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Том 11. Былое и думы. Часть 6-8
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Chapitre II

R. Owen donna `a un de ses articles le titre Essai de changer l'asyle des ali'en'es dans lequel nous vivons – en un monde rationnel.

Ce titre rappelle `a son biographe le propos suivant tenu par un malade enferm'e `a Bedlam: «Tout le monde me prend pour un fou, – disait-il, – moi j’ai la m^eme opinion de tout le monde; malheureusement la majorit'e n’est pas de mon c^ot'e».

Cela explique tr`es bien le titre d’Owen et jette une grande lumi`ere sur la question. Nous sommes convaincus que la port'ee de cette comparaison a 'echapp'e au s'ev`ere biographe. Il a voulu seulement insinuer qu’Owen 'etait fou – et nous ne voulons pas le contredire, – mais cela n’est pas une raison pour penser que tout le monde ne l’est pas.

Si Owen 'etait fou – ce n’est nullement parce que le monde le pensait tel, et que lui-m^eme le pensait de tout le monde. Mais bien parce qu’Owen – connaissant qu’il demeurait dans une maison des ali'en'es – parlait soixante ans de suite aux malades – comme s’ils 'etaient parfaitement sains.

Le nombre des malades n’y fait absolument rien. La raison a sa justification, son criterium ailleurs – elle ne se soumet jamais `a la majorit'e des voix. Si toute l’Angleterre, par ex., se prenait de croire que les

«mediums» 'evoquent les esprits des d'efunts – et Faraday lui seul le nierait – la v'erit'e et la raison seraient de son c^ot'e et non du c^ot'e de toute la population de l’Angleterre. Et cela n’est pas tout – supposons que m^eme Faraday partagerait l’erreur – eh bien, dans ce cas la v'erit'e concernant le sujet n’existerait pas du tout et l’absurdit'e adopt'ee par l’unanimit'e des voix ne gagnerait rien – elle resterait ce qu’elle a 'et'e – une absurdit'e.

La majorit'e contre laquelle se plaignait le malade de Bedlam – n’est pas formidable suivant qu’elle a raison ou tort, mais parce qu’elle est tr`es forte et les clefs de Bedlam sont dans ses mains.

La notion de la force n’implique pas comme n'ecessaire – ni la conscience, ni l’intelligence. Plut^ot le contraire – plus une force est inintelligente – plus elle est indomptable, terrible. On peut se sauver assez facilement d’un ali'en'e, cela devient plus difficile lorsqu’on a `a faire `a un loup enrag'e et devant l’aveugle inconscience des 'el'ements d'echa^in'es – l’homme n’a qu’`a se r'esigner et p'erir.

La profession de foi faite par R. Owen en 1817 – qui fit tant de scandale en Angleterre – ne l’aurait pas fait en 1617 dans la patrie de Jordano Bruno et de Vanini, en 1717 – ni en France, ni en Allemagne. Peut-^etre quelque part en Espagne, au sud de l’Italie les moines auraient ameut'es contre lui la foule, peut-^etre on l’aurait livr'e aux alguazils de l’inquisition, tortur'e, br^ul'e – tout cela est tr`es probable; mais la partie humanis'ee de la soci'et'e serait certainement pour lui.

Les Goethe, les Schiller, les Kant, les Humboldt – de nos jours, les Lessing – il y a un si`ecle avouaient tr`es sinc`erement leurs pens'ees. Jamais ils ne feignaient une religion qu’ils n’avaient pas. Jamais on ne les voyait – oubliant toute vergogne – s’en aller pieusement `a la messe avec un livre de pri`eres le dimanche – apr`es avoir pr^ech'e les six jours de la semaine tout le contraire – 'ecouter avec onction la rh'etorique vide d’un pasteur, et tout cela pour en imposer la pl`ebe, la vile populace, le mob.

En France – la m^eme chose, ni Voltaire, ni Rousseau, ni Diderot, ni tous les encyclop'edistes, ni les hommes de science comme Bichat, Caban`es, La Place – et ult'erieurement Comte – n’ont jamais feint le pi'etisme, ni l’ultramontanisme – pour faire acte de «v'en'eration des pr'ejug'es – chers aux catholiques».

C’est que le continent politiquement asservi est plus libre moralement que ne l’est l’Angleterre, la masse d’id'ees, de doutes entr'es dans la circulation g'en'erale – est plus grande, la conscience plus ind'ependante.

La libert'e de l’Anglais n’est pas en lui – mais dans ses institutions – sa libert'e est dans le «Common law», dans le «habeas corpus»… Nous ne nous sentons pas `a notre aise devant un tribunal, dans les rapports avec le gouvernement – l’Anglais ne se sent libre que devant le tribunal ou dans un conflit avec l’autorit'e gouvernementale.

Les hommes feignent partout – mais ils ne comptent pas la franchise pour un crime. La hypocrisie n’est nulle part promue au degr'e d’une vertu sociale et obligatoire. Ce n’est pas exactement le cas en Angleterre. Le cens de l’intelligence s’est 'elargi, l’auditoire d’Owen n’'etait pas compos'e exclusivement d’aristocratie 'eclair'ee et de quelques litt'erateurs.

Certes, les David Hume, les Gibbon – ne feignaient pas une religion qu’ils n’avaient pas – mais depuis les Hume et les Gibbon – l’Angleterre a pass'e une quinzaine d’ann'ees enferm'ee dans une prison cellulaire par Napol'eon. D’un c^ot'e elle sortit du grand courant des intelligences, de l’autre

«la m'ediocrit'e conglom'er'ee» [728] de la bourgeoisie submergeait de plus en plus tout. Dans cette nouvelle Angleterre, les Byron et les Schelley – sont des 'etrangers 'egar'es. L’un demande au vent de le mener partout o`u il veut en exceptant les «native shores»; `a l’autre on enl`eve les enfants, et sa propre famille d'enatur'ee par le fanatisme – aide la force judiciaire.

728

J. Stuart Mill. On Liberty.

Or donc l’intol'erance contre Owen ne donne aucun droit de conclure sur le degr'e de v'erit'e ou d’erreur de sa doctrine – mais elle donne une mesure de l’ali'enation mentale, c’est-`a-dire du degr'e de l’asservissement moral en Angleterre et principalement de la classe qui fr'equente les meetings et 'ecrit des articles de revues.

Quantitativement la raison sera toujours subjugu'ee au poids elle sera toujours battue. La raison – comme l’aurore bor'eale – 'eclaire, mais existe `a peine. Car c’est le sommet, с’est le dernier effort, le dernier succ`es – auquel le d'eveloppement ne parvient que rarement. La raison toute puissante – succombera toujours `a un coup de poing. Comme intelligence, comme conscience – la raison peut ne pas exister du tout. Historiquement, c’est un nouveau-n'e sur notre globe, elle est tr`es jeune, compar'ee `a ces vieillards de granit – t'emoins et acteurs dans les r'evolutions antidiluviennes. Avant l’homme, en dehors de la soci'et'e humaine l’intelligence n’existe pas – il n’y a dans la nature, ni intelligence, ni stupidit'e – il n’y a que la n'ecessit'e des rapports, l’action mutuelle et les cons'equences infaillibles. L’intelligence commence `a regarder d’un regard enfantin et troubl'e – par les yeux de l’animal. L’instinct se d'eveloppe dans la cohabitation humaine – de plus en plus en entendement. Il se forme en t^atonnant. Il n’y a pas de chemin trac'e, il faut le frayer – et l’histoire – comme le po`eme d’Arioste – s’avancant par vingt 'episodes, s’'ecartant `a droite et `a gauche – tend `a parvenir `a un peu de raison sous le poids de l’inintelligence. Et cela gr^ace `a une activit'e inqui`ete – plus concentr'ee que ne l’est l’agitation du singe, et qui n’existe presque pas dans les organisations inf'erieures – qu’on pourrait appeler les satisfaits du r`egne animal.

L’expression «lunatic asylum» employ'e par R. Owen n’est qu’une mani`ere de dire. Les Etats ne sont pas du tout des maisons de sant'e pour ceux qui ont perdu l’esprit – au contraire, ce sont des maisons d’'education pour ceux qui ne l'ont pas encore trouv'e. Pratiquement Owen pouvait l’employer – car le poison ou le feu sont 'egalement dangereux dans les mains d’un enfant ou d’un fou.

La diff'erence consiste en cela que l’'etat de l’un est pathologique – tandis que chez l’autre – c’est une phase d’embryog'enie. Une hu^itre repr'esente un degr'e de d'eveloppement de l’organisme dans lequel les extr'emit'es ne sont pas encore form'ees, de fait elle est boiteuse – mais non de la m^eme mani`ere comme un quadrup`ede qui aurait perdu ses jambes. Nous le savons (mais les hu^itres ne s’en doutent pas) que les essais organiques peuvent parvenir `a former les jambes et les ailes – et nous regardons les mollusques – comme une vague encore montante des formes animales; tandis que le quadrup`ede boiteux – c’est d'ej`a la vague descendante qui va se perdre dans l’oc'ean des 'el'ements et ne repr'esente rien qu’un <cas> particulier de l’agonie ou de la mort.

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