L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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`A peine T^ete-de-Lard 'etait-il entr'e dans l’alc^ove obscure o`u Juve pr'etendait lui faire passer la nuit que le policier, d’un tour de main discret, avait pouss'e le verrou et boucl'e son h^ote.
— Dors, mon bonhomme, avait alors murmur'e Juve, dors en paix, nous verrons plus tard, demain dans l’apr`es-midi sans doute, `a tirer de toi ce qu’il convient d’en tirer.
Or, depuis ce moment, c’est-`a-dire depuis la veille, Juve n’avait pas revu l’apache.
Celui-ci bien entendu s’'etait r'eveill'e, avait essay'e de sortir de sa prison, puis, 'etait demeur'e immobile, retenant son souffle et faisant les pires suppositions.
— Je suis fait ! se r'ep'etait T^ete-de-Lard. Je suis tout ce qu’il y a de plus fait.
Juve, `a vrai dire aurait certainement interrog'e T^ete-de-Lard dans la matin'ee si, dans les couloirs de la S^uret'e, il n’avait fait la rencontre de M. Ch^atel-G'erard. Les 'ev'enements s’'etaient alors pr'ecipit'es. Il venait tout juste de rentrer lorsqu’il fit demander l’apache.
Juve `a l’apparition de T^ete-de-Lard prit un air des plus aimables :
— Alors mon vieux, commenca-t-il famili`erement, la nuit a 'et'e bonne ? Pas de cauchemars ? Vous ne vous ^etes pas trop emb^et'e ?
— Mais, monsieur Juve, faisait-il, tournant machinalement entre ses doigts sa casquette crasseuse, et pleurant de ses deux yeux 'eternellement noy'es dans la graisse de sa figure, je ne sais pas ce que cela veut dire. Oui, j’ai bien dormi, seulement…
— Et comme ca, interrompait Juve, vous avez 'et'e faire un tour cet apr`es-midi ?
— Un tour, monsieur Juve ?
La face de T^ete-de-Lard continuait `a exprimer un ahurissement quasi complet.
Ah c`a, Juve se moquait-il de lui ?
Il lui demandait s’il avait 'et'e faire un tour, alors que tout juste, il venait d’^etre rendu `a la libert'e ?
— Je n’ai pas 'et'e faire un tour, r'epondait T^ete-de-Lard avec un soupir, puisque vous m’aviez boucl'e.
Mais, `a ce mot, Juve donnait des signes de stup'efaction :
— Boucl'e, mon vieux ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— J’'etais enferm'e dans le cabinet noir, monsieur Juve.
— Enferm'e ? Qu’est-ce que vous me chantez, T^ete-de-Lard ?
— Dame ! monsieur Juve, protestait-il encore, quand j’ai voulu me lever, ce matin, je me suis apercu que la porte 'etait verrouill'ee.
Or, `a cet instant, Juve 'eclata de rire :
— C’est pourtant vrai. Je me rappelle que ce matin, quand je suis sorti, j’ai machinalement tir'e le verrou oubliant que vous 'etiez l`a. C’est rigolo. Mais vous ne m’en voulez pas hein, T^ete-de-Lard ? Bougre, vous avez d^u croire que je vous avais flanqu'e en taule. Mais, ca ne fait rien. Mettez votre main dans la mienne, T^ete-de-Lard. Entre copains comme nous, il n’y a pas de rancune qui tienne. Nous allons nous caler les joues d’une mani`ere un peu soign'ee, et, si vous m’en croyez, devant une bonne bouteille de vin.
Juve secouait avec une grande amiti'e la main molle et moite que lui abandonnait T^ete-de-Lard. Il poussa l’apache dans la direction de la salle `a manger d’une petite tape amicale sur l’'epaule.
— Venez bouffer, T^ete-de-Lard. Venez, mon vieux !
T^ete-de-Lard commencait `a se rass'er'ener. La cordialit'e de Juve 'etait si parfaite, qu’il e^ut fallu `a T^ete-de-Lard beaucoup plus d’intelligence qu’il n’en avait r'eellement pour comprendre que le policier se moquait de lui.
D’ailleurs, T^ete-de-Lard 'etait gourmand ; ce gros homme qui avait pass'e dix ans de sa vie `a respirer l’odeur fade et chaude du boudin et de la saucisse, appr'eciait les bons soupers, les copieux gueuletons qui entretenaient son embonpoint. Or, Juve le conduisait dans sa salle `a manger o`u un p^at'e croustillant flanqu'e d’un poulet entour'e d’un r'egiment de bouteilles meublait de la plus agr'eable facon la table servie. Comment ^etre morose ou inquiet en pr'esence d’un pareil festin ?
— `A table, r'ep'eta Juve, et d’abord un bon coup pour se creuser l’estomac.
Un vin d’Anjou p'etillant moussa dans les verres. T^ete-de-Lard fut joyeux en une seconde.
— `A table, monsieur Juve.
Et, comme il avait des usages, T^ete-de-Lard reprit :
— C’est bien de l’honneur pour moi tout de m^eme et je vous remercie.
Une demi-heure plus tard, Juve et T^ete-de-Lard 'etaient les meilleurs amis du monde.
T^ete-de-Lard mangeait avec une surprenante voracit'e et vidait sans discontinuer le grand verre que Juve emplissait avec une r'egularit'e d’horloge. On avait d'ej`a parl'e de toutes sortes de sujets, de la qualit'e des andouilles de Vire, des m'erites du camembert bien fait, du vin de Suresnes, de l’aramon que l’on boit aux Halles [9] et m^eme on avait fait une incursion dans le domaine de la politique. T^ete-de-Lard s’'etait 'ecri'e, sinc`ere et franc :
— Le gouvernement qui me pla^it le mieux `a moi, c’est celui qui donne le plus de banquets.
Que voulait donc Juve ?
Pourquoi se montrait-il si affable, si hospitalier `a l’'egard de T^ete-de-Lard ? Pourquoi 'evitait-il avec un soin extr^eme d’aborder les 'ev'enements de la veille ?
— T^ete-de-Lard, mon vieux, `a votre sant'e !
— `A la v^otre, monsieur Juve !
Et les verres succ'edaient aux verres, le vin blanc au vin rouge, avec une telle rapidit'e, que bient^ot Juve se mit `a chantonner :
— La vie, disait le policier, la vie a vraiment du bon quand on se verse sur la pente du gosier du vin qui a go^ut de pierre `a fusil.
T^ete-de-Lard, lui, apr`es ^etre devenu loquace, 'etait subitement pass'e `a un mutisme parfait. Il ne s’occupait plus gu`ere de Juve. Il ne r'epondait que par grognements, mais en revanche, il buvait comme une 'eponge.
Et c’'etait `a cet instant psychologique, o`u l’ivresse commencait `a bercer les r^eves de T^ete-de-Lard, que Juve soudain jeta son verre sur le parquet o`u il se brisa, tapa un coup de poing formidable sur la table, tout en s’'ecriant :
— Et puis, en voil`a assez ! T^ete-de-Lard, tu n’es qu’un cochon !
T^ete-de-Lard 'etait naturellement si loin de s’attendre `a une pareille exclamation, qu’il s’arr^eta net d’enfourner les victuailles dans sa gargantuesque bouche.
— Je suis un cochon, demanda-t-il, et pourquoi ?
— Oui, tu es un cochon, r'ep'etait Juve, parce que tu es un faux fr`ere.
— Un faux fr`ere ? b'egaya l’apache.
— Parfaitement, et tu t’es foutu de moi depuis hier soir.
T^ete-de-Lard d’abord ne r'epondit rien. Machinalement, cependant, il avait pris sur la table une bouteille de vin et, dans l’exc`es de son 'emotion, oubliant de se servir d’un verre, il avait renvers'e la t^ete en arri`ere et il buvait `a m^eme le goulot.