Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Prudemment, alors, l’inconnu quittait l’abri que lui avait m'enag'e la pile du pont. Il marchait sans faire de bruit et, pr^etant l’oreille, se faufilait, ombre noire se m^elant `a la nuit entre les tas de sable, les amoncellements de cailloux, les grues gigantesques qui garnissaient les berges.
Son passage, d’ailleurs, si furtif qu’il f^ut, 'eveillait les pauvres mis'erables qui dormaient l`a. Ceux que la mis`ere talonne, ceux que la faim poursuit connaissent tant de malheurs, vivent tant d’inqui'etudes qu’ils n’ont en g'en'eral m^eme pas le bonheur d’un sommeil complet et d'efinitif. Ils dorment d’un oeil, et sont pr^ets `a l’alerte, car les dangers de la vie, de leur vie errante, les tiennent toujours en 'eveil.
On s’inqui'etait donc du passage d’un inconnu. Des t^etes effar'ees surgissaient.
Qui se promenait `a pareille heure ?
Et comme un mot d’ordre, tous les fr`eres de la berge 'echangeaient un avertissement :
— La rousse !…
`A ce moment, l’homme qui suivait les quais et tentait de s’'evader eut un brusque froncement de sourcils, s’arr^etant net d’avancer :
— Oh ! oh ! murmurait-il, cela se g^ate !…
Il venait d’apercevoir, `a une cinquantaine de m`etres devant lui, une dizaine d’ombres qui, marchant en ligne d'eploy'ee en 'eventail, avancaient `a grands pas.
— La retraite coup'ee ! pensa l’inconnu.
Il ne pouvait pas se tromper, en effet, `a ce qu’il voyait, c’'etait bien les agents qui arrivaient, les agents qui commencaient la rafle…
Rapidement alors, mais sans courir, de peur d’attirer l’attention sur lui, l’homme, tournant les talons, s’'eloigna.
— Il faut fuir ! murmurait-il les dents serr'ees. Il faut fuir ou je me fais pincer…
Il ne tremblait pas d’ailleurs, gardait un sang-froid extraordinaire, paraissait de taille `a envisager en face les 'ev'enements, `a se battre contre eux jusqu’`a ce qu’il en e^ut triomph'e.
L’homme marcha pendant dix minutes…
Il ne s’'etait pas 'eloign'e cependant, car la n'ecessit'e o`u il 'etait de ne point faire de bruit l’obligeait aux plus grandes pr'ecautions. Il devait 'eviter les mat'eriaux, il devait 'eviter surtout les fr`eres de la p`egre qui dormaient encore.
Brusquement, cependant, il s’arr^eta.
En face de lui encore, il discernait une s'erie d’ombres noires qui, descendant un petit escalier, gagnaient la berge et se d'eployaient encore en 'eventail.
— Tr`es bien… parfait ! murmura l’homme. Encore des agents !… Je suis cette fois entre deux barrages de policiers qui marchent l’un au-devant de l’autre et qui se rencontreront dans quelques instants chassant devant eux, raflant tous ceux qu’ils auront rencontr'es.
Le personnage, un instant plus tard, murmurait :
— Toute la difficult'e consiste `a ne pas ^etre de ceux-l`a !
Ne t'emoignant toujours d’aucun trouble cependant, et gardant un calme extraordinaire, on n’e^ut jamais cru qu’il courait le plus certain et le plus pressant des dangers, il rebroussait chemin une fois encore.
O`u allait-il donc cependant ?
Quelle cachette pouvait-il esp'erer trouver ?
Avait-il invent'e une ruse qui p^ut lui permettre de passer entre les mailles de ce filet humain que constituaient les vingt agents op'erant la rafle sur les quais ?
L’inconnu se h^atait maintenant. Il gagnait le bord du quai, paraissait s’orienter.
— Attention ! murmurait-il soudain.
Et il se livrait alors `a la plus extraordinaire des manoeuvres.
Sans bruit, en effet, le personnage s’'etait approch'e du bord de l’eau, se couchait sur le ventre. Il laissait pendre ses pieds au-dessus du fleuve.
Que cherchait-il donc `a r'ealiser ?
'Etait-il subitement emplis de cafard ? Allait-il comme tant d’autres, pr'ef'erer la mort `a la cruaut'e d’une arrestation ?
L’homme, une fois install'e dans son extraordinaire position, heurtait violemment du bout du pied contre une sorte de porte qui se trouvait creus'ee dans le quai, une porte d’'egout, 'evidemment, qui devait ^etre d'esaffect'ee depuis longtemps.
Imm'ediatement, une voix s’informa :
— Qui c’est qu’est l`a ? Qui c’est qui frappe ? C’est complet !
La voix qui parlait ainsi 'etait lointaine, 'etouff'ee. Elle semblait provenir de l’int'erieur du quai, elle tremblait un peu.
Le fuyard r'epondit, sans hausser le ton :
— Complet `a l’int'erieur sans doute, mais `a l’imp'eriale c’est `a volont'e !
Il y eut dans la nuit un grincement sinistre. Avec peine, on repoussait la porte.
Le personnage, qui 'etait toujours agripp'e au quai, donna un violent coup de reins et, l^achant les mains, se glissa `a l’int'erieur de l’'egout.
Il bruinait `a ce moment fortement. L’homme 'etait tremp'e. De plus, ses yeux encore pleins d’ombre clignotaient `a la lumi`ere ; il chancelait, 'etourdi…
Dans l’'egout, il faisait ti`ede. C’'etait la temp'erature moite des caves o`u s’entassent de trop nombreux individus. Cela sentait d’horribles relents de mis`ere et de salet'e. Qu’importait, cependant ?
Le personnage qui venait si myst'erieusement de p'en'etrer dans ce repaire abominable soupirait de satisfaction en s’y installant.
Il se rendait compte, en effet, qu’il 'etait d'esormais `a l’abri de toutes les recherches polici`eres, que celles-ci ne pouvaient rien pour le d'ecouvrir.
Tandis qu’il se secouait cependant, encore aveugl'e et les yeux pleins de nuit, des voix brusques l’interrogeaient :
— Qui qu’t’es, mon fils ? D’o`u qu’tu viens ?
Le personnage r'epondit sans h'esitation :
— D’o`u j’viens ? D’un sacr'e truc !… Qui j’suis ? Vous devriez me reconna^itre, je suis Job Askings !