Том 11. Былое и думы. Часть 6-8
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Il y a une co"incidence 'etrange. Apr`es une prostration morale qui dura plus de dix ans du r`egne de Nicolas, quelque chose se remua au fond de la pens'ee – on devint plus triste et plus vif. Une protestation non exprim'ee se sentait dans l’air, un fr'emissement fit tressaillir les intelligences; on eut peur du n'eant, du silence que le r'egime imp'erial faisait en Russie. Ce r'eveil se fit vers les premi`eres ann'ees de 1840.
Eh bien, oui, le «cam'elisme» aristocratique 'etait aussi une protestation et aussi un r'eveil. Protestation mutine et 'echevel'ee, inconsciente, mais protestation de la femme 'ecras'ee par la famille, absorb'ee par la famille, offens'ee par la dissolution d'evergond'ee du mari. Quelle est donc cette terra incognita dont parlent avec enthousiasme les 'epoux et les jeunes gens? Allons voir de pr`es cette femme libre, qui n’appartient `a personne parce qu’elle peut appartenir `a tout le monde. Et les romans! les romans! Les jeunes femmes d'elaiss'ees, emprisonn'ees sous le despotisme lourd des belles-m`eres, de la parent'e enti`ere, se mirent `a lire. George Sand fit ravage en Russie. Enfin la patience se rompt et la femme prend le mors aux dents.
Telle est l’histoire de nos dames aux perles et aux diamants, `a l’'ecusson et `a la couronne princi`ere.
Le vieux grognard Rostoptchine avait bien raison, en disant sur son lit de mort, apr`es avoir entendu la nouvelle de l’insurrection sur la place d’Isaak: «Tout se fait chez nous au rebours du bon sens. En France, la roture voulait monter au niveau de la noblesse, cela se concoit. Chez nous, la noblesse veut s’encanailler. Allez comprendre cela».
Eh bien, le grand incendiaire de Moscou doit nous excuser, nous comprenons parfaitement cette voie du d'eveloppement comme cons'equence d’une civilisation dont on nous a grev'e, d’un dualisme artificiel avec le peuple, et de tout l’ensemble de nos aspirations – mais cela nous m`enerait trop loin…
Nos cam'elias doubles ont leur place dans l’histoire; mais elles n’en ont plus dans le mouvement actuel. Qu’elles se consolent. Goethe a dit: «Ce n’est que le passager qui est beau». C’est la premi`ere phalange de volontaires `a l’avant-garde, exalt'ee, t'em'eraire, qui va la premi`ere au feu en chantant (peut-^etre pour cacher l’'emotion). La colonne qui la suit est toute autre: aust`ere et s'erieuse, elle va avec fi`ere conscience au pas de charge remplacer les bacchantes – un peu chauves et `a cheveux blancs.
Dans les nouveaux rangs, il n’y a que des enfants, les plus ^ag'es de 18 ans; mais ces jeunes filles sont des jeunes gens,'etudiants de l’Universit'e et de l’Acad'emie m'edicale. Les cam'elias ont 'et'e nos Girondins; elles nous rappellent des sc`enes du Faublas. Nos 'etudiants demoiselles, ce sont les Jacobins de l’'emancipation f'eminine. Saint-Just en amazone – tout est pur, tranchant, sans piti'e, avec toute la f'erocit'e de la vertu et l’intol'erance des sectaires. Elles ^otent la crinoline, elles se d'esignent par l’absence d’une pi`ece d’habillement, comme les Jacobins; ce sont des sans-crinolines;les cheveux coup'es, l’'eclat des yeux amorti par des lunettes bleues pour ne pas offusquer la seule lumi`ere de la raison. Autre temps, autres moeurs, la diff'erence de sexe presque oubli'ee devant la science. Im Reiche der Wahrheit tous sont 'egaux.
C’est vers l’ann'ee 1860 que s’'epanouissent nos fleurs de Minerve: vingt ans de diff'erence avec les fleurs doubles. La traviata et la cam'elia des salons appartenaient au temps de Nicolas. C’'etaient en partie des filles de r'egiment, des vivandi`eres de la grande caserne d’hiver. Elles appartenaient `a son temps comme ces g'en'eraux d’'etalage, de devanture, qui faisaient la guerre `a leurs propres soldats. La guerre de la Crim'ee mit fin `a ces g'en'eraux
Ce n’est plus une 'emeute, c’est une r'evolution. Ce ne sont plus des passions, des aspirations vagues, c’est la solennelle proclamation des droits de la femme. L’amour est rel'egu'e au troisi`eme, au quatri`eme plan. On se livre par principe, on fait des infid'elit'es par devoir. Aphrodite se retire, en boudant, avec son 'ecuyer tout nu, portant le carquois et les fl`eches. C’est le r`egne de Pallas-Ath`enes, avec sa pique, comme Th'eroigne de M'ericourt et le hibou, l’oiseau des sages `a c^ot'e.
La passion 'etait pour les questions g'en'erales. Pour le cas priv'e, pour l’application, on ne mettait pas plus d’entra^inement que n’en mettent les L'eontine [721] , peut-^etre moins. Les L'eontine jouent avec le feu et en prennent souvent; alors, tout embras'ees, elles se jettent dans la Seine pour 'eteindre l’incendie; entra^in'ees par le tourbillon avant toutes r'eflexions, elles n’ont pas d’armes contre leur propre coeur. La jeunesse de Minerve, au contraire, commence par l’analyse; beaucoup de choses peuvent arriver `a ces doctes enfants, mais aucune surprise: elles ont des parachutes th'eoriques, elles se jettent dans le fleuve avec un manuel de natation, et si elles nagent contre le courant, c’est qu’elles le d'esirent.
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H'ero"ine du premier chapitre.
Nageront-elles longtemps `a livre ouvert? je n’en sais rien; mais qu’elles laisseront une trace, un sillon, il n’y a pas de doute. Les gens les moins avis'es se sont apercus de leur signification.
Nos p`eres et grand-p`eres de la patrie, nos graves et burgraves s’en 'emurent. Eux qui 'etaient si condescendants, si paternels avec les «belles polissonnes» (pourvu qu’elles ne fussent les 'epouses de leurs fils), envisag`erent tout autrement les aust`eres nihilistes. Ils virent au-dessous de leurs lunettes un danger imminent pour l’Etat.
Le coup de pistolet du 4 avril acheva la conviction, quoiqu’il n’y e^ut aucun rapport entre le fanatisme d’un jeune homme exalt'e et les s'erieuses occupations de ces demoiselles. Les p`eres de la patrie tourn`erent l’attention du souverain sur ces jeunes personnes qui ont chang'e les coupes et les formes des habits, ont abandonn'e la crinoline et adopt'e les lunettes, puis ont taill'e les cheveux.
Le monarque, indigne de ce qu’elles ont chang'e la forme prescrite, les livra aux vieillards.
L’affaire 'etait grave. Le Conseil, le S'enat, le Synod, les ministres, l’'etat-major, les archev^eques et toutes les autres polices se r'eunirent pour arr^eter radicalement le mal. La premi`ere chose que l’on d'ecida c’'etait d’exclure les jeunes personnes des hautes 'ecoles et d’appliquer la loi salique aux Universit'es et `a la science. Ensuite on ordonna, sous peine d’^etre arr^et'e par les farouches orang-outangs de la police, et tra^in'e au violon, de porter la crinoline, d’^oter les lunettes et de se faire cro^itre de longs cheveux en vingt-quatre heures.