L'agent secret (Секретный агент)
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Elle pensa :
— Si Fant^omas 'etait l`a, je l’entendrais. Il a d^u partir ? Il faut que je m’'evade de cette prison avant son retour…
Bobinette se leva. La roulotte avait bien une porte, une fen^etre ?… elle r'eussirait `a briser un panneau de bois ? `a arracher une grille ? Elle 'etait forte, et c’'etait sa vie qu’elle d'efendait.
Bobinette promena ses mains sur la paroi de la voiture. Elle entreprit d’en faire le tour… Il y avait d'ej`a quelques instants qu’elle t^atonnait de la sorte – la roulotte devait ^etre vide, sans aucun meuble, car elle suivait exactement la paroi sans rien rencontrer qui la f^it tr'ebucher – lorsque soudain elle sentit que sa main venait de fr^oler quelque chose d’ind'efinissable, de doux, de chaud, qui bougeait.
D’un bond, Bobinette s’'etait jet'ee en arri`ere. Ah c`a ! elle 'etait folle ! qu’imaginait-elle ? La jeune femme, apr`es quelques secondes d’attente, s’avanca `a nouveau… `a nouveau ses doigts fr^ol`erent, quoi ? elle n’aurait su le dire…
Mais tandis qu’elle s’efforcait de d'efinir l’'etrange objet que sa main heurtait, voici qu’elle sentait que cet objet se reculait, se d'erobait `a sa caresse… et soudain la roulotte s’emplissait d’un grognement formidable, terrible, abominable, un grognement qu’elle reconnaissait, qui 'etait la r'ep'etition du cri qu’elle avait entendu, une heure avant, dans la nuit, lorsqu’elle se rendait au sinistre rendez-vous. Bobinette faillit mourir d’effroi : elle avait compris, elle avait devin'e. Au fond de la roulotte dormait un fauve. C’'etait un ours qu’elle venait de r'eveiller. Fant^omas l’avait enferm'ee avec un fauve pour la faire d'evorer vive… Bl^eme, retenant sa respiration, pensant mourir de peur, Bobinette s’'etait recul'ee `a l’extr'emit'e de la roulotte et, de longues heures, elle attendait… Que faire ?
Par bonheur, l’animal avait d^u se rendormir. Elle entendait sa respiration lourde et au fur et `a mesure que l’air devenait plus rare dans la voiture herm'etiquement close, l’odeur de la b^ete la prenait `a la gorge.
— Que faire ?
Et Bobinette terrifi'ee, toute la nuit, songea :
— Il dort… mais il va se r'eveiller demain matin, il se jettera sur moi ! je suis perdue !
***
Apr`es des heures interminables d’attente, d’immobilit'e, de stupide h'eb'etement, devant la mort in'evitable, horrible, torturante, on commencait `a y voir clair.
Elle avait entendu, peu `a peu, d'ecro^itre la fureur du vent. La pluie s’'etait arr^et'ee. Dehors, un petit jour blafard venait de se lever, et dans les parois de bois de la roulotte, de minces l'ezardes laissaient passer des traits de lumi`ere…
Bobinette vit l’ours se r'eveiller, se retourner, b^ailler et soudain accroupi, la consid'erer fixement…
— Que faire ? Que faire ?…
Bobinette avait lu jadis qu’il 'etait possible, par le regard, d’effrayer une b^ete f'eroce…
Elle s’efforcait de mettre dans ses yeux une 'energie farouche, mais, h'elas ! elle avait trop peur elle-m^eme, pour pouvoir faire peur au monstre…
L’ours se l'echait.
— Que faire ?
De temps `a autre Bobinette entendait passer, contre sa prison, de rapides grondements. Elle se rendait compte que c’'etaient l`a des automobiles, qui, sur la grande route, s’en allaient vers Versailles ou vers Paris, d'epassant la roulotte abandonn'ee bien loin de se douter du terrible drame dont elle 'etait le th'e^atre…
Appeler ?
C’'etait folie !
Comment supposer qu’on entendrait ses cris ?
Comment supposer que les conducteurs de ces voitures passant `a toute vitesse, insoucieux, auraient jamais l’id'ee de s’arr^eter pr`es de la roulotte, de venir lui porter secours ?… Non ! certes, c’'etait r'eveiller la col`ere de l’ours, c’'etait l’exciter, c’'etait h^ater la mort…
***
— Hue !… sacr'e carcan !… il est vrai que je dois ^etre un bien mauvais charretier… cette b^ete n’a pas du tout l’air de me prendre au s'erieux !…
Au long de la route de Sceaux, un homme marchait `a grands pas, v^etu en habits de travail et conduisant une maigre haridelle, la conduisant d’ailleurs en d'epit du bon sens.
— Nom d’un chien ! faisait-il, si je devais aller loin, j’aimerais mieux abandonner mon cheval que de m’obstiner `a le diriger… 'evidemment, je n’ai pas la voix qu’il faut !… Diah !… diah !
Le cheval, malgr'e l’ordre imp'eratif du charretier, tourna franchement `a gauche…
Soudain, l’homme bl^emit.
— Ai-je r^ev'e ? dit-il.
Puis, ayant de nouveau pr^et'e l’oreille, il s’'elanca au pas de course `a travers champs.
— Arriverai-je trop tard ?
Le charretier courait `a perdre haleine, approchait de la roulotte abandonn'ee.
Arriv'e `a celle-ci, il colla l’oreille `a la porte. Et soudain, d’une d'etente, il enfonca la porte `a coup d’'epaule.
Un coup de feu troua le silence de l’aube.
Bobinette 'etait 'ecroul'ee, le visage taillad'e.
Le charretier posa la main sur la poitrine de la jeune fille :
— Elle vit… N’ayez plus peur, Bobinette, c’est Juve qui vous parle.
32 – DE CHARYBDE EN SCYLLA
Il ne restait plus qu’un accus'e `a juger, et l’on pressentait, au mouvement de l’auditoire ainsi qu’`a la rumeur confuse qui s’'echappait de la salle, que l’audience allait bient^ot ^etre lev'ee.
Six heures venaient de sonner `a l’horloge du vieux b^atiment o`u si`ege le conseil de guerre et les juges militaires commencaient `a se fatiguer d’une s'eance qui durait depuis midi et demie.
Fait curieux et de nature `a surprendre quiconque connaissant les habitudes du tribunal militaire, et le peu d’attrait qu’il exerce en temps ordinaire sur le public, la salle 'etait ce jour-l`a, tr`es encombr'ee. Une assistance nombreuse suivait les p'erip'eties des insignifiantes affaires que l’on jugeait.
Au public interlope et quelque peu minable qui se pressait sur les bancs de la salle, se m^elaient, 'evoluant plus librement dans les couloirs et dans l’enceinte r'eserv'ee, un certain nombre d’avocats en robe.