Le pendu de Londres (Лондонская виселица)
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Lord Duncan avait tressailli :
— Vous ^etes venue, seule ?
— Seule, dit la jeune femme sans baisser les yeux, m'eprisante, arrogante.
— Nini, qu’est-ce que cela signifie ?… Vous devez avoir un motif grave ?
— Un motif grave… oui… Car il faut en effet un motif grave pour que moi je me permette de venir seule chez celui qui m’a donn'e le droit de vivre `a ses c^ot'es…
— Ne ravivez pas, madame, ces odieux souvenirs…
— Oui, je sais, je sais que vous voulez oublier qu’il y a deux ans, le jeune Anglais Ascott… plus tard devenu lord Duncan… m’'epousait… moi, Nini Guinon ! la fille du peuple, la petite ouvri`ere, apr`es l’avoir d'ebauch'ee un soir d’orgie, il l’'epousait par crainte des repr'esailles, par peur de la police… Eh bien, soit ! oubliez-le. Mais oubliez aussi votre enfant !…
Nini Guinon marcha droit sur son mari, et hurla :
— Vous avez voulu me voler Jack… N’essayez pas de nier… N’essayez pas, je le sais… parbleu, vous ^etes forts, vous autres, les gens arriv'es… Parce que vous ^etes riches et puissants, vous vous croyez tout permis… Je ne sais pas comment cela se passe dans votre pays, mais je sais bien qu’en France, on n’arrache pas un enfant `a sa m`ere sans que celle-ci fasse du tapage… Et je vous jure, Ascott de mon coeur, que j’en ferai de la musique si jamais…
— Assez, dit lord Duncan, qui, ma^itrisant sa col`ere se contenta de prendre les mains de Nini et de les serrer pour immobiliser la jeune femme :
« Assez de com'edie, Nini, poursuivit-il, je ne suis pas dupe. Vous n’^etes pas une m`ere, vous ^etes une fille, perdue de d'ebauche et c’est un devoir de vous arracher votre enfant…
— Lord Duncan !
— Taisez-vous !
Il poursuivit, d’une voix plus douce :
— H'elas ! le remords de ma vie, ce sera le jour o`u je vous ai connue, Nini, o`u j’ai cru qu’en r'egularisant une situation f^acheuse, j’allais pouvoir donner au petit ^etre que vous portiez dans vos flancs, une existence honorable… Alors, Nini, je n’'etais qu’un cadet…, mon p`ere, mon fr`ere a^in'e vivaient. Depuis, j’ai dissimul'e que vous 'etiez ma femme, lady Duncan… vous avouerez, madame, que j’ai achet'e largement votre silence… Je me sentais tout dispos'e `a ne pas oublier qu’en d'epit de tout, j’'etais l’'epoux de la m`ere de mon enfant ; celle-ci en 'echange me devait d’avoir une attitude honn^ete et r'eserv'ee. Le contraire s’est produit. Vous vous ^etes livr'ee `a mon 'egard, depuis que je suis lord et membre du Parlement, `a de perp'etuels et odieux chantages. En outre, votre conduite est infamante… Vous vous plaignez que j’ai voulu reprendre mon enfant, n’en veuillez qu’`a vous-m^eme si je continue `a m’efforcer de l’arracher `a votre mauvais exemple. C’est parce que vous le m'eritez…
— Vous ne recommencerez plus, lord Duncan, pour cette bonne raison que votre fils est mort…
— Jack, s’'ecria l’infortun'e p`ere, mon petit Jack…
Puis, quand il eut repris son sang froid :
— Dites-moi, Nini, que lui est-il arriv'e… comment cet 'epouvantable malheur ?…
Lord Duncan ne pouvant dominer son 'emotion s’'etait laiss'e choir sur un fauteuil ; ses jambes vacillaient, sa t^ete tournait… le coup 'etait si brusque.
Nini Guinon, froidement le consid'erait, l’air indiff'erent. Elle l’'etait `a coup s^ur, indiff'erente. Sa voix n’avait trahi aucun trouble lorsqu’elle avait annonc'e la sinistre nouvelle.
— Jack a pris froid, expliqua-t-elle, une fen^etre rest'ee ouverte toute la nuit, le lendemain il est mort…
Lord Duncan s’approcha de Nini Guinon, puis les yeux dans les yeux :
— Est-ce vrai ?
Sans broncher, l’'epouse secr`ete soutint ce regard.
— C’est vrai… fit-elle simplement.
— Pourquoi, demanda-t-il, pourquoi ne pas m’avoir pr'evenu lorsqu’il 'etait souffrant ?…
— Ah, parbleu, non, jamais de la vie…
Lord Duncan, comprenant sa pens'ee, s’'etait 'elanc'e sur elle.
— Il est mort… subitement… ajouta Nini.
Un silence plana dans le salon.
…Cependant, lord Duncan, par un effort supr^eme de volont'e avait repris l’attitude digne qui convenait `a sa qualit'e.
Ce n’'etait plus, en effet, l’'epoux qui parlait, c’'etait le grand seigneur, le membre de la Chambre haute. Il n’interrogeait plus, il ne sollicitait pas, il commandait, et dit :
— La seule indulgence que je pouvais avoir `a votre 'egard, Nini Guinon, m’'etait inspir'ee par ce fait, que malgr'e toutes vos turpitudes, vous 'etiez m`ere, et m`ere de mon enfant. Dieu nous l’a repris, peut-^etre a-t-il bien fait… Ses projets sont insondables, et c’est le ch^atiment qu’il m’impose, pour ma faute d’autrefois… J’accepte son d'ecret sans murmurer… D'esormais, il ne reste plus sur terre que deux 'epoux entre lesquels un ab^ime infranchissable s’est creus'e… Comprenez-moi bien. Plusieurs fois, d'ej`a, Nini Guinon, vous avez failli conna^itre la prison. Vous avez 'et'e compromise dans d’inf^ames affaires, la complice de ce que la capitale compte de plus inf^ame… Je suis intervenu pour vous arracher au Tribunal. Vous n’^etes qu’une fille perdue, une coupable, une criminelle peut-^etre. Nini Guinon, j’ai d'ecid'e : vous ne sortirez d’ici que pour entrer dans une maison d’arr^et. Une enqu^ete sera ouverte pour savoir comment est mort mon fils. On d'ecouvrira bien des choses, j’en suis s^ur.
Nini avait p^ali :
— Vous allez me faire arr^eter… Ah ! lord Duncan, vous voulez donc rendre public notre mariage ?
— Je le sais, d'eclara le noble membre du Parlement, je suis r'esign'e au scandale. Ce soir, Sa Majest'e aura ma d'emission…
Nini Guinon tressaillit. Si lord Duncan ne craignait plus le scandale, si Nini Guinon ne tenait plus son mari par ses perp'etuelles menaces de chantage, elle 'etait perdue…
Lord Duncan allait et venait, en proie aux plus sinistres r'eflexions, Nini Guinon, elle, s’'etait recul'ee jusqu’`a l’extr'emit'e du salon, et soudain, elle 'etouffa un cri : elle venait d’entendre une voix murmurer derri`ere elle :
— Imb'ecile… Imb'ecile de Nini, 'ecoute… mais ne bronche pas…
S’efforcant de conserver une figure impassible, Nini Guinon se raidit contre la surprise, et conform'ement au conseil qui lui 'etait ainsi donn'e elle pr^eta l’oreille :
— Imb'ecile, poursuivait la voix, une voix rude et hargneuse, il ne fallait pas dire que Jack 'etait mort… Jack mort, tu es irr'em'ediablement perdue… Il est encore temps de te reprendre… invente n’importe quoi… jure qu’il est vivant, jure-le, si tu tiens `a la vie, Nini…
Lord Duncan, tout `a son am`ere r'eflexion, ne remarqua rien. Nini soudain, changea de visage. Ses traits s’illumin`erent.
— Lord Duncan ? murmura-t-elle, doucement…
— Qu’y a-t-il ?
D'esormais, ce n’'etait plus la m^eme femme qui parlait. Elle supplia, les yeux baiss'es, d’un ton si 'emu qu’il semblait que dans sa gorge montaient des sanglots :
— Lord Duncan, pardonnez-moi, je vous ai menti tout `a l’heure… C’est mon coeur de m`ere qui m’a inspir'e ce mensonge… J’ai eu peur, lorsque j’ai su que vous vouliez me reprendre mon petit Jack, le seul ^etre qui me reste `a ch'erir, le seul vestige de mon bonheur pass'e… Pour ^etre s^ur de le garder, j’ai menti, mais je le vois, cela vous fait trop de peine, et moi-m^eme je ne veux pas continuer `a soutenir une chose aussi affreuse… il me semble d’ailleurs que cela lui porterait malheur… Lord Duncan, pardonnez-moi, mais Jack est vivant… Jack vit…
— Vous me jurez que Jack, que mon Jack est vivant ?…
— Je vous le jure ! r'epondit Nini Guinon dont les yeux laiss`erent 'echapper de grosses larmes…
Le noble lord, 'emu, soudain se sentait coupable… D’un coup d’oeil, Nini Guinon s’apercut qu’elle avait repris en main son interlocuteur.
— J’essayerai de vous donner satisfaction, lord Duncan, dit Nini.
— Serait-ce possible ?
— Je m’y emploierai… Mais la mis`ere est mauvaise conseill`ere : il me faut nourrir mon enfant, me nourrir moi-m^eme, je ne suis pas riche…