L'agent secret (Секретный агент)
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— Mon Dieu !
— Bah ! ne t’inqui`ete pas, Fandor, la partie n’est pas perdue ! j’ai encore une carte `a retourner, et je la retournerai cette nuit… donc… laissons cela… songe plut^ot que j’ai grande h^ate de savoir comment toi, que je croyais tranquillement au Cherche-Midi, tu en es arriv'e `a jouer les Fant^omas dans les ateliers d'eserts ?…
Fandor raconta donc `a Juve l’extraordinaire facon dont il 'etait sorti de la prison militaire :
— Maintenant, qu’allons-nous faire ?
— Attention, Fandor, ne m^elons point les questions ; tu devrais dire :
— Et vous, Juve ? que projetez-vous ?
— Oh ! moi, c’est tr`es ennuyeux, dit-il ; il faut que je me mette en habit… je n’aime pas cela… Et puis il faut que je prenne le train, Fandor… oui, ne me regarde pas avec ces yeux ronds… Je vais prendre le train en habit…
***
Mince, 'el'egant, Juve 'ecoutait dans le cabinet de travail somptueux les observations d’un personnage qui lui parlait sur un ton `a la fois amical et hautain :
— Non, ce n’est pas possible, vous m’en demandez trop… vous ne vous rendez point compte, Juve, des complications de toutes sortes qu’une intervention de ma part pourrait soulever si, par hasard, vous faisiez erreur…
Le policier gardait son attitude impassible. Une ride lui barrait le front d’un pli obstin'e.
— Je ferai respectueusement observer `a Votre Majest'e qu’il s’agit tout juste d’une signature `a donner…
— Mais, Juve, encore une fois, c’est une signature qui peut mettre le feu aux poudres…
— Votre Majest'e voudra bien consid'erer que d’une signature Elle peut tout arranger…
— Juve, vous n’y pensez pas. Pour la centi`eme fois, je vous le r'ep`ete, je ne puis vous donner ce d'ecret… Le cas est exceptionnel, je suis persuad'e que, m^eme en remontant dans les plus lointaines annales, vous ne pourriez me citer un pr'ec'edent…
— Votre Majest'e n’oubliera pas qu’avec son nom, une ligne de son 'ecriture, Elle peut aplanir toutes les difficult'es…
C’'etait, avec d’autres termes, la m^eme phrase que Juve s’obstinait `a r'epondre !
Le roi qu’il entretenait, qu’il sollicitait ainsi avec une passion 'etrange, se rendait compte de l’ent^etement du policier :
— Ah c`a ! Juve, dit-il, avez-vous seulement pes'e la valeur du d'ecret que vous me demandez ? Savez-vous que, s’il est imm'erit'e, ce document fera la honte de mon pays ?
— Sire, je sais que je ne demande rien `a Votre Majest'e qu’Elle ne puisse m’accorder, qu’Elle ne doive m’accorder… Sire, j’ai jusqu’ici sollicit'e, que Votre Majest'e m’excuse, ce n’est plus le solliciteur qu’Elle a maintenant devant Elle… Votre Majest'e me comprend sans doute ? C’est Juve qui demande `a Votre Majest'e sa signature…
— Je vous comprends, Juve. Jadis, lors de mon voyage officiel `a Paris, vous m’avez sauv'e la vie, vous avez sauv'e la vie `a la reine… au p'eril de votre propre existence, et je vous ai dit, alors, que je n’aurais rien `a vous refuser, que je ne vous refuserais rien, jamais… c’est `a cela que vous faites allusion ?…
— Sire, je r'eponds `a Votre Majest'e que je n’invoquerai point la dette qu’il lui plaisait de reconna^itre… Votre Majest'e me force `a lui rappeler sa parole…
Le roi, qui maintenant se promenait de long en large dans son cabinet de travail, se laissa tomber dans un fauteuil :
— Si je vous donnais ce d'ecret, Juve, demandait-il, vous iriez aujourd’hui m^eme, sit^ot rentr'e en France, sit^ot revenu `a Paris, le porter `a la Chancellerie ?
— Oui, Sire…
— Vous ^etes franc, Juve ! vous n’attendriez pas d’avoir d’autres preuves de ce que vous avancez ?
— Non, Sire.
— Il faut donc, Juve, que je m’en rapporte enti`erement `a votre parole, `a votre certitude, `a votre conviction ?
— Oui, Sire…
— Juve ! Juve ! si vous l’exigez, au nom de la promesse que je vous fis jadis, je vous signerai ce d'ecret, mais vous perdrez mon amiti'e, vous aurez surpris ma bonne foi… D'ecidez. Vous ^etes le ma^itre, Juve. Exigez ce d'ecret, je vous le donne !
— Votre Majest'e ne pense point ce qu’Elle dit, r'epondait Juve. Votre Majest'e ne voudra point m’acculer `a ce dilemme : perdre son amiti'e, perdre sa confiance, ou laisser 'echapper l’unique occasion…
— Si, Juve ! je veux vous acculer…
— Alors, Sire, je n’exige pas. Mais c’est ma vie que Votre Majest'e brise, Sire, car mon honneur `a moi veut que j’en finisse, co^ute que co^ute. Avec l’appui de Votre Majest'e, c’est possible. Livr'e `a mes ressources, tout est perdu !…
— Juve, vous ^etes cruel. Ah ! j’aurais presque mieux aim'e que vous exigiez ce d'ecret !… Mais, pour Dieu, tout n’est pas fini. Attendez, je vais ordonner une enqu^ete ! Dans quinze jours…
— Dans quinze jours, Votre Majest'e sait bien qu’il sera trop tard…
— Juve, pouvez-vous me mettre en face de cet homme ? Pouvez-vous le convaincre d’imposture devant moi ?
— Que veut dire Votre Majest'e ?
— Je veux dire, Juve, que, quel que soit le scandale, quelle que soit l’humiliation qui peut en r'esulter pour moi, je vous donnerais s'eance tenante le d'ecret que vous me r'eclamez si j’'etais assur'e que vous ne faites point erreur… Vous m’apportez des pr'esomptions, vous ne me fournissez point de preuves… Obtenez que cet homme jette, f^ut-ce une seconde, le masque, et je laisserai votre justice suivre son cours, Juve, oubliez que vous parlez `a un roi. Imaginez que je suis votre ami. Pouvez-vous, quels que soient les risques `a courir, nous mettre face `a face dans de telles conditions que la v'erit'e r'eapparaisse ?…