La gu?pe rouge (Красная оса)
Шрифт:
— Bouzille, commanda le journaliste, vous allez t^acher de m’'ecouter. Si vous revoyez la fille de Fant^omas, il faudrait lui remettre ceci.
En parlant, le jeune homme avait tir'e son portefeuille, il avait 'ecrit quelques lignes sur une feuille de papier, qu’il glissait sous enveloppe.
— C’est tr`es grave, Bouzille, recommandait-il encore, en fixant le chemineau, c’est excessivement grave, ce que je vous confie-l`a, si grave m^eme que je vous fais une promesse : si la lettre arrive, si vous la remettez entre les mains d’H'el`ene, je vous donnerai cinquante francs.
— Pas possible, vous me donneriez cinquante francs, cinquante francs en or ?
— Oui, en or, Bouzille.
Le chemineau prit la lettre, l’enfouit dans sa poche, posa la main sur le coeur et c'er'emonieusement annonca :
— Monsieur le marquis peut compter sur moi. Sa lettre arrivera. `A ce prix-l`a, je fais toujours tr`es bien la poste.
Toutefois, Fandor, s’il n’esp'erait plus retrouver par Bouzille, imm'ediatement du moins, la fille de Fant^omas, se prenait `a songer que peut-^etre il allait avoir, par lui, d’utiles indications.
— Bouzille, demandait encore le jeune homme, qu’allez-vous faire de cette voiture abandonn'ee ? Vous allez la ramener `a Paris ?
— Oui, m’sieu Fandor.
— Mais vous ne savez pas conduire, Bouzille ?
— Non, m’sieu Fandor.
— Voulez-vous que je vous m`ene ?
La face de Bouzille s’'eclaira encore d’un large rire.
— C’est pas la peine, r'epondit le chemineau, j’ai d'ej`a command'e une 'equipe.
— Quelle 'equipe ?
— L’'equipe des chineurs, parbleu.
— Des chineurs ?
— Oui, ils bouffaient de la sardine dans les environs.
— Ne vous payez pas ma t^ete, Bouzille, cela tournerait mal.
— Pourvu que ca tourne, c’est l’essentiel, mais il ne s’agit pas de ca. M’sieu Fandor, je ne me paye pas votre t^ete, c’est trop cher pour moi, et puis vraiment je ne saurais qu’en faire. Si je vous dis que j’ai command'e les chineurs, c’est que j’ai command'e les chineurs.
Et Bouzille, alors, mit Fandor au courant. Depuis quelque temps, il se sentait, affirmait-il, de grandes dispositions pour les arts, le commerce du fromage n’allait pas, il perdait de l’argent m^eme avec le gruy`ere, parce que, pour faire plaisir aux aminches, il agrandissait toujours les trous et ne trouvait plus de clients pour les acheter, il fallait donc faire autre chose.
— J’ai avis'e, m’sieu Fandor, disait Bouzille, en clignant des yeux, j’ai avis'e et je suis en train de me mettre artiste.
— Artiste en quoi, seigneur ?
— En vieux neuf, m’sieu Fandor.
Et Bouzille, apr`es bien des peines, bien des phrases incompr'ehensibles, finit par expliquer `a Fandor qu’il avait fait la connaissance d’un certain nombre de boh`emes, fournisseurs attitr'es des antiquaires les mieux achaland'es :
— C’est des jeunes gens 'epatants, disait Bouzille. Ca vous prend un fauteuil tout neuf qui vaut bien trente-cinq francs, crac. Ca le trafiquote, ca le casse, ca flanque, du plomb de chasse dedans et ca en fait un fauteuil tout vieux qui vaut bien cent cinquante francs pour un amateur. L’amateur, m’sieu Fandor, c’est la b^ete `a bon Dieu, c’est la poire juteuse, c’est l’homme charmant. Alors, vous comprenez, ce truc-l`a, ca m’a plu, et naturellement, je me suis mis artiste pour amateurs.
— Vous faites donc des faux meubles, Bouzille ?
— Oui, m’sieu Fandor. Et de faux vases aussi et des fausses vieilles assiettes. Ah, ca, c’est le plus rigolo ! Les fausses vieilles assiettes, ca se fait avec des articles d'epareill'es qu’on flanque par terre, qu’on casse et qu’on recolle. Plus il y a de morceaux et plus que ca se vend cher. M^eme si des fois on peut 'erailler la peinture, ca devient du bon nanan et ca se vend aux amateurs comme le tabac `a priser aux vieilles religieuses en retraite.
Bouzille, dans son enthousiasme, se frottait les mains, il ajoutait encore :
— Rechercheur d’antiquit'es, chineur, quoi, voil`a ce que je vais devenir, m’sieu Fandor. C’est pas un m'etier de purotin, je vous assure. Ma fortune est faite.
— Je comprends ce que vous appelez les chineurs [4] maintenant, Bouzille, mais je ne comprends pas comment ces chineurs vont ramener la voiture `a Paris ?
— Parce qu’ils mangeaient de la sardine. Tous les copains, m’sieu Fandor, 'etaient en train de faire la bombe aux environs. L’un d’eux, voil`a ce que c’est, un garcon tr`es gentil, tenez, un certain 'Erick Sunds, un 'etranger, sa sp'ecialit'e `a lui, c’est tout et le reste, a gagn'e `a la loterie dix-huit bo^ites de sardines. Naturellement il a invit'e les amis, m^eme il y a des gens que vous connaissez, tenez, Mario Isolino, vous vous rappelez, hein, Mario Isolino ? Un de mes amis de Monaco [5] quand j’'etais mendiant riche et puis, Nadia, la Circassienne, la suivante `a Sonia Danidoff autrefois [6]. Et tout ce monde-l`a, m’sieu Fandor, comme j’avais l’honneur de vous le dire, bouffait de la sardine aux environs.
— Alors, Bouzille ?
— Alors, le bon Dieu ou le diable, je ne sais pas lequel et je m’en moque, peut-^etre tous les deux, a voulu que je les rencontre, m’sieu Fandor. J’ai le coeur sur la main et vous le savez :
Et Bouzille se frotta encore les mains. Il n’y avait 'evidemment rien de bien int'eressant `a tirer du chemineau. Il disait ce qu’il savait, peu de chose, et il importait seulement `a Fandor de savoir qu’il 'etait possible qu’H'el`ene v^int au domicile de Bouzille.
Fandor n’insista pas, il recommanda encore sa lettre, puis le laissa camp'e, fier comme Artaban, sur sa voiture en panne et s’'eloigna.
J'er^ome Fandor, toutefois, n’alla pas tr`es loin. Il rejoignit la grand-route, mais il fit un brusque d'etour et revint s’embusquer derri`ere une palissade qui le cachait aux regards, `a quelque distance de Bouzille.
— M’a-t-il dit la v'erit'e ? pensait J'er^ome Fandor, n’attend-il pas H'el`ene, par hasard ?
H'elas, Bouzille n’avait pas menti. Comme la nuit tombait, J'er^ome Fandor vit accourir vers l’automobile une grande bande joyeuse parmi lesquels il reconnut en effet Mario Isolino et la jolie Nadia, une bande de boh`emes qui s’empressaient autour de la voiture, et, avec de grands 'eclats de rire, ayant l’air de s’amuser follement, s’occupaient `a la pousser, cependant que Bouzille, camp'e au volant, cornant sans discontinuer, hurlait de toutes ses forces :