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La livr?e du crime (Преступная ливрея)
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La jolie fille qui, quelques instants auparavant, avait refus'e de s’attabler avec les apaches au cabaret du P`ere Joseph, venait de s’introduire dans un modeste logement au cinqui`eme 'etage d’un grand immeuble de la rue de la Libert'e, qui faisait le coin d’une impasse.

La Gu^epe 'etait chez Marie Bernard, la femme du terrassier, la brave m`ere de famille qui vaquait aux soins incessants du m'enage o`u r'egnait un perp'etuel d'esordre, provoqu'e par trois mioches, dont le plus jeune avait dix-huit mois, cependant que l’a^in'e, une jolie fillette, r'epondant au nom de Germaine, atteignait `a peine sa cinqui`eme ann'ee.

— Alors, Marie Bernard, fit la fleuriste, ca va ?

— Pas trop mal, en ce moment, oui.

— Et le terme ?

— Eh bien voil`a, r'epliqua l’ouvri`ere, c’est justement le terme qui est le chiendent. Oh, j’ai bien trente francs de c^ot'e, mais il en faudrait quatre-vingts, et cinquante balles comme ca, du jour au lendemain, ca ne se trouve pas sous le pied d’un cheval.

— S^urement, approuva la Gu^epe.

— Heureusement, poursuivi Marie Bernard, que cette bonne Mme Gauthier m’a annonc'e sa visite. J’ai recu d’elle un mot de billet me disant qu’elle allait venir cet apr`es-midi.

— Mme Gauthier ? interrogea-t-elle, comme si elle fouillait sa m'emoire, qui est-ce donc ? Ah oui, cette dame du grand monde qui paie le suppl'ement des loyers aux gens du quartier, histoire de faire la charit'e et de se r'eserver une place au Paradis.

— Tu peux toujours chiner, protesta Marie Bernard, c’est rudement agr'eable de conna^itre une personne comme ca.

— Possible, fit la Gu^epe.

— Sans doute, poursuivit l’ouvri`ere, que tu n’en voudrais pas, la Gu^epe, t’es bien trop fi`ere, trop orgueilleuse, pour accepter un secours. Mais si t’avais, comme moi, des mioches et un m'enage, tu ne ferais peut-^etre pas tant la difficile.

La fleuriste soupira :

— C’est possible, apr`es tout. Vois-tu, Marie Bernard, le tort qu’on a dans la vie, c’est de juger les autres d’apr`es soi. Avant de critiquer, faut se mettre dans la peau de ceux qu’on critique.

— Bien parl'e, la Gu^epe, fit une grosse voix. Quand j’aurai des rentes, je te prendrai pour ma^itresse d’'ecole, tu donneras des lecons `a mes mignards.

Les deux femmes se retourn`erent, quelqu’un entrait dans le logement. C’'etait l’'epoux de Marie Bernard, le terrassier Bernard.

— Je me sauve, dit la Gu^epe, c’est l’heure de votre d^iner, bon app'etit.

Bernard, d’un geste lent, d'efit le sac qu’il portait sur le dos, il le l^acha, et du fardeau s’'echappait un nuage de poussi`ere blanche.

— C’'etait pas la peine que je fasse les carreaux ce matin, s’'ecria Marie Bernard, les voil`a d'ej`a sales ! Ah, les hommes, ca ne sait pas. Partout o`u ca passe, ca fait des d'eg^ats.

Le terrassier, cependant, s’approchait de sa femme, la prenait par la taille, l’attirait pr`es de lui :

— Bonjour, la Marie. Allons, fais pas la gueularde, j’y mettrai un coup ce soir `a tes carreaux, il n’y para^itra plus. Embrasse ton homme.

Mais `a peine avait-elle effleur'e sa joue velue, qu’elle s’'ecartait et le consid'erait d’une mine inqui`ete :

— D’o`u que tu viens, Bernard ? interrogea la Marie.

— Parbleu, de mon travail.

— Sans doute, mais apr`es ?

— Apr`es, on a pris la bleue avec les copains.

— Tu me montes le coup. C’est pas l’absinthe que tu sens.

— De quoi ? qu’est-ce que je sens, alors ?

— Bernard, tu sens la parfumerie.

— Imb'ecile, cria-t-il, tu ne sais pas ce que tu dis. Ah, nom de Dieu.

L’homme se montait, une col`ere subite empourprait ses pommettes.

— La parfumerie, r'ep'eta-t-il.

Puis, soudain, son visage devint sombre et terrible. Il fit deux pas en avant, il avait jet'e en entrant sa casquette sur une chaise, il la reprit :

— Adieu, fit-il, `a ce soir.

— Bernard o`u vas-tu ? Que fais-tu ? et manger ?

— Je n’ai pas faim, mais j’ai soif et je vais boire.

***

Fant^omas, cependant, apr`es avoir descendu la rue de la Libert'e, rasant les murs, regardant sans cesse autour de lui comme s’il craignait d’^etre reconnu, 'etait arriv'e au haut de la rue de Belleville. Il avisa le funiculaire, monta dans le v'ehicule en partance. Quelques instants plus tard, il s’arr^eta au boulevard de M'enilmontant et courut `a l’entr'ee du m'etro.

`A peine 'etait-il l`a depuis quelques instants, que de la foule des voyageurs 'emergeant du sous-sol, se d'etachait une femme, jeune, jolie, envelopp'ee d’un grand manteau sombre et dont le visage se dissimulait sous une toque enfonc'ee sur la t^ete.

— Ad`ele, murmura Fant^omas, qui, aussit^ot, prenant la jeune femme par le bras, l’entra^ina vers la station de voitures, l’aida `a monter dans un taxi-auto et ordonna au m'ecanicien :

— Gare de l’Est.

Lorsque le v'ehicule s’arr^eta dans la cour de la gare, Ad`ele, fort 'etonn'ee, glissait `a l’int'erieur de son gant un billet de banque que l’'enigmatique bandit venait de lui remettre.

Celui-ci ajoutait :

— Ces mille francs sont pour toi, Ad`ele, maintenant tu vas prendre le train et te d'ebiner `a l’'etranger. L’express part dans vingt minutes. Tu demanderas un billet jusqu’`a Strasbourg.

Mais la femme de chambre protestait :

— Partir ? Jamais de la vie ! je ne veux rien savoir, et puis ce serait trop b^ete.

— Pourquoi donc ?

— Parce que si je me d'efile on me croira coupable, et je ne le suis pas. Vois-tu qu’on m’arr^ete, ou alors qu’il me faille vivre dans un patelin que je ne connais pas, aux cinq cents diables. Jamais de la vie, je ne marche pas. Rien `a faire.

Fant^omas, visiblement, h'esitait `a r'ep'eter son ordre.

— Ad`ele, demanda-t-il, au bout d’une seconde de r'eflexion, je ne demande pas mieux que de te garder ici, mais serais-tu capable de ne pas te d'emonter ?

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