La gu?pe rouge (Красная оса)
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Or, alors que le tramway approchait d’Enghien, J'er^ome Fandor, brusquement, se dressa dans la baladeuse, poussa un juron formidable. Fandor r'ep'etait :
— Mais fichtre de nom d’un chien. Je ne me trompe pas pourtant, cr'edibis`eque.
Il n’en dit pas plus long d’ailleurs, car, bousculant une grosse femme qui se trouvait en face de lui, les genoux charg'es de paquets, il s’'elanca sur le marchepied du tramway, puis, au risque de se rompre le cou, car la voiture marchait `a toute allure, il sauta sur la chauss'ee.
Des cris avaient retenti. De la baladeuse, on se penchait curieusement, les voyageurs s’attendaient `a voir le jeune homme rouler sur le sol, mais il n’en 'etait lien.
Gr^ace `a sa souplesse d’acrobate, en effet, le journaliste n’avait point perdu son 'equilibre, et maintenant, courant `a perdre haleine, il se pr'ecipita vers un petit chemin qui d'ebouchait `a quelque distance, le long de la grande avenue o`u passe la voie du tramway. Or, J'er^ome Fandor 'etait `a peine `a l’entr'ee de ce chemin, qu’il levait encore les bras au ciel dans une mimique de stup'efaction profonde.
— Mais c’est incompr'ehensible cette histoire-l`a, murmurait-il, c’est `a devenir fou, fou `a lier !
Il fit encore quelques pas en courant, puis il appela :
— Bouzille, Bouzille, qu’est-ce que vous faites-l`a ?
`A cinquante m`etres de J'er^ome Fandor, rang'ee dans le petit chemin, se trouvait une automobile dont la carrosserie particuli`ere, la forme caract'eristique, ne permettaient point d’erreur, c’'etait l’automobile de la S^uret'e, la voiture de Nalorgne et P'erouzin, la voiture sur laquelle la fille de Fant^omas s’'etait enfuie, au moment o`u les agents de la S^uret'e esp'eraient l’appr'ehender.
Or, sur cette voiture, assis `a la place du conducteur, il y avait un bonhomme, qui, `a l’appel de Fandor, 'eclata d’un large rire.
Bouzille, car c’'etait Bouzille, ne r'epondit rien toutefois `a Fandor. Tandis que le journaliste se pr'ecipitait vers lui, courant aussi vite qu’il le pouvait, l’in'enarrable individu agitait avec des cris de joie les leviers de la voiture, puis, soudain, prenant la corne d’appel `a pleines mains, il se mit `a faire un bruit abominable. Allait-il donc partir ? Allait-il donc voler cette voiture devant Fandor impuissant ?
— Qu’est-ce que vous faites l`a ? Arr^etez, Bouzille !
— Je ne peux pas, riposta le chemineau, manoeuvrant toujours les leviers, comment voulez-vous que j’arr^ete ? Je ne suis pas en marche.
— O`u avez-vous trouv'e cette voiture, Bouzille ? Comment est-elle entre vos mains ? Parlez, parlez, bon Dieu !
— L`a, l`a, monsieur Fandor, vous faites donc pas tant de bile, j’ai pas besoin de me d'ep^echer, vous avez toute vot’ vie pour m’entendre.
— Parlez, nom de Dieu, qu’est-ce que vous faites l`a ?
— Ca fait bien vingt fois que vous me le demandez, interrompit Bouzille qui semblait toujours de la meilleure humeur, pourtant ca se voit, j’imagine, ce que je fais. Je me prom`ene, je me balade, j’prends l’air.
— Mais comment avez-vous eu cette voiture ?
— Je l’ai trouv'ee, m’sieu Fandor.
— Trouv'ee ? Quand ? Comment ?
— Hier. Ou plut^ot c’te nuit. Ah tenez, puisque vous ^etes curieux, et que vous voulez tout savoir, j’vas vous dire la v'erit'e vraie. Comme ca je cherchais mes asticots pour aller `a la p^eche, ou encore de l’herbe pour des lapins, ou si vous aimez mieux des morceaux d’'etoiles pour en faire des vers luisants, enfin quoi, je promenais mon ventre, lorsque tout `a coup, j’vois mam’zelle H'el`ene, sauf vot’ respect, qui s’aboule avec cette machine.
`A ces mots, Fandor 'etait devenu tout p^ale. Bouzille le contempla avec int'er^et :
— C’est rigolo, hein ? Mais vous voil`a tout chose, monsieur Fandor. Ah, l’amour, ce que ca occasionne des jaunisses.
Et, sur cette r'eflexion philosophique, Bouzille en revint `a son histoire.
— Donc, la demoiselle s’est amen'ee en douce, sur cette voiture-l`a, qui faisait beaucoup de bruit et qui n’avancait pas vite. « Bouzille, qu’elle me dit, veux-tu garder cette voiture et la reconduire `a la S^uret'e ? Elle n’est pas `a moi, tu me rendrais service. »
— Alors, Bouzille, alors, qu’avez-vous dit ?
— J’ai rien dit, m’sieu Fandor.
— Comment vous n’avez rien dit ?
— Non, rapport au moteur qui tournait. Moi, j’aime pas ces choses-l`a. J’ai toujours le trac que ca explose. Seulement, voil`a : Mlle H'el`ene, elle a tout arr^et'e, elle est descendue, et puis…
— Et puis quoi ? Bouzille, o`u est-elle all'ee ?
— Ah ca, Dieu de Dieu, j’en sais rien, m’sieu Fandor, quelque part, ici, l`a-bas ou ailleurs. Sauf votre excuse, j’ai pas l’habitude d’interroger les femmes.
— Mais vous avez bien vu par o`u elle est partie ?
— Oui, par l`a, vers Paris.
Fandor se mordit les l`evres. Il lui prenait une col`ere folle `a la pens'ee qu’il arrivait trop tard pour rien apprendre d’int'eressant et que Bouzille, assur'ement, lui avait dit tout ce qu’il savait, ce qui 'etait `a peu pr`es rien.
— Enfin, Bouzille, reprit Fandor, secouant le chemineau par le bras pour l’emp^echer de manoeuvrer la corne dont il tirait toujours un effroyable vacarme, enfin, vous devez bien savoir o`u la retrouver ?
— Non, m’sieu Fandor.
Un g'emissement s’'echappait des l`evres du journaliste. Bouzille reprit aimablement :
— Mais elle sait o`u me retrouver. Elle m’a demande mon domicile, et je lui ai dit qu’il y avait toujours chez moi un morceau de fromage `a sa disposition.
L’offre dont parlait Bouzille ne pouvait 'evidemment avoir beaucoup tent'e H'el`ene. Toutefois, il 'etait certain que Bouzille avait raison. Si Fandor ne savait toujours pas o`u retrouver la fille de Fant^omas, il 'etait important que celle-ci conn^ut la demeure du chemineau. Peut-^etre pourrait-on, par Bouzille, lui faire savoir que sa lettre 'etait perdue, que ni Juve, ni Fandor n’avaient pu en prendre connaissance.