L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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— Dis donc, camarade, qu’est-ce que tu dirais d’un verre de rouge ?
— Merci, vieux, je pr'ef'ererais une cro^ute de fromage et du pain.
— L’un ne va pas sans l’autre… Eh, tavernier, du pain et du fromage. Tiens, la mar'echauss'ee !
`A l’int'erieur du mastroquet, – car c’'etait un v'eritable mastroquet que cette sordide auberge des Trois-'Ecus, construite au croisement de deux routes, en plein champ, o`u se r'eunissaient tous les rouliers d’alentour – deux pauvres h`eres, l’un d’une quarantaine d’ann'ees, l’autre plus jeune, s’appr^etaient `a
Les gendarmes sont gens du monde.
— Messieurs, dames, nous vous saluons, commenca le brigadier. Deux pichets de cidre. Versez-nous `a boire la belle enfant.
Mais si le brigadier pouvait – ainsi que son grade l’y autorisait – regarder les belles, le simple soldat qui l’accompagnait estimait que son devoir 'etait de rester toujours correct dans le service. Ne pr^etant donc pas attention `a la conduite de son chef, il s’occupa `a examiner, hautain et d'edaigneux, les consommateurs qui se trouvaient d'ej`a dans le d'ebit.
Le compagnon du brigadier Sosth`ene, plus exactement le gendarme Pancrace, n’eut pas grand-peine, d’ailleurs, `a s’acquitter de sa mission b'en'evole, puisque aussi bien ces consommateurs n’'etaient qu’au nombre de deux, les deux mis'ereux entr'es quelques minutes auparavant aux Trois-'Ecus.
Des mis'ereux ?
Pour l’oeil d’un gendarme – d’un gendarme qui aime son m'etier, qui se d'electe aux arrestations faciles, qui trouve superbe d’emmener au long d’une route, lui-m^eme 'etant `a cheval, un pauvre bougre quelconque surpris en train de braconner – il n’est pas de pauvre h`ere.
— Brigadier, dit Pancrace, ces deux hommes…
Le brigadier Sosth`ene 'etait homme de devoir.
Bien qu’int'erieurement, au plus profond de sa conscience, il e^ut fort envie `a ce moment d’envoyer au diable son z'el'e subordonn'e, il se rendit compte qu’il devait se rendre `a sa pri`ere. Et en avant pour l’interrogatoire d’identit'e des deux suspects.
Les deux pauvres bougres se regard`erent ayant l’air fort interloqu'es.
— Dame, commenca celui qui paraissait le plus ^ag'e ; dame, mon brigadier, ca n’est pas de refus. Si c’est que vous voulez savoir, comment nous nous appelons, on va vous le dire.
— Et plus vite que ca.
— Eh bien voil`a, mon brigadier. Mon compagnon, c’est Victor et moi c’est Jean, Jean-'Emile ou 'Emile-Jean comme vous voudrez.
`A la v'erit'e, cette r'eponse n’offrait aucun caract`ere suspect.
Tout autre que le brigadier Sosth`ene e^ut m^eme estim'e qu’il 'etait parfaitement l'egal de s’appeler Victor et 'Emile-Jean, mais le brigadier Sosth`ene se targuait d’un flair exceptionnel.
Toujours pour 'etonner la petite servante, qui maintenant le consid'erait avec des yeux stupides, car elle commencait `a le trouver fort beau dans l’exercice de ses fonctions, le brigadier Sosth`ene se mit `a hurler :
— Je m’apercois mon gaillard, que vous ^etes des fortes t^etes. Victor, eh, eh, comme le prince Napol'eon ? Tiens. Et la R'epublique alors ? Moi, je crois que votre cas va ^etre clair. Alors, votre camarade s’appelle Victor et vous 'Emile-Jean ? Gendarme, 'ecrivez cela. Vous avez des papiers sans doute ?
Le pauvre bougre, qui paraissait maintenant compl`etement ahuri sous le flot de paroles du brigadier, hocha n'egativement la t^ete :
— Non. On n’a pas de papiers. Dans notre profession…
— Je vois ce que c’est votre profession ? Qu’est-ce que vous faites ?
— Mon brigadier, on est
— Suffit, dit le brigadier Sosth`ene, gendarme, buvez votre pichet de cidre, et fouillez-moi ces personnes. Il n’y a pas d’honn^etes gens l`a o`u il n’y a pas de papiers.
'Evidemment l’affaire se corsait.
Les deux gendarmes 'etaient partis le matin m^eme en tourn'ee d’inspection, sur un ordre de leur colonel qui leur avait enjoint de mieux surveiller les routes o`u pullulaient les gars de batterie, les chemineaux sans abri. Ils songeaient vraisemblablement que le hasard venaient de les mettre en pr'esence d’un de ces « dangereux » individus qui n’h'esitent pas `a voler des pommes et m^eme `a assassiner les poules.
Il fallut une seconde `a peine au gendarme Pancrace pour avaler son pichet de cidre, et encore le fit-il avec une si grande pr'ecipitation qu’il manqua s’'etrangler.
Et merveilleux de dignit'e, le k'epi en arri`ere, les bras grands ouverts, le gendarme Pancrace s’approcha des deux chemineaux.
Et il s’appr^etait `a fouiller, de force, dans les poches du plus ^ag'e des trimardeurs… lorsque, soudain, avec une souplesse dont on ne l’aurait pas cru capable `a premi`ere vue, le mis'erable glissa sous les bras du pandore, sauta d’un bond aupr`es du brigadier, qui, d'ej`a l'eg`erement apeur'e, fit de vains efforts pour sortir du fourreau son sabre gigantesque.
— Brigadier, d'eclara le trimardeur, conform'ement `a la Loi, je r'eclame le droit de ne parler qu’`a la gendarmerie devant votre colonel.
Et, en m^eme temps, le trimardeur tirait de sa poche un grand portefeuille rouge qu’il agitait triomphalement :
— Oui, j’ai des papiers. Mais ce n’est pas `a vous que je vais les confier. C’est au colonel.
Tandis que la petite servante pensait s’'evanouir d’effroi et hurlait maintenant d’inintelligibles invocations `a la vierge Marie, `a sainte Anne d’Auray, `a saint Joseph son patron, les deux gendarmes 'echang`erent des oeillades affol'ees.
— Diable de diable, dit Pancrace, c’est `a n’y rien comprendre du tout, brigadier. Il disait tout `a l’heure qu’il n’avait pas de papiers, et puis maintenant il a un portefeuille, et puis il a `a parler au colonel. Bon dieu de bonsoir, qu’est-ce que signifie tout cela ?
Le brigadier n’'etait pas beaucoup plus rassur'e.
Lui aussi, d’un oeil sans expression, mais o`u se lisait un ahurissement absolu, contemplait le chemineau qui avait d'eclar'e s’appeler 'Emile-Jean, et qui, maintenant, debout `a ses c^ot'es, le visage dur, l’air impassible et furieux, semblait attendre qu’il pr^it une d'ecision.