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Том 11. Былое и думы. Часть 6-8
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Pour conserver ce peu de repos acquis, les hommes entour`erent leurs ports – de phant^omes et d’instruments de torture. Ils donn`erent `a leur roi – un b^aton et une h^ache, ils reconnurent au pr^etre le droit de maudire et de b'enir, de faire descendre des cieux les foudres – pour les mauvais, et la pluie g'en'eratrice – pour les bons.

Mais comment donc les hommes invent`erent eux-m^emes des 'epouvantails – et en ont eu peur? Les 'epouvantails n’'etaient pas toujours phantastiques – et lorsqu’on s’approche de nos jours des villes en Asie Centrale, par un petit chemin bord'e de gibets, sur lesquels sont perch'es – des squelettes contordus – il y a de quoi r'efl'echir… Secondement, il n’y a pas d’invention pr'em'edit'ee; n'ecessit'e de d'efense et l’imagination ardente de l’enfance – men`erent les hommes `a ces cr'eations devant lesquelles ils s’inclin`erent eux-m^emes. Les premi`eres luttes des races – des tribus – devaient aboutir `a la conqu^ete. L’esclavage des conquis 'etait le berceau de l’Etat, de la civilisation, de la libert'e. L’esclavage mettant en opposition une minorit'e des forts – avec une multitude des faibles – permit au conqu'erant de manger plus et travailler moins, – ils invent`erent des freins pour les conqu'erir – et se prirent eux-m^emes en partie par ces freins. Le ma^itre et l’esclave croyaient na"ivement que les lois 'etaient dict'ees au milieu des 'eclairs et orage par Iehova au mont Sina"i – ou doucement chuchot'ees `a l’oreille du l'egislateur par quelque esprit intestinal…

Pourtant `a travers une infinit'e de d'ecors et des habits les plus bariol'es – il est facile de reconna^itre les bases invariables qui ne font que se modifier, restant les m^emes depuis le commencement de la soci'et'e jusqu’`a nos jours – dans chaque 'eglise, dans chaque tribunal. Le juge en robe et perruque blanche, avec une plume derri`ere l’oreille et le juge tout nu, tout noir, avec une plume `a travers le nez – ne doutent pas que dans de certaines circonstances tuer un homme – n’est pas seulement un droit – mais un devoir.

La m^eme chose dans les affaires de religion. La ressemblance entre l’incoh'erente absurdit'e des conjurations et exorcismes employ'es par un chaman sauvage ou un pr^etre de quelque tribu qui se cache dans la foule – et le fatras de rh'etorique bien arrang'ee d’un archev^eque saute aux yeux. L’essence de la question religieuse – n’est pas dans la forme et la beaut'e de la conjuration – mais dans la foi en un monde existant hors des fronti`eres du monde mat'eriel, agissant sans corps, sentant sans nerfs, raisonnant sans cervelle et par dessus ayant une action imm'ediate sur nous non seulement apr`es notre passage `a l’'etat d’'ether – mais m^eme de notre vivant. C’est le fond – tout le reste n’est que nuance et d'etail. Les dieux de l’Egypte avec la t^ete canine, les dieux de la Gr`ece avec leur beaut'e plastique, le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Joseph-Mazzini et de Pierre-le-Roux c’est toujours le Dieu si clairement d'efini par l’Alcoran:

«Dieu est Dieu!»

Et jusqu’`a ce qu’il en reste quelque chose d’extramondain – le d'eveloppement peut aussi aller jusqu’`a une certaine limite – et pas plus loin. La chose la plus difficile `a passer dans un Etat c’est la fronti`ere.

Le catholicisme – religion des masses et des olygarches – nous opprime plus, mais ne r'etr'ecit pas autant l’esprit – comme le catholicisme bourgeois du protestantisme. Mais l’'eglise sans 'eglise, le d'eisme rationnel se faisant en m^eme temps logique m'ediocre et religion b^atarde est ind'eracinable chez les hommes qui n’ont pas assez d’esprit – pour raisonner jusqu’au bout, ni assez de coeur – pour croire sans raisonner [729] .

729

Mo"ise connaissait bien son monde lorsqu’il mettait dans le premier commandement une d'efense de diviniser toute chose, il n’y a pas d’abstraction logique, pas de nom collectif, pas de g'en'eralit'e – qui n’aient 'et'e pour un certain temps promus au rang de divinit'e. Les iconoclastes du rationalisme faisant une guerre acharn'ee contre les idoles, s’'etonnaient de voir qu’`a mesure qu’ils terracent les dieux de leurs pi'edestals – d’autres poussent `a leur place d’une mati`ere moins dense. Et le plus souvent ils ne s’'etonnent m^eme pas – car ils acceptent ces nouveaux dieux – tout de bon – pour les vrais.

Des naturalistes qui se croient mat'erialistes parlent des plans pr'em'edit'es – dans la nature, de son 'economie et autres bonnes qualit'es. Comme si la «natura sic voluit» 'etait plus claire que «fiat lux». C’est du f'etichisme `a la troisi`eme puissance. A la premi`ere – boue le sang de S. Janvier, `a la seconde – on fait descendre la pluie pendant la s'echeresse – `a la troisi`eme on d'ecouvre les arri`ere-pens'ees des 'el'ements, les conspirations tram'ees par les affinit'es chimiques et on appr'ecie l’intendance de la nature – qui pr'epare autant de jaune d’oeufs qu’il y a d’embryons. Il y a peu de sujets plus pitoyables que les dissertations superbes des protestants – prouvant avec ironie et amertume – ce qu’il y a d’absurde `a croire aux miracles op'er'es par le sang de S. Janvier – et ne doutant pas le moindre du monde de l’efficacit'e m'et'eorologique d’une pri`ere de l’archev^eque. Comme si c’'etait plus difficile pour le bon Dieu de faire bouillir le sang de S. Janvier, que d’arroser en septembre les champs protestants. C’est ridicule, mais il y a l`a quelquefois – une simplicit'e si na"ive et une bonhomie si simple qu’on ne s’en indigne pas. Le pi'etisme id'ealiste dans la physiologie ou la g'eologie est bien autrement r'evoltant.

С’est une concession, un compromis entre la v'erit'e connue et le mensonge adopt'e, entre la conscience et les vues personnelles; c’est une trahison de la science, c’est une simonie d’un autre genre – ou une d'eviation 'etonnante de la dialectique – que peut on dire `a un naturaliste qui se met `a s’extasier avec pi'et'e de la bont'e infinie et de la sagesse sans bornes de la providence qui a donn'e les ailes – pr'ecis'ement aux oiseaux… Sans les ailes ces pauvres cr'eatures seraient tomb'ees… et se seraient cass'e le cou! N’est-ce pas – c’est pour cela qu’ils chantent chaque matin leur pri`ere ornytologique!

Le roi chasseur qui juge avec sa lance et sa h^ache peut tr`es facilement changer de r^ole – si la lance de l’accus'e est la plus longue. Le juge avec la plume `a travers le nez sera probablement entra^in'e par les passions et provoquera ou un soul`evement ou uneopposition passive de d'efiance et de terreur m^el'ee avec du m'epris, comme en Russie – o`u l’on se soumet `a la d'ecision d’un tribunal – comme on se soumet au typhus, au malheur d’avoir rencontr'e un ours. Autre chose dans les pays o`u la l'egislation est respect'ee de part et d’autre – la stabilit'e est autrement grande, personne ne doute dans la justice du tribunal – sans m^eme excepter le patient qui joue le premier r^ole et qui s’achemine vers la potence – dans la plus profonde conviction de l’urgente n'ecessit'e qu’on le pende.

Outre la crainte de libert'e, cette crainte que sentent les enfants lorsqu’ils commencent `a marcher seuls, outre l’attachement d’une longue habitude – `a toutes ces cordes et garde-foux – couverts de sang et de sueur, outre la v'en'eration pour ces bateaux – arches de salut – dans lesquels les peuples ont travers'e maintes orages – il y a encore d’autres contreforces qui soutiennent ces formes croulantes. Le peu d’intelligence de la foule ne peut pas comprendre un nouvel ordre de choses, et la pr'eoccupation timor'ee des propri'etaires ne le veut pas. La classe la plus active et la plus puissante de nos jours – la bourgeoisie – est pr^ete de trahir ces convictions – de s’agenouiller sans foi devant l’autel, se prosterner devant un tr^one, s’humilier devant l’aristocratie – qu’elle d'eteste et payer les soldats qu’elle abhorre, ^etre enfin men'ee `a la laisse – pourvu qu’on ne coupe pas la corde par laquelle on tient la foule.

Et en effet – ce n’est pas sans danger de la couper.

Les calendriers ne sont pas les m^emes en haut et en bas. En haut le XIXe si`ecle, au rez-de-chauss'ee tout au plus le XVe – et en descendant encore on arrive en pleine Afrique… ce sont des Caffres, des Hottentots de divers couleurs, races et climats.

Si on pense s'erieusement `a cette civilisation qui se cristallise en bas par les lazzaroni et le mob de Londres… par des ^etres humains qui, rebroussant le chemin, retournent aux singes – et qui s’'epanouit aux sommets par les m'erovingiens rabougris de toutes les dynasties, par les ch'etifs Azt`eques de l’aristocratie – et si on pense que sa partie saine et intelligente et forte – est repr'esent'ee par la bourgeoisie – alors la t^ete peut bien tourner. Imaginez-vous une m'enagerie pareille – sans 'eglise, sans ba"ionette, sans tribunal, sans pr^etre, sans roi, sans bourreau?…!

Que R. Owen prenait ces forts s'eculaires de la th'eocratie et de la jurisprudence – pour quelque chose de mort, de faux `a force de se survivre, c’est claire, mais lorsqu’il les sommait de se rendre – il comptait sans son h^ote, sans le commandant et la brave garnison. Il n’y a rien de plus obstin'e qu’un mort, on peut mettre en pi`eces un cadavre mais c’est impossible de le convaincre. Et quels morts – ce ne sont pas les feus bambocheurs de l’Olympe, auxquels on est venu dire – pendant qu’ils discutaient des mesures `a prendre contre les libres penseurs d’Ath`enes – qu’on a prouv'e dans cette ville de Pallas – qu’ils n’existaient pas du tout. – Les dieux p^alirent, perdirent la t^ete, s’'evapor`erent et disparurent – si on en croit Lucien. Les Grecs, hommes et dieux, 'etaient plus na"ifs. Les dieux servaient `a ces grands enfants de poup'ees, les Grecs aimaint l’Olympe par un sentiment artiste. La bourgeoisie soutient le j'esuite et l'Old Shop – `a tant pour cent,comme une s'ecurit'e de transaction – allez-moi prendre cela par la logique.

…A travers tout cela une question grave et triste perce et se fait jour, question bien autrement importante que celle de savoir si Owen avait raison ou tort… la question de d'efinir si en g'en'erale l'ind'ependance morale et l'intelligence libre de toute entrave – est compatible avec l'existence de l'Etat?

Nous voyons dans l’histoire que les hommes vivant ensemble tendent continuellement `a une autonomie raisonn'ee – et qu’ils restent constamment dans l’asservissement moral. La tendance, la disposition ne garantit pas la possibilit'e du succ`es. – Que le cerveau humain soit un organe qui n’est pas arriv'e `a son 'etat le plus d'evelopp'e – et qu’il a une tendance `a y parvenir – c’est difficile de nier – mais s’il y parviendra ou s’il p'erira `a mi-chemin comme p'erirent les mastodontes et les ichtyosaures – ou s’arr^etera dans un statu quo – comme le cerveau des animaux existants – ce sont des questions qui ne sont pas du tout faciles `a ^etre r'esolues. Et si elles le seront – certes, ce n’est ni par l’amour de l’humanit'e ni par la d'eclamation sentimentale etmystique.

Nous rencontrons dans toutes les sph`eres de la vie des antinomies indissolubles, ces assimptotes qui s’approchent 'eternellement de leurs hyperboles sans jamais les atteindre – ce sont comme des phares, des limites, des песplus ultra – entre lesquels se balance, se meut et s’'ecoule la vie r'eelle.

Les cris des phares, les hommes qui protestent ont exist'e de tout temps dans chaque civilisation – principalement en d'ecadence. Ce n’est que l’exception, que la limite sup'erieure, que la puissante transgression subjective, l’effort supr^eme – chose rare comme le g'enie, comme la beaut'e, comme une belle voix.

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