La gu?pe rouge (Красная оса)
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Si v'eritablement, ce n’'etait pas Fant^omas qui avait tu'e lady Beltham, qui donc l’avait tu'ee ? Et si Fant^omas s’'etait livr'e `a Juve pour que Juve recherch^at l’assassin de la grande dame, contre qui Juve aurait-il `a diriger ses recherches ? Or, tandis que Juve r'efl'echissait ainsi, Fandor, de son c^ot'e, songeait. Le jeune homme, furieux tout `a l’heure, du ton de bravade qu’avait employ'e Fant^omas, brusquement s’'etait calm'e. Il reprit la parole :
— Fant^omas, vous venez vous-m^eme en effet de vous livrer `a nous, nous allons faire notre devoir, et vous remettre aux mains de la justice. Mais, s’il est vrai que vous n’^etes pour rien dans l’assassinat de lady Beltham, je vous jure, en mon nom, comme au nom de Juve qui nous 'ecoute, que nous n’aurons de cesse l’un et l’autre que la v'erit'e soit faite sur la mort de celle que vous avez aim'ee.
— Je vous remercie, Fandor.
D’une voix grave, Fant^omas venait de r'epondre au jeune homme. Les mots 'etaient simples, mais ils avaient un caract`ere poignant, 'echang'es entre ces deux hommes qui se ha"issaient depuis si longtemps.
— Je vais rester ici, reprit Juve, en face de Fant^omas. J’ai mon browning `a la main, au premier mouvement qu’il esquissera, je ne me ferai point faute de tirer. Toi, Fandor, va chercher une voiture. Dans une heure, nous l’aurons fait 'ecrouer.
Fandor ne r'epondit pas. Il s’assura d’un coup d’oeil de la disposition de la pi`ece. Tant de fois Fant^omas avait r'eussi d’invraisemblables prodiges d’audace, tant de fois, il avait risqu'e de formidables tentatives d’'evasion, toujours couronn'ees de succ`es, que Fandor, malgr'e lui, malgr'e les affirmations du bandit, doutait presque de la r'ealit'e, ne pouvait croire que Fant^omas f^ut r'eellement prisonnier.
Juve, cependant, ne se trompait pas `a l’'emotion que manifestait son ami.
— Allons, reprenait-il, descends, Fandor. Va chercher un fiacre, je te dis qu’il ne peut pas s’'echapper.
Juve agitait son revolver comme un argument supr^eme. Fandor allait peut-^etre r'epondre. Fant^omas eut un 'eclat de rire.
— Je m’'echapperais si je le voulais, raillait-il, mais je ne le veux pas. Soyez tranquille, Fandor. Vous me retrouverez ici, je vous le promets.
Les promesses de Fant^omas, toutefois, n’'etaient point de nature `a calmer les appr'ehensions de J'er^ome Fandor. Il fallait cependant se d'ecider.
— Juve, dit encore le jeune homme, il est bien entendu, n’est-il pas vrai, qu’au moindre mouvement… ?
— Mais oui, interrompit Juve, d'ep^eche-toi de m’ob'eir. Descends !
`A regret, J'er^ome Fandor partit. Il descendit quatre marches par quatre marches l’escalier de la maison, h'ela un fiacre, lui expliqua qu’il s’agissait de conduire un prisonnier au D'ep^ot. Puis, ayant fait ranger la voiture le long du trottoir, remonta pour pr'evenir Juve. En mettant la cl'e dans la serrure de l’appartement du policier, la main de J'er^ome Fandor tremblait. Il entra brusquement dans le cabinet de travail. Alors, un soupir de soulagement s’'echappa de sa poitrine. Ni Juve, ni Fant^omas n’avaient boug'e. Le policier 'etait toujours assis en face du bandit, Fant^omas toujours ficel'e se tenait immobile sous la menace du revolver de Juve.
— La voiture est l`a, Fandor ?
— Oui.
— Descendons, alors.
Juve remit son revolver dans sa poche. Il passa aux poignets de Fant^omas qui se laissa faire sans la moindre r'esistance, un cabriolet d’acier, une cha^inette fine et solide dont il maintenait soigneusement les deux bouts. `A la moindre tension imprim'ee par Juve, les poignets du mis'erable subiraient une atroce pression, seraient aux trois quarts 'ecras'es.
Parbleu, il pouvait bien essayer de fuir, Fant^omas ! Juve, d’un geste 'etait en mesure de le dompter, de le forcer `a demander gr^ace et cela impitoyablement. On ne r'esiste pas `a la douleur qu’impose la torture d’un cabriolet.
— Allons, Juve !
— Allons, Fandor !
Fant^omas ne disait rien. Loin d’avoir l’air honteux, loin de para^itre boulevers'e, `a l’id'ee de descendre si humblement ligot'e, il riait. Le bandit 'etait v'eritablement prisonnier parce qu’il l’avait voulu et sa situation mis'erable le touchait peu, si peu, qu’il semblait encore garder un sourire ironique et dominer les 'ev'enements.
— Avancez, Fant^omas !
— Je vous suis.
Juve, tenant toujours son prisonnier, s’engageait dans l’escalier, accompagn'e de Fandor, pr^et, au moindre mouvement, `a se jeter sur le bandit. Rapidement, les trois hommes atteignirent le trottoir. Fant^omas, toujours souriant, monta en fiacre, Juve le fit asseoir sur la banquette du fond, `a c^ot'e de lui. Fandor s’installa sur le strapontin.
— Quai des Orf`evres ! cria le journaliste. Au service de la S^uret'e !
Le cocher fouetta son cheval, l’'equipage s’'ebranla. Le trajet n’est gu`ere long de Montmartre au service de la S^uret'e, et, pourtant, il parut s’effectuer avec une extraordinaire lenteur `a Juve et `a Fandor, peut-^etre m^eme `a Fant^omas.
Les deux amis, en effet, encore qu’`a cet instant ils fussent v'eritablement bien persuad'es que Fant^omas ne pouvait pas s’enfuir, 'etaient incapables de s’emp^echer de fr'emir au moindre incident : un embarras de voitures retardant la marche du fiacre faisait trembler Fandor. Le regard d’un passant qui, sur un refuge du boulevard, remarquait les cabriolets mis aux mains de Fant^omas inqui'etait Juve. On pouvait tout attendre de Fant^omas. De la part du bandit, rien n’'etait impossible. Un coup de force e^ut 'et'e ais'e apr`es tout : il avait tant et tant de complices. C’est cependant sans qu’il y ait eu le moindre incident, sans que la moindre aventure f^ut survenue, que le fiacre arriva `a destination. Fandor descendit le premier.
Juve fit ensuite passer Fant^omas, puis, quand le bandit fut sorti du fiacre, lui-m^eme en descendit.
Fant^omas, jusqu’alors s’'etait tu. Or, brusquement, en apercevant les murailles hautes des b^atiments, en voyant que Juve le poussait vers les longs couloirs qui m`enent au service de la S^uret'e, le monstre frissonna :
— Juve… commenca-t-il.
Mais Juve avait senti son h'esitation. Il avait d'ej`a remarqu'e que la marche de son prisonnier 'etait moins ferme et moins assur'ee.
— Avancez, ordonna-t-il.
Et il serra un peu le cabriolet. Or, `a cet instant, Fant^omas s’arr^eta :
— Juve, reprit le bandit, vous pouvez me broyer le poignet si bon vous semble, mais vous ne me ferez pas h^ater le pas si cela me d'epla^it. Juve, voici l’instant o`u vous allez me livrer. Fort bien. Je n’ai qu’un mot `a vous dire :
Tout le temps que Fant^omas parlait, Juve, nerveusement, avait tordu le cabriolet.