Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Si le directeur de la Monnaie 'etait atterr'e, terrass'e par les 'ev'enements depuis quelques jours, sa femme, Eug'enie Drapier, n’'etait gu`ere plus tranquille et, si elle ne communiquait point `a son 'epoux ses appr'ehensions, cela ne signifiait point qu’elle n’'etait pas inqui`ete.
Les craintes de la malheureuse femme 'etaient encore plus angoissantes que celles de son mari.
Eug'enie Drapier, depuis le jour fatal o`u l’on avait d'ecouvert dans l’appartement le corps de Firmain si myst'erieusement assassin'e, vivait dans une appr'ehension 'epouvantable.
Au cours de la premi`ere enqu^ete, elle s’'etait rendu compte que son mari avait menti. Elle avait acquis la nette certitude que celui-ci avait jur'e ^etre dans sa chambre pendant la nuit fatale, alors qu’en r'ealit'e M me Drapier savait parfaitement qu’il avait d'ecouch'e, ou tout au moins que son lit n’avait pas 'et'e d'efait.
Pourquoi donc L'eon Drapier avait-il dissimul'e la v'erit'e ?
Pourquoi n’avait-il pas os'e dire qu’il n’'etait point l`a et avait-il menti alors que ce mensonge lui 'etait plut^ot nuisible qu’avantageux et qu’il pouvait faire croire que, vu sa pr'esence dans la chambre voisine du cabinet de travail dans lequel avait 'et'e commis le crime, il pouvait y avoir particip'e soit `a titre de complice, soit m^eme en qualit'e d’auteur principal ?
M me Drapier ne s’en 'etait pas expliqu'ee avec son mari. Elle avait peur de l’interroger, et m^eme, une fois que L'eon Drapier avait voulu amener la conversation sur ce sujet, instinctivement inqui`ete, m^eme terrifi'ee, M me Drapier avait 'elud'e la question.
R'esolue `a sauver son mari co^ute que co^ute, convaincue que moins il y aurait d’oreilles indiscr`etes inform'ees, mieux cela vaudrait, M me Drapier avait refus'e les offres de Caroline qui lui avait offert, apr`es le crime, de coucher dans l’appartement.
C’est pourquoi, ce soir-l`a comme les soirs pr'ec'edents, Eug'enie Drapier 'etait seule chez elle.
Un troisi`eme coup de sonnette retentit, Eug'enie Drapier traversa la galerie, s’approcha de la porte donnant sur l’escalier et demanda d’une voix inqui`ete :
— Que d'esirez-vous ? Qui va l`a ?
De l’ext'erieur, quelqu’un lui r'epondit :
— Excusez-nous, madame Drapier, de vous d'eranger, et n’ayez pas peur, c’est M. Havard et deux de ses inspecteurs !
Cette recommandation 'etait superflue, car, en entendant le chef de la S^uret'e se nommer, M me Drapier le reconnaissait `a sa voix, la malheureuse femme se sentit devenir livide et manquait de d'efaillir. Tout d’un coup, ses craintes se pr'ecisaient et ses appr'ehensions, jusqu’alors vagues, devenaient formelles et cat'egoriques.
Oui, c’'etait bien 'evident ; du moment que le chef de la S^uret'e et ses deux inspecteurs venaient sonner `a l’appartement `a une heure aussi tardive, c’est que quelque chose de grave se pr'eparait et que peut-^etre les policiers venaient arr^eter L'eon Drapier !
Et, machinalement, M me Drapier poussa un soupir de satisfaction en se disant que son mari n’'etait pas l`a.
Elle ouvrit ; le chef de la S^uret'e se pr'esenta devant elle et la salua.
— Excusez-moi, fit-il, madame, de vous importuner de ma pr'esence `a une heure aussi tardive, mais il est des questions urgentes que je dois poser `a votre mari. Veuillez avoir l’obligeance de m’annoncer `a lui en ajoutant que je me pr'esente `a titre officieux, 'etant donn'e que la loi ne me permet point d’intervenir pendant les heures qui s’'ecoulent entre le coucher du soleil et son lever.
Machinalement, sans r'efl'echir, M me Drapier ouvrait la porte du cabinet de travail de son mari et y introduisait le chef de la S^uret'e ainsi que ses deux inspecteurs.
— Asseyez-vous, messieurs, dit-elle.
Puis elle demeurait silencieuse, immobile au milieu de la pi`ece, le regard perdu dans un r^eve, abasourdie, perplexe, `a la mani`ere de quelqu’un qui ne comprend pas.
M. Havard l’arrachait `a sa prostration.
— Eh bien, madame, fit-il, veuillez pr'evenir M. Drapier !
Il n’obtenait point de r'eponse et, comme il venait de r'ep'eter sa question sur un ton 'etonn'e, enfin M me Drapier articula :
— Mais, monsieur, mon mari n’est pas l`a…
— Votre mari n’est pas l`a !
— Non, monsieur.
— O`u est-il ?
— Je n’en sais rien, il est sorti.
— Depuis combien de temps ?
M me Drapier consid'erait la pendule, elle calcula :
— Environ une heure trois quarts, monsieur…
— Ah c`a, par exemple ! fit le chef de la S^uret'e en se tournant vers ses inspecteurs, voil`a qui n’est pas ordinaire !
M. Havard froncait le sourcil, toussotait, s’agitait sur sa chaise `a la mani`ere de quelqu’un qui a bien envie de parler, de quelqu’un fort en col`ere et qui, cependant, se retient pour dissimuler ses sentiments.
Il reprit, dominant l’'emotion nerveuse qui faisait trembler sa voix :
— Madame, savez-vous `a quelle heure M. Drapier va rentrer ? Tout au moins savez-vous o`u il est en ce moment ?
Eug'enie Drapier se tordait les mains, elle les joignit dans un geste de supplication.
— Mon Dieu, monsieur, n’insistez pas ! dit-elle, j’ignore tout, absolument tout ! Rentrera-t-il, ne rentrera-t-il pas, le sais-je ?… Depuis le malheureux drame qui s’est produit ici, non seulement nous sommes affol'es l’un et l’autre, mais nous vivons plus 'etrangers encore que pr'ec'edemment l’un `a l’autre ; L'eon ne me dit rien de ce qu’il fait, il s’occupe encore moins de ce que je deviens. Ah, mon Dieu !… Mon Dieu !…