Trouver le sol sous les pieds
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Introduction
Chers lecteurs, cheres lectrices,
Dans le monde de l’adoption, l’acte de changer de nom est plus qu’un simple geste formel: il symbolise un nouveau depart, une nouvelle identite et l’espoir d’une nouvelle vie. En Russie, en particulier, il n’est pas rare que les enfants adoptes changent non seulement de nom de famille, mais aussi de prenom. Cette pratique est souvent utilisee pour les enfants confrontes a des defis particuliers – tels que des handicaps.
L’histoire que vous vous appretez a lire est celle d’une jeune fille dont la vie prend une tournure dramatique a la suite d’une adoption. Cette fillette, qui n’a jamais recu le soutien necessaire dans son environnement d’origine, fait soudain l’experience de l’amour et des soins inconditionnels d’une nouvelle famille. Le changement de nom qu’elle subit est symbolique de sa transformation et de l’acceptation d’une nouvelle identite dans un environnement aimant.
Il est important de comprendre que l’enfant peut ne pas se souvenir du processus d’adoption lui-meme, surtout s’il se trouve a ce moment-la dans un etat emotionnel difficile, comme une depression. De telles decisions sont souvent prises sur les conseils de conseillers soucieux du bien-etre de l’enfant.
Le recit que nous presentons ici, bien qu’il reflete des conditions reelles – notamment les differences de traitement des maladies rares et des handicaps dans des pays comme la Russie et l’Allemagne – est une fiction sous cette forme. Elle est basee sur des exemples reels, mais les evenements et les personnages specifiques sont inventes. A travers cette histoire, nous voulons non seulement mettre en evidence les defis auxquels sont confrontes les enfants atteints de maladies rares ou de handicaps, mais aussi montrer la lumiere d’espoir et de renouveau que peut apporter l’adoption.
Cette histoire aurait pu se produire dans la realite, mais elle reste une construction, concue pour susciter l’empathie et la comprehension et pour mettre en lumiere les combats souvent invisibles de ces enfants. C’est une fenetre sur un monde que beaucoup d’entre nous ne connaissent pas, mais qui fait pourtant partie de notre societe. C’est une invitation a voir le monde a travers d’autres yeux et peut-etre a comprendre a quel point un acte d’amour et d’acceptation peut changer profondement la vie d’une personne.
Nouvelle vie
J’ai soudainement realise que j’etais en vie et j’ai ouvert les yeux. Quelque chose emettait un bip a ma gauche. Cela signifiait que j’etais de retour aux soins intensifs. Je respirais facilement et l’oxygene bourdonnait legerement dans mon masque. J’ai pense que cela signifiait aussi quelque chose, mais je n’etais pas sur de savoir quoi exactement. Le masque suggerait que j’etais mort. Je savais que j’allais bientot mourir, je le savais depuis longtemps, et… Je m’en fichais, je voulais juste que ce soit rapide parce que j’etais fatiguee. Je me suis souvenue que je m’appelais Mariana. C'etait le nom que mes parents m’avaient donne… Les larmes me sont montees aux yeux, et j’ai eu envie de pleurer.
Il restait encore un peu de temps avant que les medecins n’arrivent et n’apprennent tout grace aux moniteurs. Le pere de Katya avait l’habitude de me dire que les moniteurs peuvent vous renseigner sur tout. Quand quelqu’un meurt, tout le monde commence a s’agiter, je m’en souviens… Mais il n’y avait pas encore de medecins, alors… Je ne savais pas ce que cela signifiait. Se pourrait-il que je sois mort pendant un certain temps? Alors ils allaient venir maintenant. Si je suis morte… Pourquoi m’ont-ils ramene? Pour quelle raison? J’avais envie de pleurer a nouveau, alors j’ai continue a me rappeler comment tout avait commence.
J’avais environ cinq ans quand on a remarque que j’avais des bleus sortis de nulle part. Puis, tout a coup, mes doigts ont commence a me faire mal. Ils se pliaient vers l’arriere et me faisaient mal pour une raison ou une autre. J'etais une petite fille a l’epoque et je ne comprenais pas qu’il valait mieux cacher cela, alors je me suis plainte a ma mere. Celle-ci s’est inquietee et m’a emmenee chez le medecin. Il a examine mes bras, a regarde mes yeux remplis de larmes avec indifference et m’a dit que ca ne pouvait pas faire mal comme ca et que j’avais invente ca pour demander quelque chose. Maman s’est mise tres en colere et m’a ramenee a la maison, ou elle a enleve mon… Enfin… Tout pour me faire mal avec une sorte de baton. Je saignais parce que ma peau etait tres fine: on pouvait voir toutes les veines a travers, surtout sur ma poitrine. Ca m’a fait tres mal, et bien sur, j’ai crie. Mais apres le coup de baton, j’ai eu moins mal la ou j’avais toujours mal, pendant une courte periode, bien sur, et j’ai donc compris que c’etait la bonne chose a faire. Si j’avais su comment tout cela se terminerait…
Avant d’aller a l’ecole, je faisais tout pour ne pas crier de douleur. Plus tard, ils ont commence a me punir avec une ceinture large qui ne me faisait pas saigner, mais qui faisait aussi tres mal. Par contre, ca ne faisait pas si mal de faire pipi apres. J’ai toujours ete petite – meme maintenant, j’ai l’air d’avoir huit ans, alors que j’en ai treize, donc je suppose qu’ils ne me frappaient pas trop souvent, juste un peu, pour que je n’invente rien. A huit ans, j’ai meme commence a aimer etre punie parce que c’etait plus facile de respirer apres ca. Je ne resistais plus et je venais volontiers quand ils voulaient me discipliner.
Il y avait une fille qui s’appelait Katya dans notre classe, son pere m’a sauve la vie. Mais je n’ai jamais compris pourquoi. Katya avait aussi la peau fine et les doigts tordus, mais ils l’ont crue, et quand je me suis plaint de ma douleur, ils m’ont envoye chez… un psychiatre. Bien sur, je sais maintenant que c’etait un psychiatre. Mais a l’epoque, j’etais emballee par le docteur, je lui ai tout raconte, et il… Il m’a menti. Le medecin a dit que j’irais mieux et a ecrit dans ses papiers que j’imaginais des choses et que je devais etre traitee avec des injections. Les injections etaient tres douloureuses, encore plus douloureuses qu’une ceinture. Mais apres les injections, c’etait plus facile de respirer, et mes doigts ne me faisaient plus aussi mal, alors j’ai repris courage. Katya a parle de moi a son pere. Il en a parle a mes parents et ils se sont mis en colere. Alors je ne suis pas allee a l’ecole pendant une semaine parce que la ceinture a casse quelque chose, j’avais de la fievre et… Je ne me souviens plus. J’ai demande a Katya de dire a son pere de ne pas parler a mes parents parce que ca m’a fait tres mal. Mon amie a pleure. Elle m’a demande de lui montrer le… Resultat, alors je l’ai fait. Je l’ai fait. C’est a ce moment-la qu’elle a commence a pleurer. Elle a de la chance d’avoir un tel pere, et je suis…
Ensuite, j’avais dix ans, et dans la classe, j’avais… Je vais te le dire dans le bon ordre. C'etait a cause de ce test: J’ai eu un F parce que je ne me souvenais de rien et que j’avais du mal a respirer. La salle de classe etait etouffante, alors j’avais le souffle court comme si on m’etranglait. J’avais peur de me plaindre. La maitresse a dit que j’etais paresseuse et qu’elle me surveillerait. Je n’ai pas compris ce que cela voulait dire parce que j’ai essaye de mieux respirer et je n’y arrivais pas. Katya s’est aussi inquietee et m’a demande d’appeler son pere. La maitresse avait peur de lui dire non parce que le pere de Katya faisait tres peur a l’ecole. Puis la maitresse est revenue, je n’arrivais plus a respirer, et elle m’a gifle, je crois, et m’a dit de ne pas faire semblant. La derniere chose dont je me souviens, c’est d’avoir vu le pere de Katya. Il a compris que j’etais en train de mourir et m’a ramene a la vie. Ensuite, il y a eu l’hopital.