L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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M. Ch^atel-G'erard venait de jeter rageusement devant lui un pneumatique qui ne comportait que quelques lignes de texte. Il le prenait par moments, le relisait, le froissait nerveusement, puis le d'epliant, l’'etalant `a nouveau, il le rejetait, pour le reprendre encore :
— Que croire, mon Dieu ? que croire ? disait M. Ch^atel-G'erard. Que penser r'eellement ? Est-ce Juve, ou n’est-ce pas Juve ?
Monsieur le gouverneur.
J’aurai l’avantage de venir vous rendre visite vers dix heures du matin, j’esp`ere que vous voudrez bien me recevoir.
Et la signature s’'etalait, claire, nette : Juve.
Or, M. Ch^atel-G'erard 'etait de plus en plus inquiet. Il ne tenait toujours pas pour d'emontr'e qu’il avait eu r'eellement affaire `a Juve chez M. Tissot et, par cons'equent, il se demandait si le bleu qu’il venait de recevoir 'emanait de Juve en personne ou d’un autre, d’un imposteur.
— Si c’est Juve, murmurait le gouverneur, il est tout naturel qu’il vienne ici, mais si ce n’est pas Juve ?
Et s’interrompant, le gouverneur serrait dans sa poche la crosse de son revolver.
— Si ce n’est pas Juve, si c’est Fant^omas qui pousse l’audace jusqu’`a venir me narguer, je l’abats comme une b^ete f'eroce, quitte `a me faire sauter la cervelle ensuite pour 'eviter le scandale.
M. Ch^atel-G'erard tout en songeant, se promenait toujours dans la grande pi`ece qui constituait son bureau de travail. Il jetait des regards anxieux `a un superbe cartel pendu au mur. Il 'etait dix heures moins dix et les minutes apparaissaient interminables au gouverneur de la Banque.
— D’ailleurs, se r'ep'etait-il, pour la centi`eme fois peut-^etre depuis la veille, Juve m’avait annonc'e que les trois clefs me seraient rendues. Or, je n’en ai recu aucune. Juve m’a dit, il est vrai, que la restitution serait op'er'ee aujourd’hui ou demain. Et puis, est-ce lui, ou n’est-ce pas lui qui va venir ? Si c’est lui, peut-^etre va-t-il m’apprendre du nouveau ?
La situation dans laquelle se d'ebattait le malheureux gouverneur 'etait v'eritablement effroyable, car, bien qu’il n’en voul^ut pas convenir, il apparaissait de moins en moins possible d’'eviter le scandale. D'ej`a, le matin m^eme, un haut employ'e des Finances lui avait rendu visite et l’avait averti de certaines dispositions du Gouvernement, prise en Conseil des ministres, relativement `a une 'emission prochaine de billets de banque.
— D’un instant `a l’autre, songeait M. Ch^atel-G'erard, il va ^etre n'ecessaire de descendre aux caves, d’un instant `a l’autre, il va falloir que j’avoue le vol des deux premi`eres clefs et – peut-^etre, pis encore – la stupide absurdit'e que j’ai commise en confiant la troisi`eme `a un individu qui, peut-^etre, n’est pas Juve.
Tandis que M. Ch^atel-G'erard se d'esesp'erait de la sorte, les minutes cependant, finissaient par s’'ecouler.
Dix heures sonnaient enfin lorsque un huissier frappait `a la porte du cabinet.
— Entrez, dit M. Ch^atel-G'erard, qui, d’'emotion, 'etait devenu bl^eme.
La porte de son cabinet s’ouvrit, l’huissier annonca :
— Monsieur le gouverneur, il y a quelqu’un qui demande `a vous parler, qui pr'etend avoir rendez-vous avec vous et qui refuse de donner son nom.
— Je sais, faites venir ce monsieur.
M. Ch^atel-G'erard, livide, s’appuyant au dossier d’un fauteuil, ne perdit pas de vue la porte de son cabinet de travail. Qui allait franchir le seuil de la pi`ece ? Qui allait appara^itre ?
Quelques instants s’'ecoul`erent, puis enfin l’huissier r'eapparaissait, pr'ec'edant un visiteur que M. Ch^atel-G'erard d'evisageait avec une folle angoisse.
Ce visiteur 'etait le m^eme homme qu’il avait d'ej`a vu chez M. Tissot, c’'etait Juve, et Juve sourit :
— Vous allez bien, monsieur le gouverneur ? s’informait le policier. ^Etes-vous un peu moins inquiet qu’hier ?
Juve, `a cent lieues de soupconner les hypoth`eses que formulait `a son endroit le gouverneur de la Banque, `a cent lieues de penser qu’il le prenait pour Fant^omas, 'etait fort tranquille et comme toujours, tr`es souriant :
— Eh bien, vous semblez encore boulevers'e ?
— Il y a de quoi, r'epondit simplement M. Ch^atel-G'erard.
Et, d’une voix qui tremblait, le gouverneur interrogeait brusquement :
— O`u est la troisi`eme clef, monsieur ?
— Quelle troisi`eme clef ? demanda Juve.
— La clef que je vous ai confi'ee.
`A l’interrogation qui lui 'etait faite, le roi des policiers 'eclata de rire :
— Permettez-moi de m’asseoir, riposta Juve, car nous avons `a causer `a ce sujet.
Juve, tout en parlant, attirait un fauteuil, et s’'etant d'ebarrass'e de son pardessus, s’assit en effet.
— Nous avons `a causer, r'ep'etait-il, car cette troisi`eme clef…
— O`u est-elle, monsieur ?
Or, M. Ch^atel-G'erard parlait sur un tel ton, semblait si violemment 'emu, qu’`a son tour Juve en fut boulevers'e :
— Qu’avez-vous donc, fit-il. Vous avez l’air de me faire subir un interrogatoire ?
M. Ch^atel-G'erard, cependant, se persuadait de plus en plus qu’il avait affaire `a un imposteur, que le Juve qui lui parlait n’'etait pas Juve, mais Fant^omas, et que Fant^omes, usant d’un formidable toupet, allait tenter de le faire
— Tr^eve de plaisanterie, fit plus rudement encore M. Ch^atel-G'erard. Voulez-vous me r'epondre, oui ou non ? O`u est la troisi`eme clef que je vous ai confi'ee ?
Juve se renversa dans son fauteuil, `a la facon d’un homme qui prend ses aises, et r'epondit la v'erit'e :
— Ma foi je n’en sais rien, monsieur. Vous m’avez confi'e cette clef, c’est exact, mais h'elas, je ne saurai vous dire o`u elle est. On me l’a vol'ee.
Or, Juve n’avait pas achev'e cette d'eclaration, qu’il faisait d’ailleurs avec sa coutumi`ere tranquillit'e, que M. Ch^atel-G'erard brandissait un revolver, le braquait sur le policier en m^eme temps qu’il hurlait `a pleins poumons :