'e `a leur dire :
L’inconnu ne se g^enait pas pour leur dire :
— Vous m’avez reconnu et vous ne m’avez pas d'emasqu'e, en cons'equence, je vous tiens.
Fernand Ricard s’'etait ressaisi. Il fit observer :
— Nous vous tenons aussi : `a menteur, menteur et demi.
— Oh, oh, fit l’homme, je n’aime pas beaucoup que l’on plaisante avec moi. Il va s’agir de filer droit, et souvenez-vous bien que si je suis un imposteur, vous ^etes, vous, des assassins.
`A la grande surprise, 'evidemment, de l’inconnu, les Ricard ne semblaient pas autrement troubl'es par cette accusation. Ils 'echang`erent m^eme un sourire. L’inconnu cependant, poursuivit :
— Je m’int'eresse `a vous. Vous me plaisez tous les deux. Malgr'e votre attitude, je tiens `a vous ^etre agr'eable. Il vous restera quelque chose sur la fortune de l’oncle Baraban, que je pr'etends m’approprier, et qui me revient de droit, puisque `a l’heure actuelle je passe pour ^etre cet excellent homme : acceptez-vous ?
Fernand Ricard haussa les 'epaules :
— Pour le moment, nous ne pouvons refuser. Vous nous tenez.
— Bien, fit l’inconnu, je pr'ef`ere ce langage, et, en passant, permettez-moi de vous demander pourquoi vous vous ^etes montr'es si intransigeants `a mon 'egard, lorsqu’il y a quelques jours, je suis venu vous proposer une entente fort acceptable ?
Ce fut Alice qui r'epliqua :
— Ah mon Dieu, soupira-t-elle, mieux aurait valu en effet, nous entendre `a ce moment. Toutes ces histoires ne seraient peut-^etre pas arriv'ees.
Mais Fernand Ricard donna un grand coup de poing sur la table :
— Tu es une sotte ! cria-t-il.
Puis, se tournant vers l’inconnu, il lui d'eclara :
— Je croyais que vous apparteniez `a la police et que vous veniez nous tendre un pi`ege.
Le faux oncle Baraban se mit `a rire.
— Non, d'eclara-t-il enfin, pas la police, bien au contraire… Maintenant il faut tout me dire. O`u est le cadavre ?
— Le cadavre de qui ? interrogea Alice.
L’inconnu fronca le sourcil :
— Allons, allons que cela finisse, d'eclara-t-il, nous jouons cartes sur table, n’est-il pas vrai ? Il faut que je sache o`u est le cadavre de l’oncle Baraban.
Les deux 'epoux se regard`erent interdits, et avec un air d’innocence si absolu que leur interlocuteur s’imagina qu’ils avaient encore quelque doute `a son 'egard.