La livr?e du crime (Преступная ливрея)
Шрифт:
Bec-de-Gaz, d’ailleurs, raillait son ami :
— C’est vrai, disait-il, que t’es libre, OEil-de-Boeuf, et tu l’as dis toi-m^eme, ta libert'e n’est que provisoire. Si les flics en ont envie, ils peuvent te boucler pour la moindre chose, et te voil`a refait pour quatre ou cinq ans, tandis que moi je suis net et pur comme l’oeil, libre comme l’air.
— Toi ? un forcat 'evad'e.
— Un forcat 'evad'e, nib de forcat mon vieux, nib d’'evasion, la classe et la bonne. Comprends donc, OEil-de-Boeuf, que si je suis ici en plein milieu de Belleville et sans avoir les foies, c’est rapport `a ce que j’ai 'et'e graci'e.
— Graci'e ? s’'ecria OEil-de-Boeuf.
— C’est toute une histoire, commenca Bec-de-Gaz. Il y avait une fois, dans un petit patelin qu’on appelle Saint-Calais, un juge d’instruction qui, ayant eu `a sa disposition le pauvre Bec-de-Gaz, ne trouva rien de mieux que de le faire mettre d’autorit'e sur une liste de condamn'es qu’on devait amnistier. La gr^ace est intervenue et le Bec-de-Gaz en a profit'e. Il faut te dire cependant que si l’affaire a aussi bien r'eussi, c’est uniquement parce que le juge en question n’'etait autre que tu sais qui en personne.
OEil-de-Boeuf, abasourdi, allait demander des explications, mais son attention fut distraite par une rixe qui commencait `a une table voisine et avait pour h'eros un homme `a la silhouette redoutable, `a l’'enorme carrure, que tout le monde connaissait pour ^etre le redoutable Bedeau.
Le Bedeau, attabl'e dans un coin depuis de longs instants avec une femme, une pierreuse au regard percant, `a la chevelure hirsute, `a la m^achoire volontaire, avait peu `a peu hauss'e le ton.
— Et puis non, jurait le Bedeau, en donnant un 'enorme coup de poing sur la table, cependant qu’il apostrophait sa compagne, et puis non, je ne marcherai pas avec toi, Fleur-de-Rogue, ca n’est pas que tu me d'eplaises, mais c’est des affaires qui ne me conviennent pas.
— Dis donc plut^ot que t’as les foies.
Le Bedeau, lentement, avec un air soumis, reconnut :
— Eh ben, c’est vrai, Fleur-de-Rogue, j’ai peur de toi. Les hommes vivants ne m’ont jamais foutu les flubes, ca je peux le dire, mais les morts ca me fout le taf, et les morts ca te conna^it.
— Que veux-tu dire ? Explique-toi.
— Il y a, fit-il, que je t’ai connu deux hommes, Fleur-de-Rogue, c’'etaient des gaillards, des costauds, des types dans mon genre. Eh bien, le premier, Jean-Marie, tu sais bien l’aide du bourreau, il est mort de son m'etier, mort sur la Veuve, et d’une facon horrible. Quant `a l’autre, c’'etait mon copain, mon poteau, Ribonard le gal'erien, et il est mort aussi, 'ecras'e, broy'e par le battant d’une cloche. Tu portes la guigne, Fleur-de-Rogue, tu es comme le chol'era. Lorsqu’on se met avec toi, on en cr`eve.
La pierreuse, profond'ement 'emue elle aussi, aux souvenirs qu’'evoquait le Bedeau, fr'emissait de tout son ^etre. Sa poitrine se soulevait, sous une respiration haletante, ses flancs tremblaient, sa l`evre tremblait. Ses paupi`eres battirent, elle 'etait superbe.
Soudain, le Bedeau n’y tenant plus, poussa un r^ale :
— Et puis, je m’en fous hurla-t-il, viens dans mes bras, Fleur-de-Rogue, je t’aime, je te veux.
Une clameur 'eclata aussit^ot dans le bouge, clameur d’enthousiasme et d’admiration. Seul, le p`ere Joseph, inquiet de ce tapage, sollicitait le silence.
— Taisez-vous, sacr'e bon Dieu, jurait-il, vous faites un boucan de tous les diables, le poste est `a trois cents m`etres d’ici. Aussi vrai que je m’appelle Joseph, les flics vont rappliquer.
Les consommateurs firent silence. OEil-de-Boeuf et Bec-de-Gaz s’'etaient lev'es, avaient chang'e de place et s’entretenaient myst'erieusement autour d’une table dissimul'ee derri`ere le comptoir.
`A c^ot'e d’eux, se trouvait un apache de Belleville, que les renseignements de police, depuis plus de dix ans, signalaient comme dangereux, mais que nul jusqu’alors n’avait pu prendre sur le fait, car on n’avait rien de pr'ecis `a lui reprocher. C’'etait un homme de trente ans environ, `a la face jaune et p^ale, aux yeux perc'es en vrille, au front d'enud'e. Il avait des mines doucereuses, des gestes onctueux, la parole facile et la voix sympathique. On e^ut dit `a le voir un petit employ'e de commerce, docile et s'erieux, ou encore, petit bourgeois pacifique. Et cependant son nom 'evoquait des id'ees inqui'etantes, d'eterminait des craintes, on l’appelait, et d’ailleurs c’'etait lui-m^eme qui s’'etait ainsi baptis'e :
— Comprenez bien, mes amis, que, prisonnier de vous, immobilis'e dans vos mains, laiss'e `a votre merci, je ne pourrai plus rien. Tandis que libre d’agir, il me sera facile de reconstituer la bande des T'en'ebreux, de me remettre `a sa t^ete et de vous faire b'en'eficier de toutes nos op'erations.
Mort-Subite l’interrompait d’un geste :
— C’est tr`es joli patron, tout ce que tu nous racontes l`a, mais faudrait tout de m^eme pas nous prendre pour des poires. Voil`a longtemps que tu nous emm`enes dans un bateau de ce genre et que tu n’as jamais arros'e. Ah les promesses ne co^utent pas cher.
— Tu n’es pas juste avec moi, Mort-Subite, la vie n’est pas toujours facile et j’ai fait ce que j’ai pu, demande plut^ot `a Bec-de-Gaz.
— Ca, reconnut l’apache, j’pourrais pas dire le contraire.
Puis il ajouta dans un chuchotement, comme s’il avait su que le nom qu’il allait prononcer ne devait l’^etre qu’`a voix basse :
— Fant^omas a 'et'e bon pour nous, non seulement il m’a fait libre mais encore il m’a arros'e, ainsi que la m`ere Toulouche, avec assez de p`eze pour nous d'ebiner du patelin comme des bourgeois de la haute et nous ramener `a Pantruche dans les wagons du chemin de fer.
Comment l’Invisible s’'etait-il abaiss'e jusqu’`a venir discuter ses propres exploits avec des apaches, des sous-ordres, des soldats de la bande dont il 'etait le chef ?
Comment croire qu’il ne savait ce qu’il 'etait en train de faire ? Longtemps, l’Empereur du Crime pr^echa ses partisans de nagu`ere, sans r'eussir `a les convaincre tous. Le dernier haussait des 'epaules.
Et Fant^omas, avant de laisser `a Bec-de-Gaz le soin de r'egler les consommations, d'eclara encore :
— D’accord, aujourd’hui je suis sans un, plus fauch'e que vous. Mais aussi vrai que je suis Fant^omas, rendez-vous `a huitaine. Oui, dans exactement une semaine, on se retrouve ici. C’est moi qui r'egale. Il y aura des fafiots pour tout le monde. Vrai comme je suis l`a.
Fant^omas se glissa le long du comptoir, `a petits pas, courbant la t^ete, tel un 'ecolier pris en faute se dissimule sous le regard de ses ma^itres.
Mais `a peine 'etait il sorti que son regard brilla d’une f'erocit'e 'etrange. Fant^omas se redressa, il serra les poings :
— Ah, gronda-t-il, ils ont dout'e de moi, eh bien on verra, malheur `a eux, malheur `a tous.
***
— Marie Bernard, bonjour.
— Bonjour La Gu^epe. Ca va le petit commerce ?
— Peuh, vous savez, comme ci, comme ca.