L'agent secret (Секретный агент)
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— Si vous vous y opposez, monsieur le commissaire du gouvernement, j’aurai l’honneur de d'eposer imm'ediatement sur le bureau du tribunal des conclusions tendant `a ce qu’il soit statu'e s'eance tenante sur le cas.
Le colonel, plein d’animation, discuta avec ses assesseurs. Ceux-ci tomb`erent d’accord pour ne pas susciter d’incidents de proc'edure. Le colonel approuva :
— Nous entendrons donc ce t'emoin.
Puis, s’adressant `a Bobinette :
— Vous avez la parole, mademoiselle ; mais, auparavant, jurez de dire la v'erit'e, toute la v'erit'e, rien que la v'erit'e. Levez la main droite, et dites : « Je le jure. »
— Je le jure.
Timide au d'ebut, troubl'ee par l’'emotion, mais peu `a peu s’enhardissant, haussant le ton de sa voix. M lleBerthe faisait `a l’auditoire, curieusement attentif, tout d’abord le r'ecit de son enfance.
Elle 'etait fille du peuple, mais bien 'elev'ee, honn^etement. Puis, peu `a peu, au fur et `a mesure qu’elle grandissait, les tentations de toutes sortes l’avaient arrach'ee du droit chemin. Intelligente et d'esireuse de s’instruire, Bobinette, qui avait recu une 'education soign'ee, sup'erieure `a celle de ses compagnes, avait fait de v'eritables 'etudes masculines, obtenu le dipl^ome de bacheli`ere et pris ses inscriptions d’'etudiante `a la Facult'e de m'edecine. Malheureusement, la promiscuit'e des h^opitaux, l’innombrable vari'et'e de gens que l’on y rencontre et aussi le besoin d’argent devaient d'etourner Bobinette des saines satisfactions du travail… Apr`es quelques ann'ees entrem^el'ees de s'erieuses 'etudes et d’`eres de paresse, elle devait renoncer `a obtenir le dipl^ome de docteur et se contenter de son m'etier d’infirmi`ere.
Par deux ou trois reprises, le colonel l’avait interrompue :
— Que nous importent ces d'etails, mademoiselle ? avait-il d'eclar'e. Ce que nous d'esirons conna^itre, c’est, non pas votre histoire, mais celle de l’existence du coupable.
— Vous voulez conna^itre l’existence du coupable ?… 'Ecoutez !
Et la jeune femme d`es lors poursuivait, racontant encore les 'etapes de sa vie mouvement'ee jusqu’au jour o`u le hasard l’avait mise en rapport avec le baron de Naarboveck. Les soins d'evou'es prodigu'es `a la jeune Wilhelmine lui avaient gagn'e la reconnaissance du riche diplomate et de sa fille, et elle 'etait entr'ee dans leur intimit'e.
— Ah ! maudit soit ce jour.
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire, expliqua la jeune femme, que si le capitaine Brocq est mort assassin'e, c’est de ma faute ; je veux dire que si un document confidentiel a disparu de chez lui, c’est parce que je l’ai pris… j’'etais sa ma^itresse… je suis responsable de sa mort !
Un grand silence succ'edait `a cette d'eclaration sensationnelle.
Les juges, le commissaire du gouvernement, l’avocat de Fandor et Fandor lui-m^eme ne savaient que penser. L’auditoire 'etait haletant. Mais Bobinette poursuivait :
— Mon mauvais g'enie, messieurs, fut un bandit de la pire esp`ece, que vous connaissez tous sous le sobriquet de Vagualame. Vagualame, agent du Deuxi`eme Bureau de l’'etat-major, et faisant officiellement du contre-espionnage ?… soit. Mais, messieurs, Vagualame 'etait 'egalement un espion de la France, un tra^itre au service de l’'etranger… pis encore : c’est lui qui a assassin'e Brocq, vous savez qu’il est le meurtrier de la chanteuse Nichoune. Vagualame a fait de moi sa chose, son esclave. H'elas ! je ne puis cependant pas tout rejeter sur lui ni pr'etendre que c’est sous la perp'etuelle menace de ce monstre que j’ai trahi de toutes les facons : trahi mon pays, trahi l’amour qu’'eprouvait pour moi le capitaine Brocq, que j’ai vol'e de toutes les mani`eres, vol'e le document relatif `a la mobilisation et vol'e aussi de l’argent, – des billets de banque, – sous pr'etexte de donner le change `a la police et de faire croire `a un vulgaire cambriolage. Ces billets, messieurs, vous les avez retrouv'es entre les mains de l’infortun'e J'er^ome Fandor. Ils constituent, para^it-il, une charge accablante pour lui… Or, sachez qu’apr`es avoir 'et'e vol'es de ma main, ils lui ont 'et'e remis par un de nos agents qui savait que de la sorte on compromettrait le faux caporal Vinson. Mais si j’ai agi ainsi, c’est non pas tant par d'esir de l’argent qu’on me donnait, non pas tant pour les promesses fallacieuses de fortune 'eventuelle que faisait `a mes yeux miroiter Vagualame…, c’est… par rancoeur, par d'epit, par haine, par amour !
M eDurul-Berton s’'etait soudain lev'e, se penchant vers la jeune femme :
— Parlez, parlez, mademoiselle, s’'ecria-t-il.
Bobinette lentement reprit :
— Par amour, oui, et c’est l’aveu qui me co^ute le plus. Oui, si j’ai c'ed'e aux propositions de l’ignoble Vagualame, si je me suis laiss'ee entra^iner par lui dans les sentiers affreux de l’espionnage et de la trahison, c’est par d'epit d’un amour incompris, d’une passion intense, inimaginable, que j’'eprouvais pour un homme… un homme dont le coeur 'etait pris ailleurs… pour le fianc'e de M lleWilhelmine, pour le lieutenant Henri de Loub…
Le colonel-pr'esident, d’un geste brusque, interrompit la jeune femme :
— Il suffit, mademoiselle, il suffit… Vous n’avez pas de nom `a prononcer ici. Veuillez continuer votre d'eposition relative aux faits d’espionnage…
Bobinette raconta en d'etail comment elle avait consenti `a cacher le fameux d'ebouchoir que Vagualame, un jour, 'etait venu lui apporter. C’est elle qui avait aid'e le bandit `a concevoir un plan audacieux pour livrer cette pi`ece `a l’'etranger. C’est elle qui s’'etait d'eguis'ee en pr^etre pour conduire le caporal Vinson `a Dieppe. Elle ignorait d’ailleurs avoir affaire `a J'er^ome Fandor. Jusqu’au t'el'egramme de Vagualame.
— Eh ! s’'ecria-t-elle, qui donc a encore tu'e le vrai caporal Vinson, il y a quelques jours `a peine, au moment o`u il traversait la rue du Cherche-Midi ? Vous l’ignorez peut-^etre, messieurs, moi je le sais… c’est le meurtrier du capitaine Brocq, c’est le meurtrier de la chanteuse Nichoune, c’est Vagualame… toujours.
« Vagualame
Le commandant Dumoulin, qui depuis quelques instants ne tenait plus en place, s’'etait pr'ecipit'e vers elle ; d’un geste brusque, l’officier lui fermait la bouche avec sa grosse main, et terrifi'e presque, mais r'esolu, se tournant vers le colonel pr'esident du Conseil de Guerre, exigeait :
— Mon colonel, monsieur le pr'esident… je r'eclame le huis clos ! Il ne faut pas laisser porter de semblables accusations en public… Je vous en conjure, ordonnez le huis clos !
L’avocat de la d'efense se leva `a son tour :
— Je suis d’accord, d'eclara-t-il, avec le minist`ere public, pour demander le huis clos.
Le colonel hocha la t^ete affirmativement, regardant le commandant Dumoulin, puis M eDurul-Berton.
Mais, tandis que les juges militaires s’entretenaient `a voix basse des formalit'es `a remplir pour que le huis clos f^ut prononc'e dans les r`egles, le commandant Dumoulin, auquel le lieutenant Servin avait sugg'er'e quelque chose, intervint `a nouveau et dit :