La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Mme Fargeaux avait t'el'ephon'e `a l’Imp'erial H^otel et appris que l’arriv'ee de son Altesse Royale avait 'et'e retard'ee de quarante-huit heures.
— C’est pour cela, avait-elle conclu, que ses envoy'es ne sont pas venus me chercher.
Et elle avait attendu de nouvelles indications, mais rien n’'etait venu. C’est pourquoi Mme Fargeaux, inqui`ete et parfaitement d'ecid'ee `a tromper son mari avec l’infant d’Espagne, redoutant d’avoir 'et'e oubli'ee par ce grand personnage, avait d'ecid'e de venir le trouver.
Elle avait racont'e `a son mari qu’elle 'etait oblig'ee d’aller voir `a Dax une tante malade et elle 'etait partie dans l’apr`es-midi. Seulement, au lieu de se rendre `a Dax, elle 'etait partie pour Biarritz o`u elle arrivait `a huit heures du soir. Pendant ce temps l`a, son fr`ere le spahi, inquiet de ne point la trouver `a Dax, songeant `a la disparition d’une femme que signalaient les journaux, venait demander aux magistrats, `a la Bicoque, s’il ne s’agissait pas de sa soeur.
Donner un pourboire g'en'ereux `a la femme de chambre afin de pouvoir s’introduire dans l’appartement o`u se tenait l’infant d’Espagne fut pour Delphine Fargeaux un simple jeu. L’adroite petite personne entrait `a l’instant dans le couloir, 'ecoutait `a la porte et, avec la plus grande surprise, entendait prononcer son nom, cependant que l’accent guttural de l’un des interlocuteurs lui prouvait que l’homme qui parlait n’'etait autre que son Altesse Royale don Eugenio.
Mais, en entendant aussi une voix f'eminine, le sang de Delphine Fargeaux ne fit qu’un tour.
Ah, par exemple, voil`a qui 'etait inattendu et inadmissible, l’infant 'etait l`a, avec une autre femme et il prononcait son nom `a elle, c’est donc qu’une intrigante avait pris sa place et qu’une fille quelconque, 'eprise sans doute de l’infant d’Espagne, s’'etait donn'ee pour Mme Fargeaux. Eh bien, elle allait le payer cher :
— On ne se moquera pas de moi comme ca longtemps, grogna Mme Fargeaux qui, en l’espace d’une seconde, comprit, ou du moins interpr'eta `a sa facon ce qui avait d^u se passer. Si les Espagnols organisateurs de l’enl`evement n’'etaient pas revenus la chercher, c’est qu’'evidemment ils la croyaient arriv'ee `a l’Imp'erial H^otel et pourquoi croyaient-ils cela ? parce qu’on avait pris sa place. Delphine Fargeaux n’h'esita plus, elle poussa la porte, et brutalement s’introduisit dans la pi`ece.
C’est alors qu’H'el`ene et l’infant, abasourdis, l’un et l’autre, voyaient entrer cette troisi`eme personne qui d'eclarait d’un ton tragique et convaincu :
— Madame Fargeaux, c’est moi.
***
Quelqu’un cependant avait suivi Mme Fargeaux, et `a peine celle-ci avait-elle quitt'e le domicile conjugal, sous pr'etexte d’aller voir une tante malade, qu’il intervenait et parlait `a son mari.
Ce quelqu’un n’'etait autre que le spahi, le fr`ere de Delphine, Martial Altar`es.
Le militaire, volage pour son propre compte, 'etait excessivement strict et s'ev`ere d`es lors qu’il s’agissait de sa soeur. Or, depuis quelques jours, les attitudes de Delphine d'eplaisaient au spahi et son indignation ne connut plus de bornes lorsqu’il s’apercut, apr`es l’avoir cru morte, qu’au lieu de partir pour Dax voir sa tante, nullement malade, Delphine avait pris le train pour Biarritz, o`u, assur'ement, elle allait rejoindre son amoureux.
Le spahi, alors, 'etait revenu trouver son beau-fr`ere, il arrachait Timol'eon Fargeaux `a la sieste b'eate que faisait le brave homme, lui avait d'eclar'e `a br^ule-pourpoint :
— Vous ^etes cocu,
— Non, ca n’est pas possible, avait r'epondu le mari r'eveill'e.
— Imb'ecile, quand je vous le dis, qu’elle nous trompe !
— Elle me trompe, voulez-vous dire ?
— Il s’agit bien de plaisanter, quand je dis qu’elle
— Vous vous emballez tout le temps, mon cher ami ! Avant de porter de semblables accusations, il faut ^etre s^ur de son fait et lorsqu’on en est s^ur, il est pr'ef'erable de se taire. 'Etant donn'e que la chose est irr'em'ediable, tout ce que l’on pourrait faire ne la changerait pas. D’ailleurs, avez-vous des preuves ?
— On voit bien, fit-il, que vous ^etes un homme du Nord, pas de sang dans les veines, pas de temp'erament, tandis que nous autres, gens du Midi, nous sentons les choses, nous vibrons.
Brusquement, le spahi quitta la pi`ece, claqua la porte au nez de Timol'eon.
— Vous ^etes d'ecid'ement par trop idiot, dit-il et si il n’y en a qu’un pour sauvegarder l’honneur de la famille, je serai celui-l`a.
Le spahi alors courut `a la gare. Il eut la chance de trouver un train direct pour Biarritz. Il y arriva une demi-heure `a peine apr`es sa soeur. Le spahi connaissait tous les marchands de vins et toutes les servantes des caf'es install'es le long de l’avenue qui m`ene de la gare au centre de la ville.
Ce fut un jeu pour lui que de retrouver la trace de sa soeur et d’apprendre qu’elle 'etait entr'ee `a l’Imp'erial H^otel.
Le spahi glissa un pourboire `a un petit chasseur et apprit que la dame brune arriv'ee quelques instants auparavant venait de monter dans l’appartement r'eserv'e `a l’infant d’Espagne. De plus en plus irrit'e, le spahi bondit jusqu’au premier 'etage et se heurta `a une sorte de chambellan qui voulait l’emp^echer de passer. Mais le spahi bouscula l’Espagnol et, avec une audace invraisemblable, d'eclara :
— Charg'e de mission aupr`es de Son Altesse Royale, service du gouvernement militaire.
L’Espagnol n’insista pas. 'Ebloui par cette d'eclaration, il laissa aller le spahi qui arriva dans le couloir juste `a temps pour voir sa soeur s’introduire dans l’appartement de don Eugenio.
— Je leur donne trois minutes, fit-il, pour s’expliquer. Mais pas plus, apr`es quoi l’infant, tout infant qu’il est, devra s’expliquer avec moi.
Et le spahi attendit.
De l’autre c^ot'e du mur, Mme Fargeaux stup'efaite mais furieuse, consid'erait H'el`ene interdite et l’infant perplexe. Mme Fargeaux s’expliqua, nettement, cat'egoriquement, en femme qui sait ce qu’elle veut.
— Eh bien, Madame, s’'ecria-t-elle, en s’adressant `a H'el`ene, vous me faites l’effet d’avoir un certain toupet. Voici un appartement qui m’'etait r'eserv'e, je vous y trouve install'ee, et voici Monsieur, qui… d’autre part… du moins… Son Altesse Royale qui m’avait fait l’honneur de me demander un rendez-vous et je vous trouve en t^ete `a t^ete avec Elle. Avec lui. Non, avec Elle.
— Votre Altesse, continuait Mme Fargeaux, s’adressant `a don Eugenio, ne me reconna^it donc pas ? C’est moi, et non pas cette personne, qui suis Mme Fargeaux, la petite Mme Fargeaux que vous avez rencontr'ee voici quelques jours sur le bord de la route, pr`es du ch^ateau de Garros, et avec qui vous 'echange^ates de si tendres regards qu’elle en fut toute troubl'ee. Oui, Altesse, depuis ce jour, je vous aime, je vous adore, je ne songe qu’`a vous, `a vous seul, votre image est constamment pr'esente `a mon esprit et je sens que mon coeur a des ailes pour voler jusqu’au v^otre.